Le remaniement du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), il y a de cela cinquante ans, ne fut pas une nécessité impérieuse. De l'avis des spécialistes, la nouvelle équipe ne changea pas de stratégie. Bien que les mauvaises langues aient prêté à Ben Khedda son intention de gauchiser davantage le FLN, la difficulté effective se trouva ailleurs. En effet, les dissensions à la tête de la révolution handicapèrent le fonctionnement normal des institutions provisoires. Avant le remaniement, le prédécesseur de Ben Khedda, Ferhat Abbas, avait été décrié et contesté par l'EMG (Etat-major général), dirigé par Houari Boumediene. Deux mois plus tôt, un incident (la capture d'un pilote français par l'EMG) avait provoqué un différend entre le GPRA et l'EMG. A l'injonction du GPRA de restituer le pilote aux autorités tunisiennes, l'incident s'étant déroulé sur le territoire tunisien, l'EMG avait récusé l'ordre avant de s'incliner quelques jours plus tard. Et cet incident n'était qu'une goutte débordant le vase. La vraie crise était celle qui opposait le GPRA et l'EMG sur la politique militaire du gouvernement. En effet, les tentatives de l'EMG de contrôler, à partir de l'extérieur, les wilayas intérieures furent le point d'achoppement des discussions. Initialement mis sous la tutelle du CIG (Comité Interministériel de la Guerre), l'EMG finit par écraser ce comité dans le premier temps et le GPRA dans le second temps. Cela dit, bien que la création de l'EMG réponde à la nécessite de diminuer la multiplication des tensions aux frontières, cet organisme visait le pouvoir tout court. Selon Mohamed Harbi, dans « FLN, mirage et réalité », la prise des fonctions de l'EMG, le 23 janvier 1960, avait intervenu dans une phase de reflux. Pour remédier à cette situa tion, l'EMG recourut sans vergogne à la contrainte. Cette dernière, hélas, fit éloigner cette armée de sa structure initiale : l'armée de paysans. Désormais, il devint une armée classique sous la houlette de Boumediene. D'après Mohamed Harbi : « Les unités cantonnées aux frontières tunisiennes sont l'objet de soins particuliers de la part de l'état-major. Elles sont, avant l'heure, l'embryon de l'Etat futur et donneront à la future armée nationale populaire (ANP) la quasi-totalité de ses chefs ». Néanmoins, avant de s'emparer des rennes du pouvoir, l'EMG n'entendit pas se substituer aux personnalités compétentes en vue de mener la bataille diplomatique. C'est dans ce contexte que fut convoqué le CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne), du 9 au 27 août 1961. Lors de ces travaux, l'EMG défendit le principe de la création d'un organisme distinct du GPRA pour mener les négociations. Bien que ce dernier ait été reconnu par la quasi-totalité ou peu s'en faut des pays, sa remise en cause venait des rangs de la révolution. Ainsi, avant la session, l'EMG avait peaufiné sa stratégie. D'après Mohamed Harbi : « Dans un ordre du jour, en présence de Houari Boumediene cachant son regard derrière d'épaisses lunettes noires, le commandant Ali Mendjli exhorte les officiers « à donner une leçon » au gouvernement ». Lors des débats en plénière, les attaques contre le GPRA furent légion. Les membres de l'EMG accusèrent, sans preuves, le gouvernement de chercher une solution de type néocolonialiste. Evitant de se donner en spectacle, les membres du CNRA ne suivirent pas l'EMG dans son délire. Ne faisant plus l'unanimité, Ferhat Abbas fut évincé. Krim Belkacem tenta de lui succéder. Ce fut sans résultat. Ben Tobbal et Boussouf s'y opposèrent fermement. Car il y avait entre eux, les 3B, une sorte de contrat non écrit : ils étaient d'accord entre eux pour partager le pouvoir. Mais aucun ne pouvait prendre le pas sur les deux autres.