Il y a de l'électricité dans l'air, et les esprits sont tendus de bon matin pendant ce mois sacré du ramadhan. Presque tout le monde s'emporte facilement. Il suffit d'un mot mal placé, d'une petite bousculade ou d'un regard mal placé pour que les hostilités soient engagées entre les belligérants qui s'échangent des mots avant des coups de poing pour démarrer la journée. Le regard est malsain et fulgurant. Les cheveux sont hérissés et mal peignés. Les yeux bouffis et le regard menaçant. La parole est arrogante et provocatrice. La férocité et l'énervement font le plein. Tout le monde est fâché et se cherche la petite bête. C'est le moment propice pour attiser la querelle. «Touchini tchouf, wallah nessaraak !» (Touche-moi et tu verras, je jure que je vais t'assommer). Le ramadhan, tel qu'il est compris par certains, a gagné la partie en face de jeuneurs trop fragiles (ghlab'hom ramdhan). Les fruits et les légumes font aussi des leurs. Elles sont désagréables et n'aiment pas les curieux qui marchandent et qui demandent seulement à connaître les prix. La mercuriale joue au trampoline sans peur ni reproche. Chez les bouchers, les gens ne s'arrêtent pas trop pour admirer la viande rouge ou blanche qui nargue les acheteurs hésitants. Il y a le feu dans les boucheries et les prix sont brûlants pour ceux qui osent s'approcher de trop près. Il n'y a pas grand-chose dans les sachets noirs. Des aubergines, des carottes, des pommes de terre et des navets, du kosbor (coriandre) pour la chorba de ce soir. Devine qu'est-ce-que nous mangeons ce soir ? Et bien ce soir nous mangerons comme d'hab. De la chorba frik, une salade variée et du «djadj bezitoune» (poulet aux olives) accompagné de «kesra taa arabe» (pain maison). Malgré tous ces déboires que rencontre le pauvre jeuneur, rien n'arrête les folles envies des affamés. Tout s'achète, tout se vend et tout se jette à la fin de la rupture du jeûne. La corvée du marché ne s'arrête pas le matin, parce qu'elle reprend de plus belle à deux heures de la rupture. C'est la tournée des gourmands chez le marchand de poissons d'eau douce frits, sinon chez le rôtisseur de «bouzelouf» (tête d'agneau). On fait aussi le plein de gazouze et de «machroubettes» en tous genres, cherbettes, leben et eaux de source. Ce ne sont pas les moyens qui manquent pour garnir la table, pour le plaisir des yeux et de la panse et il n'y a pas de pénuries de produits alimentaires, mais c'est surtout le manque de raison qui manque chez les goinfres qui se dépècent avec leur propre argent.