C'est quand même aberrant de voir d'éminents historiens se crêper le chignon autour de ces « Lois Mémorielles » ; les uns estimant que le métier d'historien ainsi que cette sacré vérité à laquelle il proclame vouer sa vie est menacé par un ordre législatif qui déborde de ses attributions. (23) Les autres prétendent qu'au contraire, jamais et à aucun moment cette liberté de l'historien n'a été mise en péril et qu'au contraire ces Loi et notamment la Loi Gayssot s'est appuyée sur cette objectivité tant vantée et essentielle de l'historien pour légiférer dans le sens de ce devoir de mémoire. (24) La crainte de certains intellectuels n'est pas tant fondée par la menace qui pourrait peser sur leur liberté de penser et la recherche la vérité que sur la forte probabilité de voir émerger d'autres parties de la société française , jusqu'maintenant fossilisées , qui se mettraient subrepticement à occuper le devant de la scène sociale et politique, de la mémoire et finalement de l'histoire et de l'identité française. Cette spécificité du génocide juif et cette unicité que l'on a tous voulu imprimer à cette douloureuse période de l'histoire , cette frénétique et pathologique volonté à en faire un fait unique dans l'histoire de l'humanité, son instrumentalisation effrénée et démesurée qui ne s'est focalisée qu'à travers les pays où les lobbys juifs ( certains pays d'Europe , Etats-Unis ) avaient les moyens de prendre en otage les mémoires , font de cet événement une étrangeté dans l'histoire de l'humanité , un fait qui ne semble concerner que les Juifs et qui n'aurait pu toucher que les Juifs. En dépit de tous les efforts de certaines personne sensées qui ont inlassablement tenté de faire de ces crimes contre l'humanité une ignoble tragédie qui doit aussi bien interpeller les peuples africains , asiatiques , latino-américains ; ceux-ci sont heureusement ou malheureusement restés totalement insensibles ou peu intéressés à la Shoah et à la spécificité qu'on voulu lui attribuer en tant qu'événement incomparable et disjoint des autres atrocités et guerres contemporaines ( première et deuxième guerre mondiale , totalitarismes divers : période stalinienne – fascisme…). L'indifférence des ces peuples est aussi en grande partie due au fait qu'ils constituent eux aussi d'anciennes victimes de barbaries et génocides divers, et qu'en subissant consciemment cet ostracisme mémoriel, ils sont parvenus à prendre conscience de ces velléités manifestement injustes, impartiales et discriminatoires d'écrire et de focaliser l'Histoire et la Mémoire au profit d'une seule ethnie privilégiée. Dans son livre «The Holocaust in American life », l'historien américain Peter Novick rappelle cette vérité générale « L'affirmation par un groupe de son statut de victime historique – pour des raisons de race , d'appartenance ethnique… – est toujours essentielle dans la revendication d'une identité distincte » et prend ce soin si particulier de préciser que « au sein de la société américaine , les juifs américains étaient de loin le groupe le plus riche , le plus instruit et le plus influent. » pouvant ainsi« revendiquer le titre de victimes (par procuration) avec tous les privilèges moraux qui lui sont associés.» En d'autres termes, nous devons impérativement nous demander quelle est cette logique et ce bon sens qui consiste à attribuer un apport pédagogique salutaire à cette manière de squatter la Mémoire , l'Histoire et l'émotion , en prétendant faussement œuvrer pour que des atrocités analogues ne puissent se reproduire à travers le globe et se rendre terriblement compte chaque jour que depuis 1945 d'autres barbaries n'ont jamais cessé de se tisser de manière démonique pour happer une tranche de l'humanité. Ce Devoir de mémoire ne sert-il à protéger en fin de compte que les Européens, les Américains afin qu'un autre génocide ne puisse guère se tramer chez eux ou constitue-t-il un message universel ? « Comme si, sans précédent dans l'histoire, la shoah ne s'inscrivait pas dans la terrible chaine des crimes contre l'humanité. Comme si l'universalité des leçons qu'il convient d'en tirer ne garantissait pas, sa mémoire. Comme si, pour l'avenir, sa sacralisation n'était pas aussi dangereuse que sa banalisation. » (25) On ne pourra jamais assez le répéter , s'accaparer jalousement un drame , en faire une propriété personnelle , un fait si spécifique et unique dans l'histoire de l'humanité ; s'amuser à monopoliser le droit sur la compassion , la contrition , la repentance , c'est s'amener à nier les mêmes revendications légitimes et humaines des autres et les inciter à se délester de leur patrimoine mémoriel également porteur de souffrances indicibles , c'est aussi se condamner d'emblée à l'exclusion par le fait d'excentrer l'empathie des autres du foyer de notre deuil , une empathie qui ne peut se concrétiser que dans un cadre de réciprocité des ( Tu reconnais ma souffrance et je reconnais la tienne ) , c'est enfin rater une immense importunité à se fondre dans la famille humaine , comme l'avait prédit l'universitaire français Robert Faurisson aussi négationniste eut-il pu être : « Le mythe de l'Holocauste enferme les juifs dans un ghetto invisible et les sépare du reste de l'humanité. » l'Historien Peter Novick met en exergue ce jeu malsain qui se déroule aux Etats-Unis à travers une attitude qui consiste d'une part à insister sur le caractère unique de l'Holocauste en créant une hiérarchie malsaine dans la prise en compte d'autres massacres - passés ou récents- comme les événements bosniaques ; et de permettre d'autre part à l'Etat américain d'« entretenir son sentiment d'autosatisfaction » et de saisir une opportunité inespérée de vanter l'American way of life , en ce sens qu'il n'aurait jamais pu engendrer le génocide perpétré par les nazis au cas où d'aucuns se remémoraient l'extermination des tribus indiennes ainsi que d'innombrables autres exactions que l'oncle Sam ne cessera par la suite d'accomplir sans vergogne. C'est d'ailleurs ce même état d'esprit plutôt qu'une démarche scientifique qui a poussé en France une Intelligentzia bigarrée à refuser farouchement que l'on compare l'Holocauste à toutes les autres innombrables atrocités humaines telles que la Traite négrière, le colonialisme, le Génocide arménien… On peut aisément comprendre les controverses très animées et fort instructives qui ne cessèrent d'accompagner les Lois Mémorielles, notamment lorsque celles-ci donnent l'impression à l'Historien que l'Etat empiète sur son territoire et tente de rogner la souveraineté de sa discipline et sa quête quasi sacrée de la vérité historique. Nous ne pouvons que saluer toutes ces formes de vigilances lorsqu'elles s'insurgent contre des dérapages tels que celui inhérent à la Loi du 23 Février 2005 qui consacrait « le rôle positif de la présence française outremer, notamment en Afrique du Nord… », En exigeant que ces hauts faits devraient désormais figurer dans les manuels scolaires d'Histoire. (A Suivre) Notes et Références : (23) D'éminents historiens militent pour l'abrogation des Lois mémorielles, estimant que l'histoire n'étant pas un objet juridique, il n'incombait donc ni au parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique. (24) Un autre courant d'historien s'attarde sur les nuances fondamentales qui existent entre la Loi Gayssot fortement contestable car la seule à créer un délit et prévoir une sanction et les autres Lois (celle du 29/01/2001 portant reconnaissance du génocide arménien , La loi Taubira du 231/05/2001 portant reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, ainsi que la Loi du 23 Février 2005 , celle-là même qui constituait un affront pour le peuple algérien. (25) Tzvetan Todorov « Du bon et du mauvais usage de la mémoire » Le Monde Diplomatique, Avril 2001