«La soif sacré de l'or coulait, venin immonde, Répandu dans son corps tout couvert D'armes ! Et une putain régnait sur l'univers ! A cette reine, moi, j'ai déclaré la guerre, J'ai défié les Romains sous qui tremblait la terre ! Dans les monts d'Algérie, sa race renaitra ; Le vent a dit le nom d'un nouveau Jugurtha. »Arthur Rimbaud(1869) Ces héros superbes de mon pays lointain Pour être en paix avec mon âme sceptique et désemparée face à autant de mystère sur cette nature humaine, je déambulais chancelant sur les pas de Ferhat Abbas. J'ai quand même pris le soin de m'épargner les mêmes corvées, c'est à dire interroger des sépultures enfouies avec leurs secrets, leurs rancœurs et leurs espoirs ou tendre l'oreille à ce résidu de survivants qui n'a rien à révéler. Il n'y a pas plus vindicatif qu'une histoire trahie. Elle s'arrange pour creuser des fosses communes dans lesquelles elle prendra ce malin plaisir à y caser tout le monde. Les traîtres de profession, les lâches par omission et une grande masse humaine qui vogue sans aucun port d'attache. Je me suis dit pourquoi à tout prix vouloir chercher une nation avec sa gloire et ses mythes, ses épopées et ses martyrs. Je suis une Nation ! Chacun parmi nous est une Nation, s'il a un cœur pur et l'esprit dépourvu de projets pervers. Finalement, tous nos récits épiques sur la religion et sur la patrie n'ont pas servi à grand-chose, surtout pas à fabriquer des rêves communs. Un territoire de prédateurs, des cohortes de victimes et une immense foule qui prospecte ce qui convient le mieux à sa conscience ou à ses appétits ! Voilà avec quoi nous essayons de coexister. Si cette terre a été le théâtre de tant de rivalités fratricides, de dissensions internes, cette notion de posséder quelque chose qui donne un sens à notre vie et à nos luttes a toujours habité la conscience des populations autochtones. Ces référents identitaires quelles que soient la forme qu'ils seront appelés à prendre tout le long de l'histoire ont su imposer cette consciente subordination de l'être « algérien » à un idéal transcendant que s'approprieront lucidement tant de héros pour revendiquer un « Moi » communautaire ou national censé agréger des destins et tracer la voie des futurs. La rébellion contre l'oppression et la bêtise humaine d'où qu'elles pussent venir, étrangères ou locales s'est toujours manifestée au nom des mêmes principes, reformulés chaque fois autrement mais néanmoins avec une abnégation totale et la conviction inébranlable de la légitimité de la cause à défendre. « Dans les monts d'Algérie, sa race renaitra : Le vent a dit le nom d'un nouveau Jugurtha. Conserve avec la foi, le souvenir chéri du nom de Jugurtha ! N'oublie jamais son sort. Car je suis le génie de ces rives d'Algérie ! » Ces vers prémonitoires d'une Algérie encore une fois rebelle et indépendante hurlés en 1869 par le jeune Rimbaud qui n'avait pourtant que quinze ans réaffirmait cet impératif identitaire, ce serment que les algériens se devaient toujours à eux-mêmes pour cette terre qui réclamait vengeance et justice en invoquant ses descendances multiples : amazighes, arabes, ou autres. Deux milles ans plus tard, après l'enfouissement de Jugurtha hors de sa terre natale, allait resurgir dans les mêmes formes et avec les mêmes exigences ce désir ardent de prendre les armes pour se débarrasser du joug de l'envahisseur non pas dans l'assimilation ou par l'acquisition de quelques piètres privilèges de vassalité mais par la revendication d'une identité et d'une terre sans la moindre concession et forcement en y recourant à l'unification des multiples pouvoirs autochtones morcelés. Ce sera au tour de l'Emir Abdelkader, Jugurtha moderne, de représenter cet idéal, il connaitra les mêmes vicissitudes et mourra lui aussi loin de sa terre natale. (1) Aujourd'hui, dans notre inconscient collectif, Abdelkader est un nom usuel, il peut être celui de cet ascète illustre que nos ancêtres vénéraient comme un remarquable prestidigitateur plus célèbre par son don d'ubiquité post-mortem que par sa mystique religieuse (2), on peut y reconnaitre le prénom du vulcanisateur du coin ou celui d'une personne lettrée. Il peut aussi bien évoquer pour d'autres personnes le surnom attribué à notre actuel président de la république lorsqu'il s'agissait de faire le guet sur des lignes algéro-maliennes qui continuent jusqu'à aujourd'hui à nous poser problème. Bref ! Personne n'aura spontanément ce reflexe immédiat d'aller fouiller dans cette embryogénèse de la nation algérienne pour extirper exclusivement le prénom de l'Emir Abd el-Kader ben Muhieddine. Notre pays a tellement de héros qu'il serait pratiquement impossible d'instituer des figures symboliques stables. Le culte de la personnalité, de la priorité et de l'exclusivité sont des constantes nationales qui se bousculent à un rythme effarant, gommant les unes après les autres de notre mémoire ces bribes de souvenirs constitutifs de notre amour pour cette terre. L'un des pères fondateurs de la nation américaine, Georges Washington, a été immortalisé de mille manières possibles. Son nom a été donné à la capitale des Etats-Unis, également à un Etat du nord-ouest de l'Union, ainsi qu'à de nombreux sites et monuments. Son effigie figure depuis 1932 sur la pièce de 25 cents ainsi que sur le billet d'un dollar. Son anniversaire, célébré le troisième lundi de février, est un jour férié fédéral. On a érigé à sa mémoire un obélisque de plus de 169 mètres de haut : Le Washington Monument. À New York, un arc de triomphe lui est dédié depuis 1895 dans le Washington Square. Son visage sera sculpté à même le roc dans le mont Rushmore. Cet homme ne fut pas plus exceptionnel que nos héros. Riche propriétaire terrien, conservateur qui aspirait tant à intégrer l'armée de sa majesté, il aurait pu hériter d'un déstin moins glorieux si la couronne britannique n'avait pas excessivement menacé les intérêts de cette bourgeoisie continentale dont il faisait partie. Aujourd'hui, il squatte une mémoire américaine qui a naturellement pris le soin d'éviter ces « exclusions mémorielles » répétitives que notre nation a semé. Chaque américain trouvera sa place dans cette mémoire collective que nul ne pouvait ni ne devait instrumentaliser à des fins personnelles. L'Emir Abdelkader fera preuve de plus d'opiniâtreté et de courage, trouvera sur son chemin de croix l'infortune de tous ceux dont le combat était perdu d'avance. Il fallait combattre un ennemi féroce et oser l'impensable : fédérer des tribus belliqueuses, arrogantes et versatiles sans lesquelles aucune victoire n'était envisageable. Il sera trahi, ballotté de continent en continent, inhumé, exhumé, et ré-enseveli dans ces carrés de héros où tout le monde se dispute une gloire qu'il voudrait exclusive. Nul n'est prophète dans son pays. Il connaitra une autre gloire plus pérenne autrement que par les armes ou pour le service d'une cause prématurée. Il jouira d'une estime considérable hors de son pays. On lui réservera dans cette patrie de Georges Washington, une place dans la mémoire de ceux qui veulent prendre conscience que partout dans le monde il y eut des héros et des martyrs au nom des mêmes causes. Dans l'Etat de l'Iowa, une ville portera son nom : El Kader. Les habitants de ce conté assimilent cet enfant de Mascara à Georges Washington. En 2006, le Maire de Paris M. Bertrand Delanoë, inaugurera une place qui portera son nom. On se souviendra toujours de ce visionnaire plein de tolérance qui prônait avant l'heure une mondialisation de la fraternité humaine. Quelles leçons avons-nous pu tirer de cette terre aux résistances millénaires ? J'avoue avoir du mal à m'y repérer lorsque je contemple ahuri que ce sens du sacrifice que nous devions léguer à nos progénitures incertaines se manifeste fréquemment, pour les plus misérables, à travers des actes de pyromanie (immolation et émeutes) dirigés contre la nation elle-même et pour les autres par des opérations continues de déprédations constatées nulle part ailleurs. On exige de l'Oppresseur de se soumettre à ces exercices de repentances et de repentir. On le harcèle pour qu'il réajuste sa mémoire en fonction des atrocités et des dénis dont il a été l'auteur. Tout le monde chahute au profit de ces « abus de revendications mémorielles ». Néanmoins du côté de la victime, du coté de l'autochtone tout le monde s'accommode à cette pérennisation d'un blackout sur nos mœurs d'antan qui perdurent encore et qui discréditent nos sursauts d'indignations. Un quart d'heure avant sa mort, Chadli Bendjedid a entamé la rédaction de ses mémoires. Chacun hanté par son "Horla" décide avant de rendre l'âme, de bafouiller quelque chose qui a été refoulée pendant un demi-siècle. On commence à suggérer aux plus résistants de se mettre à l'ouvrage car ça fait bon chic bon genre de raconter des péripéties révélatrices de quelques entourloupes révolutionnaires dont régale le public algérien. Il n'ya actuellement que deux moyens machiavéliques pour pervertir la démocratie et la vérité. Encourager l'essaimage d'une foire de partis politiques et promouvoir une kermesse historiographique du bled.
Le devoir de vérité échappe au pouvoir régalien. Cette exigence spécifique est antinomique avec les ostracismes de tout genre et autres mémoires sélectives et "intéressées". Comme c'est étrange de voir les ossements de ces révolutionnaires se faire trimballer d'un endroit à un autre. Ceux de l'Emir, ceux de Fatma Nsoumer, ceux de Amirouche et d'El-Haoues. Ce n'est pas aisé d'apaiser une conscience qui s'estime quelque peu avoir failli à son devoir de mémoire. C'était une très grave erreur de croire que la construction de l'Etat-Nation passait uniquement par la victoire sur cet envahisseur qui venait d'ailleurs. L'autre envahisseur que nul ne peut expulser, C'est là où réside le réel danger et c'est en cela que réside le véritable défi. Dans son livre « Les ruptures et l'Oubli » (2004), Mostefa LACHERAF dressera le même réquisitoire auquel il y était parvenu après l'indépendance suite à une prise de conscience ou à une remise en cause que seul le temps et la mise à l'épreuve des hommes pouvait révéler. Longtemps après cette indépendance chèrement acquise et en qui il pressentait une certaine précarité , Il évoquera en parlant de cette décennie noire les dangers qui menacent un Etat qui ne s'est toujours pas donné les moyens de légitimer son pouvoir et d'affermir sa puissance : « L'intégrisme a fait la preuve au grand jour, en donnant à voir au peuple que l'Etat était irrémédiablement faible et presque inexistant. L'intégrisme était, pour ainsi dire, le révélateur chimique de cette débilité doublée d'une impuissance indigne de toute autorité qui se respecte. » (3) Bien évidemment, le défunt Mostefa Lacheraf visait à travers ce réquisitoire, ces barbus qui sont venus talibaniser l'Algérie. Mais n'oublions jamais que cet antinationalisme ou antipatriotisme dont parle l'auteur ou plutôt cette menace qui constitue un ennemi du « progrès et de l'éthique nationale de libération » , on l'avait assez souvent imputé d'abord à certains clans au pouvoir dirigés le plus souvent par des militaires fantomatiques , et après en avoir fini avec cette menace islamiste dont les principaux auteurs ont été soit totalement éradiqués , soit dilués à travers une reconversion très lucrative dans des business épars , on assiste aujourd'hui par contre à un nouveau type de menace que Mostéfa Lacheraf n'aurait jamais pu imaginer quoi que l'esprit qui constituait le terreau à tous ces dépassements , préexistait déjà du temps de l'intellectuel algérien et de ses compatriotes qui militaient sincèrement pour une Algérie moderne , républicaine et assainie de tous ces éléments nuisibles qui ont fini par surgir ultérieurement. Ainsi, cet ultime ennemi de la Nation ne se case ni parmi ces avatars de la famille révolutionnaire ou de l'armée, ni affilié à des groupuscules maniacodépressifs d'obédience islamo-intégriste, ce seront plutôt des civils lambda, imberbes et sans casquette, des cadres et pères de familles à qui on a complaisamment confié la gestion des richesses du peuple. De la même manière, si cet intégrisme décennal a été un révélateur chimique de la présence d'un" Etat irrémédiablement faible et presque inexistant." On peut tout aussi bien affirmer que cette corruption qui règne depuis quinze années de manière ostentatoirement irréductible, constitue également un marqueur probant d'une "débilité doublée d'une impuissance indigne d'une autorité qui se respecte." En vérité, si on devait gloser sur l'étiologie de ces aberrations, il serait absurde de les réduire à ces cabinets noirs qui se livrent des batailles rangées par lampistes interposés comme le laisse supposer des analystes de coulisses. Le danger ne vient pas uniquement comme le craignait Mostefa Lacheraf d'une religion revancharde et obscurantiste. Le danger plongerait ses racines dans un passé lointain qui coïncide avec l'avènement de l'Etat-Nation lui-même, précisément lorsqu'on avait pensé qu'il était légitime de dégommer des gens en les accusant de vouloir accaparer à eux seuls , la nation , l'Etat et la patrie. On n'a pas cessé depuis de recourir aux mêmes affrontements décadents dans la lutte au pouvoir avec ces procédés avilissants de cooptation sous les auspices de la rapine, de la médiocrité et de l'impunité. « La condition d'un Etat se détermine aisément par apport avec la fin générale de l'Etat qui est la paix et la sécurité de la vie. Par conséquent, le meilleur Etat, c'est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde et où leurs droits ne reçoivent aucune atteinte » (4) Jugurtha avait prédit la chute d'une Rome corrompue «Ville à vendre condamnée à périr si elle trouve un acheteur » disait-il. Bien au contraire Rome aurait pu survivre si elle avait trouvé un acheteur avisé, comme c'est le cas aujourd'hui de ces immenses puissances économiques qui, par le truchement d'une globalisation inévitable, essayent de dissoudre les immaturités politiques et économiques nationales périphériques. On commence à prédire la fin de l'Etat-Nation dans ses représentations mythiques et anachroniques. Lorsque il n'y aura plus rien à voler et après avoir dilapidé toutes nos richesses, nos Etats-Nations seront discrètement récupérés par d'autres puissances pour être reconverties en des entités plus cohérentes et moins dangereuses pour elles-mêmes et pour un ordre mondial qui s'affirme déjà comme seule alternative à des déséquilibres politiques et économiques nationaux entretenues par des visions mythiques et mystificatrices qui n'ont pas été à la hauteur de leurs engagements. « Objectivement, nous n'avons fait aucun effort sur nous-mêmes pour conjurer les risques et les malheurs dont notre société a souffert .Ayant consacré toutes nos forces à vaincre l'ennemi, nous payons aujourd'hui et risquons de payer encore longtemps tout ce qui s'est accumulé, dans cette société si vulnérable malgré son énergie et sa combativité » (5) Ce furent les avertissements d'un Mostefa LACHERAF à un Etat-Nation embryonnaire qui n'avait pas fini de savourer sa lune de miel. 1999-2013 - Le Bilan de l'après Nakba « La vérité, dans le langage, est donc très utile, non seulement pour la science, mais même pour la conduite de la vie : car les discours inspirent de la confiance, quand ils sont d'accord avec les faits; et, par cette raison, ils déterminent ceux qui les ont bien compris, à vivre d'une manière conforme à ce qu'ils expriment. » Aristote, La Morale
En 1999, pendant la Nakba algérienne un reporter du" Nouvel Observateur" interroge Mr Abdelaziz BOUTEFLIKA au sujet d'un pays étrange dont il allait être le président. Le Raïs eut pour réponse cet oracle intemporel. « Peut-être ne suis-je plus tout à fait le même. Et les Algériens, eux aussi, ne sont plus tout à fait les mêmes. » (6) Comment ces diables d'Algériens peuvent-ils être identiques à quelque chose alors qu'ils n'ont jamais cessé d'hériter du même sort facétieux, terriblement déroutant et impitoyable. Le Président dira en 1999 : « Depuis que je suis au pouvoir, je suis arrivé à cette conclusion que l'Etat algérien était bien pourri. » avant d'ajouter « Je ne connais pas de pays au monde où la crise morale a débouché sur un si grand nombre de perversités et où l'Etat national a, à ce point, vacillé. » Renvoyant dos à dos nos anciens colonisateurs et nos traitres algériens post-indépendance, le président dira : « Vous voulez vendre votre pays aux Etats-Unis ? ». Ironie du sort, quelques années plus tard, le peuple algérien découvrira ahuri que ce seront des Algériens que le Président lui-même aura choisi qui seront au cœur des plus grands scandales de corruption et malversations qui lamineront la crédibilité de l'Etat et les richesses du peuple. Comble de malheur, ces félons ont été allaités au lait US. Nos algéro-américains viendront traire notre vache du sud en s'octroyant des dividendes tellement faramineuses que la Nation algérienne s'en souviendra longtemps de ces loubards après leur passage en terre natale. A ses enfants, la Patrie reconnaissante ! Ils ne seront pas les seuls d'ailleurs. Ils ont pris exemple sur des légions d'algériens avant eux qui, investi de la moindre parcelle de pouvoir, n'ont pas hésité à marquer leur appartenance à cette Nation par les mêmes actes ignominieux. « Peut-on décemment parler d'esprit révolutionnaire, de garants de la révolution, en évoquant des hommes qui ne savent même pas se retenir sur la pente facile des tentations matérielles, de la soif frénétique de s'enrichir et de s'embourgeoiser. »(7) C'est toujours Mostefa LACHERAF qui parlait en 1964 sans le savoir de ce qui allait être une lignée, une superbe généalogie du brigandage le plus odieux et le plus long. Depuis que le président a juré en 1999 de nettoyer ces écuries d'Augias , ces brigands de haut vol se sont succédés à un rythme effarant pour notifier au Président que la menace ne venait pas forcement de cet ennemi tapi dans l'ombre qui voulait faire de lui un président au trois-quarts , la menace se pavane partout même dans son propre entourage , au sein de l'Alliance présidentielle, dans les Administrations , dans la rue , dans les mosquées...
Suite aux récentes révélations liées aux scandales épisodiques de cette même Sonatrach, l'expert pétrolier Nicholas Sarkis abondera dans le même réquisitoire que Mostefa LACHERAF sur cette Nation et son Etat désolants : « De graves malversations qui font mal. Très mal. Elles font mal en tout premier lieu aux Algériens eux-mêmes qui ont payé trop cher le prix de leur indépendance et de la récupération de leurs richesses nationales pour tolérer ou penser, une seule seconde, que certains de ceux à qui ils ont fait confiance pour assurer la bonne gestion de ces richesses aient vendu leur conscience et leur âme au diable pour s'enrichir sur leur dos. » (8) Je ne cesse de tourner dans ma tête et dans tous les sens cette maudite question : Alors qu'est ce qu'une Nation ? Est-ce une bonne fois pour toutes ce désir ardent et confirmé d'un vouloir vivre ensemble sans cette manie de s'arnaquer les uns les autres avec milles moyens raffinés , en faisant du citoyen un véritable schizophrène , en dilapidant les richesses de son pays et en ayant le culot de quémander une autre nationalité de rechange ? Ou bien est-ce ce lieu utopique où des gens utopiques parleraient une même langue utopique et vouant un culte utopique à un même Dieu qui regarde ailleurs ? Si nous avions à choisir entre beaucoup de nos spécimens accessoirement arabes et occasionnellement musulmans et des roumis comme Frantz fanon, Chaulet et tous les autres, lesquels seriez –nous tentés d'incorporer dans notre Nation ? « Peut-on être plus algérien que ce couple de souche française dont la rectitude, le courage et le sang froid restent indissociables de l'une des plus prodigieuses résurrections nationales du XXe siècle ? » (9) C'est le témoignage d'un membre de la nation algérienne (Redha Malek)à l'égard d'un couple excentré de nos mesquineries intellectuelles à propos de nos mythes et de nos fanfaronnades. C'est l'histoire de ces héros humbles et loyaux qui ont tout donné à cette nation sans rien lui dérober ni l'avilir comme tant de nos patriotes. Comme tous vos élus, vos ministres et tous vos nababs qui ont détroussé votre nation, dépouillé les richesses du peuple, et ont choisi de se fondre misérablement au sein d'autres patries qui ne seront jamais les leurs. Que devrait-on dire à Ferhat Abbas, Lacheraf et à tous les autres ? Que finalement une nation n'est tout simplement qu'une communauté de personnes préoccupés par la même chose, une vision constructiviste d'un moi communautaire, national : « Que soit issue de vous une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable, et interdit le blâmable. Car ce seront eux qui réussiront. » (Coran- Al-`Imrân 104) Cette prescription, cette injonction, traduit l'idée de l'émergence, de l'irruption dans l'existence et non pas de l'enfouissement. La Nation n'existe pas, elle est toujours à faire. Ce n'est pas un donné historique achevé, c'est plutôt une intentionnalité d'ordre constructiviste à travers laquelle la communauté reste un projet en permanence, un devenir constant. Les mêmes facteurs qui ont hypothéqué l'avènement de la nation peuvent ressurgir pour la réintroduire dans le néant. Si c'est l'Etat qui a contribué à façonné la Nation en mettant cette cohésion nécessaire au sein d'une multiplicité de volontés politiques. C'est aussi au niveau de l'Etat lui-même que peuvent germer et proliférer ces germes de la discorde qui mettront la nation en péril. « Si, en effet, l'Etat n'était astreint à aucune loi, à aucune règle, pas même celles sans lesquelles l'Etat cesserait d'être l'Etat, alors l'Etat dont nous parlons ne serait plus une réalité, mais une chimère. »(10) Comment pourrait-on continuer à percevoir cette puissance vitale , cette légitimité crédible dans des institutions qui non seulement se sont avérées incapables de se placer, par une justice souveraine , complètement au-dessus de la mêlée , mais qui en plus donnent l'impression pour ne pas dire la certitude que c'est au niveau de ces institutions même que foisonnent toute cette mauvaises foi et duplicités qui empêchent l'Etat de Droit de se déployer entièrement. Nous n'allons pas citer les dizaines de scandales qui n'ont épargné aucun secteur public(11) depuis presque quinze longues années. Le plus grand des sacrilèges, c'est lorsque l'Etat lui-même illustre cette incompréhensible volonté à vouloir tenir en laisse voire neutraliser tous les mécanismes institutionnels (Cour des comptes – IGF-Commissions parlementaires – Office de Lutte contre la Corruption- Justice ...) chargés de combattre toutes ces dérégulations et anomies meurtrières. Cette injonction divine «Que soit issue de vous une communauté qui appelle au bien...» est un appel, un rappel qui implique des actes de factions et de mobilisation. La Nation n'est pas une relique, un artefact emmuré ou enseveli quelque part dans l'attente que quelque truelle vienne l'exhumer pour le restituer à la vérité. A quelle espèce appartiennent tous commis de l'Etat, ces clercs et tous les autres ronds de cuir qui s'adonnent à autant de vilénie ? Sont-ils des Algériens, des Arabes, des musulmans ? Ils sont tout cela à la fois, mon cher frère. Le philosophe Ernest Renan disait à propos de la Nation que celle-ci était : « Une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. » (12) Je ne pense pas que la Nation puisse être appréhendée à travers ce regard empli de dévotion porté vers un passé brumeux et déchiqueté. Il faudrait envisager un troisième élément que Renan n'avait pas pu déceler : un futur fondamentalement aléatoire qui implique des ruptures épistémologiques dans nos manières de concevoir, instituer et vivre nos coexistences. Un « vivre ensemble » dynamique et tourné vers un futur à construire pour lequel la quête de la paix et du bonheur de chaque membre demeure la seule priorité dans tous nos consensus. « A longue échéance, seul un processus démocratique qui munit les citoyens de droits à la fois appropriés et équitablement répartis pourra être considéré comme légitime et engendrer la solidarité. Pour rester source de solidarité, le statut de citoyen doit conserver une valeur d'usage et se monnayer en droits sociaux, écologiques et culturels. »(13)
Références :
(1) Ernest Mercier, L'Algérie en 1880, Editions Alain Chalamel, Librairie Algérienne Coloniale, Paris 1880, P.40 « Telle fût la chute du Jugurtha moderne. De même que pour l'ancien, c'est grâce à la coopération du roi de Maurétanie, son ancien allié, qu'elle fût obtenue » (2) Abd'l Qadir al-Jilani (Iran.1077-Baghdâd.1166), grand soufi et juriste musulman. Les foules s'intéressent beaucoup moins à sa pensée et à ses œuvres qu'au folklore qui plane sur l'ensemble de ces Saints hommes. On lui prête des miracles incalculables, et des mausolées disséminés à travers tout le territoire (3) Mostefa LACHERAF, "Les ruptures et l'oubli, Essai d'interprétation des idéologies tardives de régression en Algérie" P.138, CASBAH Editions, 2004 (4) Spinoza Baruch, « Traité Politique », Traduit par E. Saisset (Ed.1842) (5) Mostefa LACHERAF "L'Algérie : Nation et société". Casbah Editions, 2006, p, 270 (6) Le Nouvel Observateur, Mai 1999, Jean Paul Mari « Les quatre vérités du Raïs Bouteflika » (7) Mostefa LACHERAF "L'Algérie : Nation et société". Casbah Editions, 2006, p, 270 (8) Journal El-Watan du 02/03/2013 (9) Pierre et Claudine Chaulet : Le choix de l'Algérie, Deux voix, une mémoire. Edition Barzakh, Alger, 2012 Préface de Redha Malek (10) Spinoza Baruch, « Traité Politique », Traduit par E. Saisset (Ed.1842) (11) (BADR-BNA-CPA-BCIA-CNEP-POSTE-Khalifa Bank-Affaire du Thon- Affaire de l'Autoroute-Transfert illicite de capitaux-plus de mille Maires traduits en justice en justice- Walis, Chefs de Daïras, Magistrats révoqués ...), une évasion fiscale abyssale, une économie informelle prodigieuse, portions congrues de l'iceberg. Phénomène inédit, on a même vu carrément des coalitions de fonctionnaires impliqués dans des affaires sabreuses de malversation, de véritables gangs Nichés au sein de structures étatiques. (12) RENAN, Ernest (1823-1892) : Qu'est-ce qu'une nation ?, 1882. (13) Jürgen Habermas, « Après l'Etat-Nation. Une nouvelle constellation politique », Paris, Fayard, p.71