Chaque jour, quelqu'un ou quelque chose me rappelle que je suis chez moi. Bienvenue en Absurdistan C'est ça le bled et c'est ça la vie après 50 ans d'indépendance ! Tu n'es pas le seul à dicter tes lois. Ces jours-ci les gens de Mont-Plaisir te sont tous reconnaissant. Oh mon Dieu ! Qu'adviendrait-il de nous si nous étions en guerre ! Il a fallu juste fermer une ruelle, deux ruelles plus bas, pour qu'on retourne aux années 70 de l'Algérie socialiste des chaines et des pénuries. Quelle aubaine offerte par le bitume en cours de pose à Abdaka et la compagnie des taxieurs pour qu'ils fassent le beau temps des usagers en direction du centre-ville ! Le temps d'une nuitée, Abdaka n'a plus l'envie de prêter service à 15 dinars la place. La course à cent dinars les cents mètres est évidemment plus rémunératrice pour éplucher les usagers un par un. Conséquence immédiate de l'humeur de siadna les taxieurs, une foule d'essaims, grommelant, bougonnant et maudissant un Etat qui n'existe pas. Pas plus malin ni stupide que ses frères chauffeurs de taxi de la ville, Abdaka a juste voulu faire comme les autres, et il a entièrement raison. Abdaka n'est pas dupe. Il sait comme vous et moi comment bled tout-beau tout-faux tourne, et comment les mentalités ont tourné avec. Lui aussi fréquente le même souk et le même cinéma à ciel ouvert fermé. Forcément, il voit comment et pourquoi ceux qui ne reculent pas grossissent en allant de l'avant, et sur le dos de leurs frères. Abdaka ne veut pas être feu 10 ou le défunt 50, ces regrettés éponymes de taxis professionnels des années 60 et 70, disparus un jour, dans leur sobriété, leur nudité financière, et seulement leur métier noble. Son local Sidi l'Heureux syndical tentera toujours de lui arracher quelques dinars supplémentaires, qu'il arrachera à son tour à ses passagers. La course au remplissage du sac a été décrétée avec l'économie de marché. Abdaka veut tout juste faire comme les autres. Pourquoi veut-on qu'il ait plus de pitié que les autres ? Pourquoi a-t-il voulu grossir le ventre ?, se demande le client qu'on saigne là où il sort le porte-monnaie. Dans le pétrin du souk où l'un et l'autre ont été embarqués, chacun a ses raisons de cuir ses frères. Il y a la pièce détachée, chinoise si elle n'est pas Taiwan, et il y a celui qui la place, ou remplace par une vieille. Il y a l'huile de moteur rare et chère, il y a la vieillesse à laquelle on doit parer, et il y a les risques du métier. Il y a les impôts au hasard que le collègue clandestin ne paye pas. Il y a également les assurances et les plantons, mais tous ces prétextes à l'augmentation ne sont rien à côté du racket par la location de la licence de taxi. Kheira-l'Etat a voulu que les héritiers et les héritiers des héritiers de l'Algérie vivent de sa peau, par lambeau de deux ans, casqués cash et à l'avance. Alors quoi de plus normal que Abdaka le taxieur choisisse l'option simple de décaper plus nu que soi. Il faut les comprendre parfois, ces Abdaka ! Surtout quand on sait dans quelle sauce nous pataugeons tous. Fellah reconverti, chômeur de luxe n'ayant rien trouvé à faire pour tuer le temps et l'ennui tout en glanant l'argent de poche, ou simple doubleur introduit depuis peu, Abdaka le taxieur n'est pas voleur. Les mentalités ont changé, et lui, forcément avec. Même s'il est parfois chauffard, il n'est qu'un taxieur qui fait la course comme les autres, avec les autres, ou contre les concurrents qui trouvent qui racler.