Hna ! Hna ! Nous étions hier à l'accueil de Sidna ! Les journaux ont crié au feu ! sur les étals. L'Etat n'était pas et personne n'a écouté. Ni compris comment et pourquoi ces prix. Contrairement aux humeurs d'un jour de week-end, le peuple est sorti tôt le matin, prenant d'assaut les marchés et les abords de marchés. Emplettes de toutes natures ! Emplettes au plus vite, avant les autres ! Et même emplettes à l'aveuglette, en attendant la bousculade pour la prière du vendredi sacré ! Malgré la mercuriale qu'on disait cruelle, partout il y avait du sur-monde. Chez les bouchers, bovins, ovins, caprins, et les volaillers compris, les ‘'dessertiers'', surtout les légumiers, et même chez les détaillants du poivre et cumin, gingembre, safran, et autres mélanges épicés dits ‘'tête de l'épicerie''. Chez les boulangers, évidemment, et chez leurs dépositaires décentralisés sur les trottoirs et aux sorties des marchés, l'animation des grands jours régnait, et les pains, ordinaires ou spécialement pétris, s'arrachaient. Autant que les sacro-saintes chatteries du mois sacré, kalbellouze, chamiya et carantica, hami khayyi, ou carene de Tlemcen. Hna ! Hna ! Avons-nous donc envahi les souks et les marchés, dans l'effervescence si particulière de Sidna Ramdhane le défiguré. Nous n'avons pas encore vu les pois chiches de Mustapha, ni ses six mille contrôleurs mobilisés à notre secours, ni les poulets de l'an dernier congelés aux 260 dinars/kilo promis, mais seulement des prix qui étaient ce qu'ils ont toujours été à l'accueil d'un ramadhan : fous, hauts et chauds, alors que le peuple ne rebutait point et devant rien. C'est clair et établi, en dépit de la hausse généralisée des prix, en aucune façon, on ne veut, ni peut d'ailleurs, déroger à la tradition : bien remplir le couffin avant la table, le ventre et les égouts, hachakoum. A Alger, côté la Casbah, Beb-El-Wed et pas seulement, dans les vieux quartiers d'Oran, la vieille ville de Cirta, les nouvelles cités de Béchar ou Annaba, et jusqu'à la plus petite bourgade que vous connaissez, à quelques nuances près, l'ambiance fiévreuse demeure du kif-kif au même. Loin de la folle fresque mue par et pour le ventre, ceux qui n'ont pas été payés parce que le budget n'est pas arrivé ou avalisé, ceux dont le virement dépend de l'humeur d'une comptable insoucieuse ou d'un directeur à l'aise financière, ceux qui n'ont pas d'emploi ou l'ont perdu, se suffisent des yeux pour bousculer les autres affairés dans les achats. Plus indigents qu'eux, les pauvres nécessiteux lorgnent du côté de leur Maman Etat, dans l'attente du couffin de Ramdhane. Bonjour la tristesse de Sidna !