Vers la fin de la guerre d'Algérie, la course pour le pouvoir entame l'entente cordiale qui a régné dès novembre 1954. Bien que les statuts de la révolution définissent clairement les conditions du cessez-le-feu, la tentation est si forte que des dirigeants se projettent dans l'après négociation. Ainsi, celle-ci est devenue un enjeu entre les mains de l'EMG (Etat-major général) en vue de se distinguer du GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne). Quoi qu'il en soit, bien que la victoire militaire soit impossible, pour les Français comme pour les Algériens, l'intransigeance de l'EMG n'est qu'une tactique pour faire passer a posteriori le GPRA comme étant le bradeur de l'Algérie. Pour se placer dans le contexte de l'époque, que les partisans de l'EMG le veuillent ou non, le GPRA s'est acquitté de sa mission avec brio. « La victoire ne sera pas obtenue par les armes et il est impossible par conséquent d'aboutir à une indépendance idéale », tente Bentobbal de raisonner les membres de l'EMG lors de la réunion du CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) du 22 au 27 février 1962. Quant à Krim Belkacem, la victoire réside dans « la reconnaissance de l'Etat algérien, uni sur son territoire comme dans son peuple ». De toute évidence, pour parvenir à ce résultat, les diplomates algériens ont dû batailler fort. En fait, bien qu'il y ait eu par le passé des rencontres entre les autorités françaises et les chefs de la révolution algérienne, celles-ci s'apparentaient, du côté français, au mieux à l'octroi d'une indépendance étriquée et au pire à une simple reddition. À la rencontre d'Evian de mai 1961, par exemple, la déclaration de Louis Joxe allait dans le sens de la création d'un futur Etat algérien sous l'emprise française. « La France est prête à envisager une association sur les plans économiques, financier et technique, culturelle et celui de la défense », suggère le représentant du général de Gaulle. De plus, pour les autorités françaises, cette proposition constitue une concession de taille comparée aux positions maximalistes des autorités coloniales émises jusque-là. En tout cas, c'est grâce à la persévérance des diplomates algériens que la donne du conflit va être changée. Cela dit, bien que le GPRA s'appuie sur l'adhésion du peuple à son projet visant à mettre un terme à une guerre rude, le gouvernement provisoire sous-estime l'opposition interne. De toute façon, cachant son jeu, Houari Boumediene montre son désaccord tout en restant dans la légalité. Saad Dahlab, ministre des Affaires étrangères et principal négociateur, est interloqué par cette attitude. « La révolution n'est le monopole de personne. Dites-nous que nous avons oublié quelque chose, que nous avons été roulés, mais ne mettez pas en cause notre conscience, notre patriotisme », déclare-t-il à l'attention de ceux qui essayent d'en tirer profit de cette événement. Cependant, au dernier jour de la réunion du CNRA, Boumediene abat ses cartes. « Trois motifs l'amènent à émettre un vote négatif. D'abord, il faut assainir la situation interne avant d'entrer en pourparlers avec la France. Ensuite, pendant les derniers six mois, l'Etat-major a été tenu dans l'ignorance de ces pourparlers et il ne veut pas que l'autodétermination de son peuple soit faite par les Français », note Rédha Malek dans « l'Algérie à Evian ». Cette mise en garde, bien qu'elle ne soit pas péremptoire, annonce tout de même les futurs orages. En tout cas, bien que le CNRA adopte par le vote des 4/5 de ses membres la poursuite de la négociation, et ce, conformément aux statuts de la révolution, cela n'a vraisemblablement pas l'air de convaincre le chef de l'EMG. Quant au second reproche, Ben Youcef Ben Khedda, président du GPRA à ce moment-là, le récuse sans ambages. « Pour les Rousses, on a sollicité Boumediene, mais il a refusé catégoriquement d'envoyer un représentant », confiera-t-il à Rédha Malek après l'indépendance. D'une façon générale, malgré la subsistance d'une minorité de blocage, le CNRA renouvèle, dans des proportions quasi totales, sa confiance au GPRA. « La résolution est votée par 45 voix contre 4 sur un total de 49 votants. Elle dépasse donc le quorum des quatre cinquièmes des suffrages –soit 40 voix –requis pour la proclamation du cessez-le-feu », écrit le porte-parole de la délégation algérienne à Evian. Tout compte fait, après ce vote, les membres du GPRA vont se montrer combatifs et dignes de la confiance placée en eux. Bien qu'ils aient accompli un formidable travail aux Rousses, à l'ouverture de la conférence d'Evian le 12 mars 1962, la délégation algérienne, conduite par Krim Belkacem, déploie encore toute son énergie en vue d'arracher davantage de concessions à la France. Au bout des discussions marathoniennes, les deux parties s'entendent sur l'essentiel. « L'Etat algérien exercera sa souveraineté pleine et entière à l'intérieur et à l'extérieur. Cette souveraineté s'exercera dans tous les domaines, notamment la Défense nationale et les Affaires étrangères. L'Etat algérien se donnera librement ses propres institutions et choisira le régime politique et social qu'il jugera le plus conforme à ses intérêts. Sur le plan international, il définira et appliquera en toute souveraineté la politique de son choix », peut-on lire dans le chapitre2 des accords, intitulé « de l'indépendance et de la coopération ». En guise de conclusion, il va de soi que la révolution algérienne, bien qu'elle ait atteint son principal objectif, demeure incomplète. Et pour cause ! Les partisans du coup de force de l'été 1962 confisquent la révolution en éliminant, dans le premier temps, le GPRA et en privant, ensuite, le peuple de sa victoire. Dirigée d'une main de fer, l'Algérie est dirigée selon les desiderata de l'homme fort du moment. Du coup, pour la simple raison que Boumediene et ses amis ont voté contre les accords de cessez-le-feu, lors de la réunion du CNRA de février 1962, cet événement n'a plus le droit de cité pendant plusieurs décennies. « La célébration du 19 mars remonte seulement à la présidence de Liamine Zeroual », confie Rédha Malek à « Jeune Afrique » en mars 2012. D'ailleurs, même le cinquantenaire du cessez-le-feu est fêté timidement par les dirigeants actuels. Est-ce parce que Bouteflika fut un proche de Boumediene et aussi membre de l'EMG ? Pour Daho Djerbal, professeur d'Histoire à l'université d'Alger, on ne célèbre pas cet événement, car il rappelle des déchirements et des luttes fratricides.