Il n'y a pas de doute, c'est le même groupe de femmes mendiantes, parmi elles des femmes âgées, et les mêmes filles qui ont grandi d'une année ou deux, et les mêmes enfants. Mais cette fois-ci, elles sont revenues avec trois bébés et comme d'habitude, elles ont fait leur apparition au premier jour de Ramadhan, au même coin, non loin de la mosquée du centre-ville, au quartier de l'Emir Abdelkader. Ces mendiantes, dont le nombre varie entre dix et douze, ont élu domicile dans l'un des quartiers les plus populaires et les plus fréquentés de la ville de Bethioua. Ce coin stratégique choisi par ces femmes, à l'accent particulier des villes de l'extrême-Est algérien, est considéré comme « leur territoire de mendicité, leur territoire de chasse ». Il est situé aussi entre plusieurs mosquées et c'est le passage obligatoire des citoyens se rendant aux marchés et souks quotidiens de la ville en ces jours de Ramadhan. Ces mendiantes présentes ce vendredi, se composent de cinq femmes âgées, accompagnées de cinq jeunes filles âgées entre 16 et 20 ans, une jeune fille Syriènne, trois fillettes et trois bébés et ce ne sont pas des Bethiouis. Ce sont des mendiantes venues d'ailleurs. Elles tendent la main à tous les passants et ce sont les jeunes filles, la tête cachée sous un foulard noir mais on devine aisément la beauté et la jeunesse à l'éclat de leur yeux, supplient à haute voix insistante et avec une tonalité étrangère , presque un accent Syrien « Ya Radjel, Ya Amra, Saddaka Alla Oudjeh Rabbi ». Certains passants pressés aussi par la prière du vendredi mettent des pièces de monnaie dans les mains des enfants, mais évitent de regarder les jeunes filles. Selon tous les commerçants, les nombreux bouchers et les marchands de légumes, installés sur le grand boulevard de l'Emir Abdelkader, et contactés par nos soins, « ces femmes sont des mendiantes professionnelles, c'est leur boulot de tendre la main et viennent chaque Ramadhan depuis au moins vingt ans à la même place, et ont même leurs habitudes et leur restaurant pour le F'tour, celui de la gare routière de la ville ». Noourredine Korri, vendeur de chamia et de brioche, installé depuis quarante ans à la même place,à coté du café maure de l'Ourssou, est catégorique et nous a déclaré : « J'ai connu leurs grands-mères et presque la totalité de la famille, mais je n'ai jamais rencontré leurs hommes, jamais pendant ces quarante ans. Je n'ai jamais cherché à les connaître, sauf que de temps en temps, les femmes viennent échanger de la monnaie contre des billets, et acheter des fruits chaque soir après la mendicité devant la mosquée puis elles disparaissent à la fin du mois de Ramadhan, pour revenir l'année d'après. Mais je vous confirme que ce sont les mêmes femmes et dès que certaines vieillissent, elles sont remplacées par d'autres plus jeunes, vigoureuses et belles ». Selon notre interlocuteur, l'une d'elles lui aurait confié qu'elles sont de la région de Bouguirat. Sont-elles des régions de Souk Ahras, Tébessa, Annaba? D'autres lieux ? Par pudeur, l'on ne peut demander à ces femmes leurs origines, ou d'où elles viennent, mais aussi par crainte d'être agressé par leurs protecteurs, probablement cachés non loin des endroits de la mendicité.