Il y a 44 ans, un petit groupe de militants du FLN, conduit par l'infatigable organisateur des premiers réseaux au Maroc occidental, Allal Taalibi, arrivait à Tétouan, dans l'ex-zone nord du Maroc que les Espagnols venaient d'évacuer. Pour être plus précis, c'était au tout début du mois d'octobre 1956. Le FLN avait tissé depuis longtemps, dans cette région du Rif, avec ses farouches montagnards et les groupes de l'Armée de libération marocaine, à ce moment-là en voie de liquidation de solides amitiés et des liens de frères d'armes. Le regretté Mohamed Boudiaf, alias Si Ali, alias Si Tayeb, alias Si Smaïn, avait ses quartiers à ce moment-là à quelques kilomètres de Tétouan dans un sanatorium perché au flanc des montagnes. C'est avec lui que notre petit groupe avait rendez-vous cette nuit-là.Parmi nous, il y avait, outre le frère Allal, le Dr Tidjani Damerdji, alors président de la Fédération des amicales des Algériens du Maroc, mort au champ d'honneur quelques mois plus tard, en wilaya V, les armes à la main ; il y avait aussi cheikh Kheïreddine et, si j'ai bonne mémoire, cheikh Ali Marhoum. Il y avait également d'autres frères que je ne connaissais pas et que je n'ai jamais plus revus depuis. Le docteur Damerdji était apparemment coutumier des lieux. Il était déjà venu à plusieurs reprises voir Si Ali, seul ou avec d'autres frères. Il eut tout naturellement l'honneur du premier tête-à-tête avec Boudiaf. DES DIVERGENCES PERSISTANTES AVEC LES NOUVEAUX RALLIES Ensuite vint le tour de cheikh Mohamed Kheïreddine. Quand il revint à la maison du frère marocain chez qui nous étions tous descendus, il était livide, exténué et bien mal en point. De toute évidence, son entrevue avec Boudiaf n'avait pas été facile. Personne, dans le groupe, n'en semblait surpris, tant les divergences entre les tendances politiques d'origine des deux hommes étaient connues. De plus, les oulémas, aussi bien d'ailleurs que Ferhat Abbas et ses amis près de deux ans avant de se décider à rejoindre le Front et puis personne n'avait oublié les réserves franchement hostiles des uns et des autres, après le déclenchement de la lutte armée, le 1er Novembre 1954. Par ailleurs, on murmurait, déjà à cette époque, que le cheikh Bachir Ibrahimi, un des éminents dirigeants de l'Association des oulémas, avait catégoriquement refusé d'apposer sa signature sur une fetwa consacrant la guerre de Libération en guerre sainte, en djihad et autorisant les moudjahidine par voie de conséquence à ne pas observer le Ramadhan. LE PREMIER COMPLOT D'OCTOBRE 1956 :L'ARRAISONNEMENT DE L'ATHOS Quoi qu'il en soit, nous n'allions pas tarder, les uns et les autres, d'être obligés de taire, pour longtemps, les divergences et les querelles qui déchiraient encore nos cadres. Des périls redoutables, s'annonçaient à l'horizon, en ce mois d'octobre 1956.En effet, une semaine à peine après cette visite à Tétouan, l'Athos, un bateau égyptien, était arraisonné au large de Nador, par la marine de guerre française. Près de 100 tonnes d'armes et de munitions dont Boudiaf en personne devait superviser le déchargement étaient perdues à jamais, le 16 octobre 1956 à l'aube, pour nos combattants de l'intérieur. Qu'on en juge : 2000 fusils, 250 mitraillettes Baretta, 74 fusils-mitrailleurs, 75 mortiers, 40 mitrailleuses et des munitions plus importantes encore, de toute sorte et de tout calibre. Pourquoi cet échec, si près du but et en un tel moment ? Avions-nous été trahis, et dans ce cas par qui ? Des imprudences ont-elles été commises lors du recrutement de l'équipage ? Et le commandant, n'a-t-il pas fait trop confiance à son radio, un ressortissant grec qu'on a présenté ensuite comme un agent double, au service des Français ? Et surtout pourquoi l'a-t-il laissé s'introduire dans la cabine-radio, à quelques dizaines de miles du but, pour lancer des messages ? Toutes ces questions sont restées, ainsi que beaucoup d'autres, sans réponse définitive, jusqu'à ce jour. Par conséquent, toutes les hypothèses d'un premier grand complot contre le FLN restent plausibles. DEUXIEME COMPLOT : L'ARRAISONNEMENT DE L'AVION DES CINQ DIRIGEANTS DU FLN Surtout quand on lie cet arraisonnement de l'Athos, le 16 octobre 1956, à celui de l'avion civil marocain transportant Ben Bella, Boudiaf, Aït Ahmed, Khider et Lacheref de Rabat à Tunis, le 22 octobre, c'est-à-dire une semaine plus tard. Etrange et troublante coïncidence : deux coups terribles la même semaine et dans le même pays frère ! Des coups qui auraient pu mettre au tapis, longtemps, n'importe quel mouvement révolutionnaire.Bien évidemment, la conférence de Tunis fut annulée sine die. Les ultras de France, d'Algérie et d'ailleurs venaient de remporter une victoire aux conséquences tragiques. A suivre