«Au revoir Tlemcen ! Merci pour cet accueil au-delà des espérances. Merci pour tous ces sourires et ces mots qui raisonnent longtemps. Et puis merci pour cet immense cadeau fait à maman. Son bonheur et son émotion resteront gravés...Et Maintenant, direction Oran». C'est avec ce message publié, vendredi matin, sur son compte Instagram que Patrick Bruel a clos sa visite de deux jours dans sa ville natale, Tlemcen, en compagnie de sa mère. Il n'était pas au bout de cette émouvante et presque surréaliste histoire de retrouvailles avec son pays natal, 60 ans plus tard. Un autre épisode tout aussi émouvant, mais surtout hautement symbolique, l'attendait à Oran. La ville d'Yves Saint-Laurent. Sa maison. Deux histoires, deux expériences de vie, deux lignes d'univers qui ont beaucoup de points d'intersection et de similitudes. A l'origine, au commencement, dans un cas comme dans l'autre, il y eut d'abord la terre natale : l'Algérie. La naissance puis l'enfance. Ensuite, soudain, le départ, la séparation. Avec ou sans les adieux. Avec ou sans l'espoir, ni même la pensée, d'un retour. Et puis ensuite l'apprentissage au quotidien, l'autodidactie, l'éclectisme et, enfin, l'explosion de la créativité, de la passion et du talon. Et, chemin faisant, une célébrité évoluant à la vitesse de la lumière dans les quatre coins du globe. A la fin, ou vers la fin, il y a eu au final le grand créateur-couturier qui est mort avec son rêve, celui du retour au pays natal, et le grand artiste-chanteur-interprète qui vient peut-être de commencer une nouvelle vie après avoir réalisé le sien. Et, peut-être, au centre du centre de l'histoire, et en même temps au-delà du tout, il y a la mère. «C'est l'émotion qui finit par l'emporter», soupire Patrick Bruel comme pour conclure sa petite conversation avec Kamel Daoud et quelques autres invités, au tout début de la visite guidée qu'il a effectuée dans la maison d'Yves Saint-Laurent, 11 rue Stora, Plateau Saint-Michel, Oran. Non sans avoir raconté, une fois encore, l'histoire-signe qui l'émeut encore et toujours : «Pendant que j'écrivais ma nouvelle chanson, Je reviens', j'ai reçu un coup de téléphone m'informant que les autorités algériennes souhaitaient que je revienne en Algérie et qui plus est avec ma maman. C'était un signe pour moi... Et, aujourd'hui, je suis bien là en Algérie. Après Tlemcen, je me trouve à Oran en ce moment présent. Et, plus précisément, dans la maison d'Yves Saint Laurent. Incroyable !». Dans l'interview qu'il a bien voulu accorder au Quotidien d'Oran, au salon de la maison d'Yves Saint-Laurent, l'artiste aux millions de disques vendus, a notamment balayé d'un revers de la main ce qui est largement, et depuis assez longtemps, répandu, à savoir que le chanteur français Patrick Bruel-Benguigui, né à Tlemcen le 14 mai 1959, d'un père et d'une mère aux origines berbères-juives, s'est vu refusée à maintes reprises sa demande de retourner en Algérie. En effet, à en croire certaines sources reprises par des médias français et algériens, Patrick Bruel aurait, sans succès, à chaque fois, fait des démarches en ce sens en 2001 dans le cadre d'une délégation française d'artistes juifs nés en Algérie, et ce à l'occasion du Festival d'été, puis lors de la visite de Nicolas Sarkozy en Algérie en 2007 et ensuite, pour la troisième fois, à l'occasion de la visite en 2017 d'Emmanuel Macron en Algérie. «Il n'y a jamais eu de ma part une vraie démarche en ce sens qui a été contrée... Jamais, au grand jamais. Pour preuve, la seule fois où j'ai fait une démarche à cet effet, ça a abouti sans problème et aujourd'hui je suis bien là, et avec ma mère en plus, dans mon pays natal que j'aime de tout mon cœur. Encore une fois, je vous affirme que l'Algérie ne m'a jamais refusé une demande d'entrée au pays», dément-il fermement. Le Quotidien d'Oran : Quelle a été votre première impression en retournant, soixante ans après, à votre ville natale Tlemcen ? Patrick Bruel : Une immense émotion. Une émotion complexe. Une double émotion, en fait. La première : moi qui reviens là où je suis né. Pour respirer les parfums, sentir et toucher les éléments de mon enfance. Je sais que je n'en ai pratiquement pas de souvenirs car j'avais à peine trois ans quand je suis parti. Mais il y a bien cette émotion particulière de fouler le sol du pays où on est né après tant d'années. Il y a en même temps l'émotion de voir l'émotion de ma mère. Et cela est pour moi le plus important dans ce voyage. J'étais tout petit lorsque nous étions partis tous les deux, ma mère et moi. Les voyages les plus importants de ma vie, je les ai tous faits avec ma mère. Et celui-là en est de loin le plus important. C'était impensable que je le fasse sans elle. Nous faisons ensemble ce voyage et recevons ensemble toute la douceur et l'émotion de l'instant présent et de l'amour qui nous encadre pendant ces jours. L'extraordinaire regard des gens qu'on croise. Partout où on va. Que ce soit à l'école où ma mère enseignait à l'époque, à la maison où elle a grandi, celle de mes grands-parents ou à la maison où je suis né... On est toujours tombé sur des gens gentils et aimables. Dans l'école où maman était enseignante, des élèves nous ont reçus avec mes chansons. Tout le monde était là, le directeur de l'établissement, les enseignants, les parents d'élèves... Nous sommes allés ensuite à la mairie pour voir au service d'état-civil nos registres de naissance et le registre de mariage de mes parents. A chaque point et à chaque fois, tout était si bien organisé. On a été toujours bien reçus grâce à l'Ambassadeur de l'Algérie en France, M. Saïd Moussi. Toute l'équipe était là, services consulaires compris. Bref, tout était organisé à la perfection. Mais la seule chose qu'on ne peut pas organiser, c'est le supplément d'âme. Ça on ne peut pas mettre en place. Soit il est là soit il n'est pas là. Ce qui s'est passé, et j'ai encore des frissons quand je vous en parle là maintenant, était tout simplement merveilleux. Ce qu'on a vécu, c'était au-delà des espérances. Une autre dimension. Je suis très heureux parce que maman a vécu un moment extraordinaire. Et puis, ça a confirmé ce dont quoi j'étais élevé. J'étais élevé dans l'amour de ce pays et dans le souvenir de mes grands-parents et de mes oncles. Ils m'ont toujours raconté et transmis la douceur du vivre-ensemble des communautés. Moi, je n'étais pas élevé dans la rancœur, la haine et la revanche. Donc j'arrive là déjà apaisé. Et je repars encore plus apaisé. C'est tellement joli ce qui se passe depuis trois jours. Tout est joli. Aujourd'hui à Oran, cette visite est aussi symboliquement importante. La maison d'Yves Saint-Laurent est porteuse de beaucoup de messages. Voilà, c'est une grande émotion et je suis très heureux d'avoir fait ce voyage et je sais que cela touche plein de gens. Surtout quand on y ajoute ces témoignages d'affection des gens que j'ai rencontrés sur mon chemin tous les jours, avec cette phrase qui revient en boucle dans toutes les bouches: «Soyez les bienvenus chez vous !». C'est ça le titre de notre voyage en Algérie. Q.O. : Patrick Bruel a toujours porté l'Algérie dans son cœur et il n'a de cesse d'exprimer son désir d'y retourner un jour. Cela ne s'est pas réalisé et ce n'est pas faute pour lui d'avoir essayé, à ce qu'on dit. Il y aurait eu, croit-on savoir, plusieurs tentatives de sa part de 2001 à 2017, mais en vain. Qu'est-ce qui se serait passé dans l'intervalle pour que sa démarche soit enfin couronnée de succès avec l'acceptation, cette fois-ci, par les autorités algériennes de sa demande d'entrée, en vertu de laquelle il fait son tout premier voyage en Algérie ? Patrick Bruel: Au fait, il n'y a jamais eu de ma part une vraie démarche qui a été contrée. En vérité, il y a eu ceci : «Tient, il est temps d'y aller » puis «Ben alors on va y aller» et puis ensuite «Non on ne peut pas y aller maintenant, on décale. Ça sera pour une autre fois»... Bref, une longue série d'annulations personnelles et de reports pour x raisons. Mais une démarche à proprement parler, en ce sens, il n'y en a jamais eu. Q.O. : Donc, il n'y a jamais eu une demande pour l'obtention de visa d'entrée en Algérie pour Patrick Bruel comme membre d'une délégation française dans le cadre d'une visite présidentielle ? Patrick Bruel : Non, jamais. Et ce pour la simple et bonne raison qu'on ne m'a jamais proposé ça. Q.O. : Fin 2017, il était annoncé à travers plusieurs médias d'ici et d'ailleurs que Patrick Bruel devait faire partie d'une tournée en Algérie, programmée pour début janvier 2018, du chanteur Idir avec lequel il devait faire un duo. Vous confirmez ? Patrick Bruel : Ah voilà, là oui. En effet, je vais vous expliquer qu'est-ce qui s'est passé au juste. J'allais vous en parler justement. A l'époque, quand Idir m'a appelé pour faire un album avec lui, j'étais tellement flatté et heureux à l'idée qu'on puisse chanter ensemble. On devait venir le 4 janvier (2018) à Alger, mais le problème c'est que j'étais à ce moment-là à Los-Angeles tout seul avec mes deux enfants, dont un allait très prochainement faire sa rentrée en classe. Je ne pouvais absolument pas les laisser seuls, raison pour laquelle je me suis excusé auprès d'Idir de ne pouvoir me rendre avec lui à Alger. C'était la seule raison. Evidemment, j'ai tellement regretté cela d'autant que c'était là pour moi une double joyeuse opportunité : venir en Algérie et y chanter avec Idir. Mais Idir est omniprésent dans ma relation avec l'Algérie. Présent surtout de par ce duo qu'on a fait ensemble (chanson intitulée «Les larmes de nos pères») et par l'hommage que je lui rends dans ma chanson «Je reviens». Idir est dedans. Il fallait qu'il soit dans cette chanson. Q.O. : Donc, pour clore le débat, il n'y a jamais eu un refus de la part des autorités algériennes à l'adresse de Patrick Bruel pour une demande d'entrée en Algérie que ce soit pour une visite personnelle, professionnelle ou sous le sceau d'une délégation officielle ou tout autre motif ? Patrick Bruel : Jamais, au grand jamais. Pour preuve, la seule fois où j'ai fait une démarche à cet effet, ça a abouti sans problème et aujourd'hui je suis bien là, et avec ma mère en plus, dans mon pays natal que j'aime de tout mon cœur. Encore une fois, je vous affirme que l'Algérie ne m'a jamais refusé une demande d'entrée au pays» Q.O. : Les relations entre l'Algérie et la France connaissent un vrai réchauffement depuis quelque temps et en tête des mesures sur lesquelles ont convenu les présidents actuels des deux pays : la réconciliation mémorielle. Les artistes, notamment ceux français nés en Algérie dont vous êtes, n'ont-ils pas un rôle-clé à jouer dans l'apaisement des tensions et le rapprochement des deux pays ? Patrick Bruel : Vous savez, tout ce qui tend à rapprocher les gens, à parler, s'entendre et se comprendre, c'est de la bonne initiative. Moi, je suis très heureux depuis trois jours et je ne vois autour de moi que de la bienveillance, que de la gentillesse, que de l'amour. Merci d'être là ! Et donc je me dis qu'on a tellement de belles choses à faire ensemble Français et Algériens. Il n'est jamais trop tard. De telles initiatives sont formidables et louables à tous les égards. Nous sommes deux pays qui avons beaucoup à apprendre l'un de l'autre et à œuvrer ensemble. Donc, on sera toujours là pour saluer ces actions et y contribuer. Q.O. : Votre sentiment en visitant la maison-musée d'Yves Saint-Laurent, là où nous sommes en ce moment ? Patrick Bruel : Je trouve que c'est avec beaucoup de délicatesse que Monsieur Mohamed Afane a entrepris la restauration de cette maison. Il a parfaitement réussi à l'aménager et la meubler à l'identique. Chapeau bas ! Là où on se parle maintenant, on a les pieds posés sur la tomette d'origine. Je trouve cela très émouvant. Jusqu'aux moindres détails, on est là dans quelque chose de très humain. Et tout à l'heure quand je suis entré dans la pièce où il y avant la machine à coudre et l'élément de travail, j'ai senti une vibration dans la pièce. J'ai bien envie de m'asseoir là pour très longtemps et d'écrire de nouvelles chansons.