A dix nuits de la nuit du doute, on n'a pas à douter de ce que Ramdane nous réservera. Comme l'an dernier et prochain, tout comme la décennie passée ou avant-dernière, le bled redécouvre sa face honteuse, son estomac pris en otage et ses plus bas instincts affutés pour l'accueil d'un ramadhan plein de baraka. Alors que ce mois est en principe l'essence même d'un retour à une spiritualité, malheureusement perdue entre fausse dévotion de l'apparat, du maquis résiduel dans les mentalités, et la piété du m'as-tu vu, c'est plutôt dans le fourbissage des armes, la veillée du combat qu'on se débat. Sur les étals, les produits brûlent déjà. Rien d'extraordinaire, le syndicat de nos éplucheurs les commerçants a même prévu à quel taux nous serions grillés davantage : 20% d'augmentation des prix à la baraka de Sidna Ramadhan. Et ce ne sera pas la faute à eux, mais plutôt à nous les malades de l'achat ! Plus haut que la corporation des anges éplucheurs, Mustapha, l'ex probablement futur Vizir du commerce a prédit, expliqué et justifié la flambée des premiers jours de Sidna. Son armée de six mille contrôleurs, y compris les chauffeurs et les appariteurs des directions du commerce, pas corrompus, veillera à nous cuire avec clémence. Cheh ! Dans nous les consommateurs gloutons ! Nous méritons !Ramadhan, chez nous, s'inscrit dans cette logique du bras de fer entre le bien très minoritaire, et le mal ayant largement gangréné nation et société. C'est peut-être simpliste comme jugement, mais le constat s'impose de lui-même, implacable par les tarifs sur les étals, les statistiques sur la violence exacerbée, et l'hécatombe de la route meurtrière. Chacun se retrouve surpris de se voir triste et pataud dans les yeux de son frère. A force de jeûner du ventre, on finit par commettre le déicide inavoué en sacrifiant sa foi pour son foie et ses boyaux. Collant à Ramadhan la responsabilité de toutes sa folie et ses dérives, on s'invente donc un énième bouc-émissaire pour les justifier. Du mois de la compassion, on fait un mois de passions où tout est excusable et justifié de par l'état physique épuisé et languissant. Au gré du dépérissement des mœurs, le Ramadhan est devenu le mois notoire des vols banalisés, des agressions en plein centre-ville, et des crimes gratuits émaillant ses chroniques à longueur de colonnes des journaux. Pas particulier, ce Ramadhan imminent se profile en bombe à retardement dès lors que mal-vie et malaise social, émeutes du logement et des coupures d'électricité, délestage et fournaise divine se conjuguent pour pourrir un été déjà insoutenable pour la pauvre populace. Pas l'heureux gratin qui va faire ses courses et déjeuner sur l'autre rive.