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Campagne électorale française et nostalgie coloniale
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 04 - 04 - 2022

À moins de trois semaines du premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron a commémoré, le 19 mars 2022, la fin de la guerre d'Algérie, tandis que ses rivaux parfois virulents battent la campagne, faisant valoir l'apologie de «l'œuvre coloniale en Algérie».
Chaque élection présidentielle ressort la carte Algérie pour diverses questions, tant la France est liée à notre pays. Immigration, passé colonial, coopération bilatérale. À chaque élection française, tous les chemins mènent à l'Algérie, ça ne rate pas. On aurait pu croire que pour cette présidentielle 2022, l'Algérie serait un bien lointain sujet. D'ailleurs, on remarque que cette année aucun candidat ne s'est déplacé à Alger, alors que c'était une tradition française. Les précédentes campagnes impliquaient a minima un voyage présidentiel officiel. Nicolas Sarkozy, François Hollande ou encore Emmanuel Macron avaient effectué leur voyage de»candidat» à Alger avant d'être élus.
Même les profils un peu plus outsiders se pressaient aux portes algériennes. On se souvient d'Arnaud Montebourg, fier de revendiquer les origines algériennes de sa mère. Les négociations en amont avec l'Algérie semblaient être un passage obligé pour les candidats à la présidentielle. Cette fois, personne ne s'est rendu sur les terres algériennes. Le Covid-19 est une excuse valable pour éviter les déplacements politiques. Mais cela n'empêche pas les candidats, ou du moins certains nostalgiques de jouer la question algérienne à domicile. Dès que les premières candidatures ont été déclarées, le rapport à l'Algérie est très rapidement ressorti. Emmanuel Macron n'a pas été le seul à prendre à bras-le-corps le sujet Algérie, bien au contraire. La course à l'électorat des pieds-noirs a poussé Eric Zemmour à faire de cette question un de ses principaux thèmes de sa campagne. On ne compte plus les mesures anti-algériennes que l'homme a promises. Sa dernière sortie sur l'Algérie promettait d'exclure la repentance française. Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national (RN), aux élections présidentielles françaises d'avril 2022, (en panne d'arguments sociopolitiques sur l'avenir des Français) provoque à nouveau les autorités algériennes et la mémoire des Algériens. En effet, elle promet, si elle est élue, d'être ferme avec les autorités algériennes et de ne pas laisser ces dernières ‘'bafouer l'honneur de la France''.
Poursuivant son offensive contre l'Algérie, elle s'est engagée à préserver la mémoire de ceux qui sont morts dans les combats contre l'Armée de libération nationale (ALN). «En cette journée nationale, je rends hommage aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie. Souvenons-nous de leur courage et perpétuons leur mémoire», a-t-elle ajouté. Un autre candidat de l'extrême droite adepte de l'Algérie française, comme l'a qualifié son rival Yannick Jadot, tente de se mettre en valeur en jouant les petites mains de l'anti-repentance.
La campagne électorale de l'extrême droite française est tout simplement une reprise des pires clichés de la propagande diffusée du temps des empires coloniaux, en même temps qu'une tentative pour ancrer aujourd'hui l'extrême droite et la droite françaises dans une vision commune nostalgique, laudative et simpliste du passé colonial, sans cesse ressassée depuis des décennies. Pour cette frange de nostalgiques, la colonisation était surtout «conquérir, civiliser, instruire...». Et dans leurs meetings, c'est reparti pour des heures de discours de nostalgie coloniale où l'on retrouve tous les classiques. Les vieux grognards sont rejoints par les jeunes pousses de la droite ultra et par les militants de la post-Algérie française. Pour faire un «bon discours nostalgique», il faut respecter quelques règles immuables. Une partie sur l'Indochine «la perle de l'Orient», une partie sur les «pionniers» aux origines de la plus grande France, une partie sur l'Afrique «la grande épopée» avec un «bilan (obligatoirement) positif» vendu par ceux qui faisaient «suer le burnous des indigènes». Mais aussi et surtout, une partie sur l'Algérie française «du rêve aux larmes» et le rêve brisé d'une «légende» des temps bénis des colonies, le tout est dans la veine d'une nostalgie que l'on croyait désormais terminée. Et bien non ! Il faut dire que ces «nostalgériques, pour eux, «la repentance ça suffit». Et l'on assiste, dans leurs discours électoraux en direction de l'électorat des «pieds-noirs», à une opération d'éradication absolue contre l'ennemi du moment : le président de la République Emmanuel Macron et son discours sur le «crime contre l'humanité». Ce discours de campagne est pour les rivaux du président candidat, une mise en péril du mur de la mémoire qu'ils dressent avec les autres nostalgiques depuis plus d'un demi-siècle. Pour eux, ce discours «a frappé d'ignominie cent trente-deux ans d'histoire partagée entre la France et l'Algérie», il ne favorise pas «l'équité des mémoires» et transige avec «la vérité». Quelle vérité ?
La mémoire fabriquée depuis un demi-siècle, craignant qu'elle ne soit en péril ? Ces discours basculent dans le temps présent vers un regard critique sur ce passé sont en fait une réaction dans la longue guerre de mémoire que les nostalgiques livrent au présent depuis la perte de l'empire colonial français. On mesure que dans cette campagne de nostalgiques du passé colonial, se livre, à cet instant, un rapport de force qui n'est en réalité que le prolongement d'un long combat et surtout d'une mise en forme doctrinale pour donner à l'extrême droite actuelle et à une partie de la droite une pensée commune sur le passé colonial, en lien avec les enjeux idéologiques du présent. On y mêle religion et terrorisme, chômage et immigration illégale, plutôt que pouvoir d'achat et inflation...
Les images qu'ils gardent dans leur esprit étroit, ce n'est pas une Algérie indépendante, nouvelle, jeune et ouverte vers le modernisme et la prospérité. C'est plutôt une série d'images et de vieux souvenirs sur le «charme» impérial, avec l'Indochine, les missions catholiques, le tourisme aux colonies, et bien entendu la République protectrice. Cette ancienne iconographie permet d'arriver en douceur sur l'esprit colonial français. La nostalgie est aussi une sorte de métaphore d'une France idéale, une France qui maîtrisait ses minorités, qui était une grande puissance sur tous les océans et un temps où l'ordre du monde était en phase avec la hiérarchie des «races», d'où les prénoms étrangers des Français qui dérangent fortement Zemmour. Les discours de Marine, de Zemmour et d'autres nostalgiques font allusions et sans honte, aux «moments de grandeur, d'échanges et des respects » avant «l'adieu aux larmes» de 1962. Cette «défaite» et la perte de la colonie n'est pas à imputer, selon eux, à l'armée qui a perdu, c'est l'argent qui manquait, les moyens qui manquaient, les politiques qui manquaient à leur devoir. Pour ceux qui n'auraient pas compris, la France n'a pas asservi, n'a pas dominé, n'a pas profité de l'Algérie, bien au contraire.
Ce pays a été «sauvé des mains des Turcs par la France». Ce pays était endormi et la France l'a réveillé... Les lumières de la République ne dominent pas, elles libèrent, elles apportent la civilisation dans les ténèbres. Ici, plus qu'ailleurs. Les ultra et anti-repentants professionnels entrent en scène avec la fameuse loi sur: «le bilan positif de la France». Ils tentent de se convaincre et de convaincre leurs adeptes, «prouvent» que la colonisation-pillage est un mythe, et parlent plutôt d'une France qui a plus perdu que gagné aux colonies. Et de lancer en direction d'Emanuel Macron qu'il est «temps d'en finir avec cette honte française imprégnée dans nos esprits par les slogans culpabilisateurs». Ils vont jusqu'à évoquer les pères blancs («anges gardiens des colonies»), Charles de Foucauld, les tirailleurs sénégalais «morts pour la France», la protection de la France en Syrie, etc. La mécanique est bien rodée. Ne doutons pas, elle est efficace et elle marche encore. Mais il reste le cœur du dossier. Mais le sujet le plus récurent dans cette campagne des nostalgiques est bien sûr l'Algérie française. L'attaque est directe contre Macron, mais aussi contre Hollande, les «falsificateurs de l'histoire», et l'histoire, selon eux, doit être remise à l'endroit : «La France a fait l'Algérie, l'a libérée des barbaresques, de l'esclavage et des ténèbres». En premier lieu, et dans leurs discours en public ou dans l'intimité, l'histoire de l'Algérie française aurait été «occultée», et on refuse de voir l'œuvre de cette République au Centre du Maghreb, en marche, vers un meilleur avenir. On ressort le vieux mythe d'une Algérie qui aurait pu être coupée en deux en 1961, avec un Etat pour les Européens et un pour les musulmans.
La nostalgie toujours et l'incapacité de porter un regard lucide sur ce qu'était la situation coloniale, comme si c'était un paradis pour tous. Tout cela a un petit parfum de revanche de la droite ultra qui (re)trouve dans cette nostalgie coloniale l'un de ses vieux chevaux de bataille capable, selon beaucoup, de fédérer les conservateurs de droite et l'extrême droite. Une «histoire commune», une nostalgie en partage. Nous le voyons à travers cette campagne, le débat sur l'émigration illégale, les réfugiés maghrébins et les Subsahariens qui envahissent la France, mais aussi sur le passé colonial de la France qui n'a pas cessé d'envahir l'espace public dans cette campagne des nostalgéries. En fait, rien de neuf, les tenants de la nostalgie coloniale n'ont jamais posé les armes. Pour comprendre cette guerre des mémoires, au cœur des enjeux du présent et de la société française, il faut revenir quelques années en arrière. Les présidents et gouvernements qui se sont succédé ont donc décidé de ne rien faire (pour dépasser les traumatismes du passé), ont laissé faire les nostalgiques (qui ont occupé le devant de la scène mémorielle) et, dans le même temps, la droite et l'extrême droite ont politisé ce passé à des fins électoralistes. Au final, 60 ans après le début de la fin de l'Empire (1958), la France est toujours incapable de fédérer les mémoires et de pacifier ce passé qui ne passe pas. La force du déni en France attise la concurrence des mémoires, laissant libre court à ce type de discours. Elle renforce le sentiment d'une partie de la population -et en particulier les Français descendants des immigrés postcoloniaux- que leur histoire est niée et favorise l'aveuglement sur les politiques néocoloniales menées en Afrique. Tout cela a fabriqué, décennie après décennie, une forme de rancœur mémorielle. Puis sont arrivés la crise de l'immigration, la peur du déclin de la France, la crise avec l'islam de France et le débat sur l'identité nationale, qui à chaque fois n'ont fait que toucher au passé colonial, c'était être un «mauvais Français» et fragiliser la République et ses valeurs.


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