[email protected] Bedonnant et joufflu, Rabie raconte ses exploits gargantuesques en cette première semaine de Ramadhan. Il tient en haleine ses collègues tout ouïe, regroupés dans le bus en attendant le départ. En cette chaude après-midi, «je suis toujours étonné par ceux qui se contentent d'un bol de chorba après 16 heures de jeûne. Moi, si je n'accompagne pas cette entrée par sept bouraks je ne considère pas que je me restaure. C'est le summum du plaisir quand j'entends les khech-khech des feuilles de dioul croustillantes qui craquent sous mes dents». Rabie ne s'arrêtera pas là. Joignant le geste à la parole, il continue son récit en évoquant la suite du menu. «Après cette première mi-temps qui me met l'eau à la bouche, j'attaque la seconde avec un bouzelouf baignant dans une sauce rouge épaisse et piquante garnie de gros pois-chiches tendres. Quel bonheur d'y tremper du pain fait maison encore tout chaud ! Acheter cet aliment, c'est banni durant ce mois. J'ai fait mon stock de semoule, et je suis tranquille. Et le tout arrosé de mon soda préféré, glacé, tout pétillant qui descend en me rafraîchissant le gosier. - Nom de Dieu, tu vas t'arrêter ou pas ? Tu as suscité notre soif. - Ce n'est pas fini. Ne me sentant pas encore repu, je comble encore un petit creux avec quelques fruits. Je me lève de table et je m'affale sur le divan du salon. Elle (s'entend son épouse, sans la nommer) m'apporte une assiette pleine de prunes rouges et luisantes, d'une fraîcheur à vous faire mal aux dents. Ahuri, l'un de ses compagnons lui lance : - Mais ma parole, tu es un dinosaure ! - Mais qu'est-ce que tu crois, comment tu peux tenir une longue journée sans rien avaler, si tu n'as pas de réserves ? - ça ne m'étonne pas de toi, puisqu'en temps normal, tu n'arrêtes pas de te goinfrer. - Tu veux la vérité, moi, le Ramadhan, j'adore car c'est le mois où elle me cuisine les plats les plus inimaginables. Le menu, c'est moi qui le dresse. Elle ne fait que se plier à mes exigences. Mon bonheur, c'est lorsque je rentre le soir et que je vois la table garnie de tous les mets qu'on prépare uniquement durant ces trente jours. Et le moment du shor, c'est encore du plaisir : des petits-pains au chocolat avec une bonne tasse de café au lait, mon morceau de kalbelouz, c'est sacré ! Et bien sûr, le mesfouf aux raisins secs que j'accompagne de petit-lait pur vache. - On dirait que tu as du béton à la place de l'estomac. Rien qu'à t'entendre, j'ai mal au cœur. Où tu peux mettre tout ça ? - C'est normal, regarde-toi, tu es maigre comme un clou. Evidemment tu ne peux te contenter que d'une soupe et d'un bourak !