Les femmes ne font pas cela Le premier recueil de nouvelles (182 pages), de l'écrivaine algérienne Ghizlan Touati, publié récemment par la Maison d'édition jordanienne Fadâ'ât. Au premier regard, mon attention a été attirée par le titre lui-même. Dès que l'on entend cette expression, cela nous incite à se poser la question suivante : que font les femmes et que ne devraient-elles pas faire ? C'est d'une part, et d'autre part, l'expression les femmes ne font pas cela, dans notre dialecte algérienne Al-Nessa maydirush haka est un reproche, une réprimande faites à la femme qui contrevient aux règles les plus élémentaires imposées par la société patriarcale ; une sorte d'avertissement, de menace pour la femme qui refuse d'obéir et de se soumettre aux ordres. Tout ce qu'une femme peut faire et que ne soit pas au goût de son entourage, il est passible de punition d'une manière ou d'une autre. Une femme, donc, ne doit pas faire, et ne doit pas être, ni même penser ou rêver que dans les cadres définis au préalable. En revanche, quand on finit de lire ces nouvelles, et dans un concept complètement opposé à ce qui a été évoqué précédemment, on conclut que l'écrivaine a habilement transformé le concept de cette expression (le titre) en une incitation à résister, à un défi que la femme doit relever pour tracer son chemin et prendre son destin en main ; c'est un renversement de situations que les héroïnes de ce recueil ont réussi. Discutons du contenu. Le recueil comporte huit récits aux thèmes et enjeux variés (avortement, logement, travail, virginité, jalousie, sexe, maternité, amitié...) dans des milieux sociaux et niveaux culturels différents (riches/pauvres), (instruits/analphabètes), ou encore dans des aires géographiques multiples (ville/ périphérie/ campagne). Cette diversité lui a conféré une grande richesse littéraire ainsi qu'une vision importante sociologique et psychologique. Le lien commun entre ces femmes est celui de la conscience de leur condition, c'est pourquoi on peut dire que les nouvelles de ce recueil appartiennent à une littérature féministe engagée. Cependant, en le lisant, on ne détecte pas -ou presque pas- un parti-pris par l'autrice, dont le caractère d'un fanatisme «féministe» aurait combiné à une hostilité à l'égard des hommes. Avec une telle subtilité que l'autrice nous guide à réfléchir, à se poser des questions que jusque-là la majorité d'entre nous refusent à entendre et encore moins à se poser. Le recueil s'ouvre par une nouvelle intitulée : « l'Affaire 311', Naïma Sassi, sa principale protagoniste est une institutrice, épouse et mère de famille. Elle se trouve obligée d'avoir recours à un avortement non autorisé. Naïma est alors, contrainte de faire face à une succession d'obstacles et de jugements moraux, sociaux et en particulier juridiques. Il s'agit peut-être de la première fois qu'un travail littéraire arabophone se préoccupe de l'avortement d'un point de vue juridico-social. Alors, comment Naïma Sassi va-t-elle faire quand un simple geste médical -l'avortement- devient une affaire passible à une affaire judiciaire ? Puis Ghizlan Touati, nous emmène dans sa deuxième nouvelle Derrière le rêve' d'une manière fluide, simple et moins complexe au quotidien de la jeune étudiante au conservatoire Kenza, dont le projet est celui de devenir une grande musicienne. En dépit du regard de la société et celui de sa propre famille, elle suit son rêve, avec optimisme, légèreté et gaité de cœur. Cependant, la vie n'est pas en rose, quand «Hussein» fait irruption dans sa vie. La jeune femme doit, donc, choisir entre un amour qui vient de naître et son rêve et sa liberté ; le choix est vite fait, Kenza préfère sa passion plutôt qu'un amour mort-né. Kheira, quant à elle dans Les femmes ne font pas ceci'... -le recueil en porte le titre-. Elle est issue d'un milieu rural, après de nombreux évènements, elle débute une nouvelle vie, et la première chose qu'elle devait faire était de travailler dans un champ agricole. On comprend, que c'est ce qu'elle a toujours fait auparavant pour aider sa famille. Toutefois sans récompense financière. Le travail et le salaire sont-ils un tournant dans la vie de Kheira ? Vont-ils rendre les perspectives et les rêves possibles ? Enfin je termine cet aperçu par une nouvelle bien intrigante dont le titre est La Rencontre', que je peux considérer comme étant une conclusion de tous les récits du recueil. C'est l'histoire de trois amies d'ancienne date, perdues de vue depuis longtemps. Kamla, Khadija et Sumayya se rencontrent dans le café (Jazz Garden) dans un quartier d'Oran. En discutant, des souvenirs surgissent, des sentiments, des moments de leurs années au lycée, le passé n'est jamais réellement passé. D'un coup les reproches commencent, les sujets de discussion ne nous laissent pas indifférents : l'amitié, l'amour, le mariage, la maternité biologique, le travail des femmes, le tout en lien avec le bonheur de chacune. Leur conversation, tantôt calme et tantôt un peu houleuse. En fait ce récit est un inventaire de trajectoires de vies différentes. Des choix non assumés, en particulier par Sumyya et Khadija, toutefois «Kamla», à quarante ans célibataire, insoucieuse, indépendante et épanouie, elle assume entièrement son bonheur, même si, aux yeux de sa société, elle est considérée comme une femme incomplète, car elle n'est ni mariée ni mère. «Tu n'es plus une jeune fille, tu as quarante ans, bientôt tu vas être à la ménopause, et quand ton vagin deviendra sec, tu regretteras toute cette vie de bohème» avertit, Sumyya à Kamla. Je m'arrête là, et je laisse le lecteur découvrir le destin bien particulier de ces femmes, ainsi que les autres femmes (Zohra, Sara, Djamila et les autres...) dans les nouvelles restantes. Quand j'ai commencé la lecture de ces nouvelles, j'ai cru, qu'il s'agit d'une écriture purement féministe comme il y en a beaucoup. Néanmoins, dès les premières pages j'ai remarqué qu'il y avait une différence et quelque chose de nouveau dans la façon dont les thèmes sont abordés. L'écrivaine a su exposer un point de vue pour le moins nouveau, par son habilité, sa subtilité, sa lucidité et en particulier sa nuance avec une langue simple et limpide, des dialogues forts, mais agréables, une narration sérieuse, mais pas lourde, auxquels s'ajoute la fluidité du style. C'est ce qui distingue ce recueil de nouvelles et lui donne son originalité tant dans la langue que dans le style, de sorte qu'il est impossible d'arrêter de lire ou d'oublier ce qui a été lu. Je peux dire sans exagération que pour la première fois que je lis des nouvelles en arabe sur la condition des femmes, et qu'elles me donnent l'impression d'être à une époque de lutte, de résistance d'écrivaines féministes, telles Virginia Woolf, Simone de Beauvoir, Doris Lessing et Margaret Atwood.