A l'occasion Du 60ème anniversaire du premier novembre 1954, voici le récit inédit et historique du Moudjahid Lemkami Mohammed, ancien du MALG, sur le parcours du Chahid Boudghan Benali, dit colonel Lotfi, tombé au champ d'honneur à l'âge de 25 ans et 4 mois. Sa jeunesse: Boudghan Benali, dit colonel Lotfi, fils de Abdelkrim dit Abdallah et de Lokbani Mansouria est né le 05 mai 1934 dans l'Allée des Sources du quartier d'El Kalaâ de Tlemcen. Son père était un simple employé de mairie, et était marié à une seconde femme qui a embrassé l'Islam nommée El Hadja Zizette qui était très proche du jeune Bénali.Jeune garçon, il avait suivi ses parents à Alger où son père avait ouvert un petit commerce qui n'avait pas duré longtemps. Sa scolarisation a débuté à Tlemcen à l'école Déscieux (El Abili actuellement) et s'était poursuivie à Alger, puis retour à Tlemcen. Pendant environ une année, il s'était éclipsé à Oujda pour consolider sa langue arabe au Collège Abdelmoumen et préparer le concours d'entrée à la Médersa de Tlemcen.C'était dans cette Médersa que probablement il avait ouvert les yeux sur la politique car, c'était un fief regroupant des étudiants venus de toute l'Oranie. Chacun d'entre eux avait ses propres convictions et nombre d'entre eux avaient très tôt rejoint le maquis dont certains sont tombés plus tard aux champs d'honneur. Le stage de préparation militaire: Le Colonel Lotfi était un sportif. Il nous l'avait montré au cours de notre stage commun de préparation militaire durant l'année 1953, sous le commandement du Colonel Slimane Belhabich de l'armée française. Cette préparation nous permettait d'avoir le sursis pour poursuivre ultérieurement nos études. Elle nous avait surtout servi en rejoignant plus tard les rangs de l'Armée de Libération Nationale.En dehors de cela, Bénali invitait très souvent chez lui des amis intimes en particulier ses proches voisins. Même certains Medersiens et collégiens comme Ali Rebib, Djamal Brixi, Hocine Senoussi, y avaient assisté. En ces occasions aussi, la politique prenait le dessus dans ses discussions. Les thèmes d'actualité étaient débattus : la guerre du Vietnam, l'Egypte, la Tunisie et le Maroc. Ali Rebib l'ancien voisin de table de Bénali en classe de la médersa, avait rejoint le maquis dès le déclenchement de la grève des étudiants. Il avait été fait prisonnier le 13 février 1958. Hocine Senoussi avait été parmi les premiers stagiaires d'aviation de l'ALN envoyés en Egypte par le commandant de la wilaya V, Si Mabrouk. Le premier poste de commandement: Tlemcen connaissait trois organisations : sous le commandement de Si Brahim: une structure FLN avec ses cellules, dirigée par Mustapha Benyellès secondé par Abdelkrim Bouayad; une organisation de Fidaîs et de Fidaîates d'environ 60 membres dirigés par Rachid Bendimered et enfin un commando de l'ALN d'environ 50 MoudjahId dirigé par Si Brahim en personne. La première action militaire de Si Brahim était dirigée contre un poste de CRS à Bab Sidi Boumédiène, quartier populeux à l'Est de la ville. Il était accompagné du jeune Bénali Kara Slimane. L'opération avait bien réussi laissant plusieurs morts ennemis. Si Brahim avait été légèrement blessé à la main. La seconde importante opération préparée par Si Brahim était dirigée contre un nouveau casernement implanté récemment dans l'usine de tapis dit MTO au quartier d'El Hartoun au cours de laquelle des soldats algériens avaient désertés avec armes et bagages. Cette action avait été l'œuvre du Chahid Aîssa Bendiboun. De nombreuses armes, des chaussures et des tenues militaires et d'autres équipements avaient été récupérés. La troisième opération importante avait été un raid contre les services de la commune mixte de Sebdou installés en pleine ville de Tlemcen. Si Brahim avait utilisé la complicité d'un chauffeur de cette institution nommé Bendahmane. Un lot d'armement important avait été récupéré: 20 mitraillettes, Thompson, 11 mass 36, 15 fusils Lebel, 3000 balles de 9 mm, 2000 balles de 8 mm, 7 Pm Mat 49, 1 ronéo, 4 machines à écrire et divers documents secrets, 3 voitures de la commune détruites. Les bâtiments de cette administration avaient été incendiés totalement.Parallèlement à ces opérations contre les campements et postes militaires des actions multiples de Fida et des sabotages des infrastructures économiques coloniales n'avaient laissé aucun répit à l'ennemi de novembre 1955 au mois de mai 1956 correspondant à la période sous commandement de Si Brahim. A titre d'exemple, on peut citer l'exécution d'une patronne de boîte qui recevait beaucoup d'officiers et qui refusait de collaborer avec le FLN, lancement d'une grenade au café d'un pied noir rue du théâtre, attaque du hall de l'hôtel Transatlantique fréquenté uniquement par des militaires et des pieds noirs, destruction de ponts, de poteaux téléphoniques et de pylônes électriques ainsi que plusieurs sabotages de la voie ferrée.L'ennemi qui avait rendu la ville de Tlemcen méconnaissable par l'installation de barbelés et de chicanes partout, n'avait pas cessé ses arrestations et ses liquidations physiques. Le couronnement avait été le lâche assassinat du Docteur Bénaouda Benzerdjeb le 16 janvier 1956. Cela avait provoqué spontanément une explosion populaire immense de la population, particulièrement celle de la jeunesse et des intellectuels. Des opérations de démonstration: Si Brahim ne pouvait laisser impunis les assassins du premier médecin martyr de la Révolution du 1er Novembre. Il allait leur démontrer par une opération unique au cours de toute cette guerre de libération nationale de quoi était capable cette jeune Armée de Libération Nationale: la fameuse fausse patrouille de police militaire. Aidé par un ancien soldat algérien le déserteur de l'armée ennemie surnommé Ho Chi Min, il avait activait durant plusieurs semaines dans la clandestinité totale et dans le plus grand secret, dans la ferme de El Hadj Benosmane pour monter cette opération. Il avait sélectionné parmi ses effectifs, un certain nombre de Moudjahid présentant physiquement un aspect européen et les a enfermés dans cette ferme demandant même au propriétaire d'éloigner toute sa famille pour quelques semaines. Il avait réuni tous les équipements nécessaires: tenues militaires identiques à celles de l'ennemi avec chaussures, guêtres, gangs, casques. Ces trois derniers articles de couleur blanche. Il avait récupéré un nombre suffisant de matraques peintes en blanc, des fusils Garant, des grenades. Il avait dessiné les plans d'une partie de la ville pour les démonstrations théoriques nécessaires avec les principales artères que devait emprunter la patrouille. Il avait récupéré 3 tractions avant noires identiques à celles utilisées par les autorités coloniales. Sa désignation à l'âge de 22 ans en qualité de coordinateur des Secteurs de Mécheria, Aîn Séfra, El Bayadh, Aflou, Béchar, Tindouf, Adrar fut décidée suite à la demande introduite par des cadres militants de ces régions en l'occurrence Si Ali Laîdouni responsable du Secteur d'Aîn Séfra et Si Ferhat responsable du Secteur de Béchar. Tout le Sud Oranais comme le Grand Sud étaient depuis l'occupation coloniale Territoire militaire. Ces derniers se déplacèrent vers le Nord, au PC de la Zone V (Oranie) au mois de mars 1956, pour exposer à Si Mabrouk (Abdelhafid Boussouf), adjoint du Commandant général de cette Zone, Si Larbi Ben M'hidi, la situation de la résistance dans le Sud, caractérisée certes par des actions éclatantes, mais manquant de responsable, de cohésion et de moyens.Trois grands chefs militaires, Yousfi Bouchrit, Mohamed Ben Abdelkader, Lamari et Moulay Brahim Abdelwahab commandaient chacun une unité efficace de plus de 40 hommes, sans stratégie claire et sans orientation politique définie ni coordination. Ils ne contrôlaient qu'un espace limité autour d'El Bayadh, s'appuyant essentiellement sur leurs tribus. Ces trois responsables qui étaient déjà "hors la loi" avaient déclenché la résistance et la lutte armée dès le 1er Novembre 1954. Ils avaient porté des coups très durs à l'armée ennemie en francs-tireurs, car le contact avec le Front de Libération Nationale n'avait pas encore été établi. Il y a lieu de signaler néanmoins, qu'avant le déclenchement du 1er Novembre, la présence du MTLD à Béchar, El Bayadh et Aîn Séfra était conséquente selon les rapports des autorités coloniales, signalant le passage de Ben Bella, Khider, Ben Abdelmalek Ramdane et Chihani Bachir à différentes périodes dans le cadre de leurs activités militantes au sein du PPA. De Tlemcen au Grand Sud Oranais.C'était donc la nouvelle mission que Boussouf avait confié à Si Brahim, un jeune citadin Tlemcenien de 22 ans n'ayant jamais connu ces très vastes territoires sahariens considérés par la France comme Territoires militaires, ni leurs habitants. Lotfi quitte donc la zone nord en avril 1956 à la tête d'une trentaine de djounoud, suivis quelques temps après par un important groupe de déserteurs français basé à Kénitra dans l'Occident marocain. Ce groupe était parvenu à Béni Smir sous le commandement de Moussa Ben Ahmed dit Si Mourad. Ce renfort était bien armé et transportait en plus un lot d'armes prélevées des apports du fameux bateau de plaisance de la princesse jordanienne Dina. Ayant rejoint définitivement le FLN, il les dote en armes et de deux compagnies pour assoir leur autorité sur la zone sud de la Wilaya VI baptisée provisoirement Zone 9. Dans la région de Metlili, Mohamed Djeraba venait de rejoindre les forces de Si Brahim en cette même période. Aux yeux de l'ennemi qui subissait de plus en plus de pertes, Khneg Abderrahmane dans la Gaâda, était devenue une base ALN et un relais très important. Sous le commandement du Général Gilles, une importante opération y est engagée en juillet 1957. Au cours de rudes combats menés par pas moins de 500 Moudjahed, les troupes françaises avaient reçu une bonne leçon, laissant sur le terrain de nombreuses pertes. Les forces de la Zone 8 avaient été appuyées par une compagnie de transport de la Wilaya III qui était en transit par là en cette période. Craint par l'ennemi, admiré par ses hommes et respecté par ses proches collaborateurs dont Kaid Ahmed dit Si Slimane, Moussa Ben Ahmed dit Si Mourad continue sans cesse à renforcer son potentiel militaire. Les effectifs avaient déjà atteint 2500 Combattants. Des renforts en encadrement viennent étoffer l'Etat-major autour de Si Brahim: Akbi Abdelghani dit Amar, Mohamed Ben Ahmed dit Abdelghani, Allali Kouider dit Youb, Kadi Mohamed dit Boubeker, Djelloul Nemiche dit Bakhti etc.Vers l'été 1957, le commandant Hansali, l'un des adjoints de Si Mabrouk est tombé au champ d'honneur en Zone 2. Si Brahim avait été chargé de le remplacer sur recommandation du chef de la wilaya et devient le Commandant Si Lotfi donc automatiquement membre du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA) instance suprême de la révolution. Il cède le commandement de la Zone 8 au Capitaine Si Slimane (Kaîd Ahmed) et rejoint l'Etat-major de la Wilaya V composé à l'époque outre le Colonel Si Mabrouk, les Commandants Boumédiène et Chaâbane (Ahmed Taouti). Au mois d'octobre 1957, il participe à la réunion des chefs de Zones de la Wilaya V présidée par Si Mabrouk. Au cours de cette réunion, ce dernier devenu depuis août membre du CCE chargé des Liaisons Générales et Communications, cède le Commandement de la Wilaya V au Colonel Houari Boumédiène. Fin janvier 1958, le Commandant Si Lotfi devait se rendre en Espagne en mission de logistique et profiter pour une consultation médicale auprès d'un ophtalmologiste à Barcelone. Le responsable organique de la Fédération FLN au Maroc, Si Allal avait chargé un militant Djaafar Skénazene de l'accompagner comme chauffeur. La Fédération avait mis à leur disposition une voiture. Arrivés à Algésiras, ils avaient été arrêtés à cause de cette voiture qui était recherchée par les autorités sécuritaires espagnoles. De prison en prison, ils avaient passé six mois d'arrestation. Boussouf dès leur arrestation avait chargé M'Hamed Yousfi dit Mustapha Tankher de la logistique Europe de mandater deux bons avocats pour leur défense. A leur libération, Si Lotfi apprend des cadres de la logistique Europe basés à Madrid, qu'il venait d'être nommé Colonel, Commandant en Chef de la Wilaya V en remplacement du Colonel Si Boumédiène qui venait d'être désigné à la tête d'une nouvelle institution créée par le CNRA, le COM Ouest (Commandement des Opérations Militaires de l'Ouest). Il avait 24 ans. Après les passations, il entreprend une tournée de contrôle s'informant de la situation de sa Wilaya et surtout du problème de l'acheminement des armes vers l'intérieur, aussi bien pour sa Wilaya que pour les Wilayas 4 et 6. Son information était surtout complétée par les services spéciaux des Liaisons Générales et Renseignements dépendant de Boussouf. D'ailleurs, il n'hésitait jamais à rendre visite très souvent au niveau de ses services pour s'informer et débattre librement de tous les problèmes politiques, militaires et même économiques et sociaux avec leurs cadres qui l'appréciaient énormément. A la tête de la Wilaya V, il avait comme adjoints les Commandants Si Slimane (Kaîd Ahmed), Si Farradj (Louadj Mohamed), Si Othmane ( Benhaddou Bouhedjar). Le Commandant Chaâbane (Ahmed Taouti) était tombé au champ d'honneur au Pont de l'Isser au nord de Tlemcen en janvier 1958. Son secrétariat était assuré par Ahmed Medeghri dit Hocine.