Basé en Afrique depuis 1998, le reporter français, Jean-Philippe Rémy, expose sur le Monde.fr, son diagnostic sur la crise malienne et l'impact du dernier accord de paix et de réconciliation, signé dimanche dernier à Alger sur la situation sécuritaire au Mali. Cette décrypte a recours à un point de vue basé surtout sur sa longue expérience vécue en Afrique, une période idéale, où il a assisté aux grands bouleversements et transformations de ce continent en mouvement, il conclu, que l'Accord de paix d'Alger est une dernière chance pour le peuple malien. Analyse de Jean-Philippe Rémy: Pour un accord de paix et de réconciliation, le texte signé dimanche 1er mars à Alger par le gouvernement malien et certains groupes du nord du Mali a des ambitions d'une grande modestie. C'est peut-être là sa seule force, ou son coup de génie. Car tout est si compliqué dans la résolution de la crise malienne... Pour commencer, le texte présenté à Alger dimanche matin n'a pas été formellement signé, mais « paraphé » — c'est le terme exact — par le côté progouvernemental des parties engagées dans le dialogue, avec l'appui d'une médiation menée par l'Algérie. Le document ne sera formellement « signé » au Mali que dans les semaines à venir (un geste symbolique pour tenter d'effacer le souvenir des accords passés, parrainés par l'Algérie, que pourfendait quand il était encore candidat le président malien, Ibrahim Boubacar Keita, au nom de la « souveraineté nationale »). Peut-être ne s'agit-il que d'un détail, vu que la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), qui regroupe six mouvements en faveur de l'autonomie du nord du Mali, qu'ils appellent « Azawad », n'a pas signé dimanche matin. Et s'il y a de grandes chances que toutes les parties finissent par apposer la signature de leurs représentants sur ce texte, ces cahots ne sont pas de bon augure, dans un premier temps. L'« Azawad » : une myriade de groupes Parmi les « signataires en suspens », on trouve en effet le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), qui reste un acteur central pour toute forme de solution, et d'autres formations de la mouvance rebelle issues de scissions de groupes sur des bases ethniques — comme le Mouvement arabe de l'Azawad (MAA), dont une partie est désormais du côté loyaliste, ou encore le Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA), qui héberge des anciens de la formation de Iyad Ag Ghali, désormais passé du côté d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Pourquoi ce retard ? La « coordination » (CMA) avait demandé depuis la veille un « délai raisonnable » avant de signer pour consulter sa base. Cette extrême politesse est due en partie à la menace de sanctions envers tout protagoniste qui se mettrait en travers d'un règlement pacifique de la crise. Et aussi à la nécessité de faire de la diplomatie interne : des manifestations contre le texte ayant été organisées à Kidal, Ménaka et Ber pour protester contre le fait que le texte ne mentionne pas de perspective d'autonomie pour le Nord ou de fédéralisme. La médiation l'avait du reste clairement fait savoir depuis longtemps, à la grande satisfaction de Bamako. Il faut donc faire avaler à l'Azawad que l'Azawad n'aura pas d'existence légale après avoir clamé le contraire : c'est la difficulté des plans de paix. Selon le texte, de plus, le Mali reste « uni et laïc ». «Cet accord a la valeur d'une boussole crédible et efficace vers la paix. » (Ramtane Lamamra, ministre des affaires étrangères de l'Algérie.) Histoire de ne pas braquer toutes les parties, ce qui reviendrait à un suicide, cet accord — qui a la « valeur d'une boussole crédible et efficace vers la paix », selon la formule, trop lyrique pour ne pas inquiéter, du ministre des affaires étrangères de l'Algérie, Ramtane Lamamra — admet en revanche l'existence de l'Azawad comme une « réalité humaine » (ce qui est symbolique et n'engage pas à grand-chose, comme la formule de la « boussole »). Refonte de l'armée malienne Plus important, toutefois : un schéma prévoit la création d'Assemblées régionales élues au suffrage universel direct dans un délai de dix-huit mois, ainsi qu'une « plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales ». Une refonte de l'armée malienne doit avoir lieu pour intégrer des combattants des mouvements armés du Nord. Cette dernière recette a déjà montré ses limites dans le passé : c'était en effet le socle des accords destinés à éteindre les rébellions précédentes, en 1992 et 2006. Mais les nouvelles institutions locales pourraient faire la différence, si elles ne sont pas gangrenées par la corruption. Une commission d'enquête internationale devra de plus faire la lumière sur les crimes de guerre, contre l'humanité, de génocide et autres violations graves des droits de l'homme commis au cours des dernières années. On peut d'ores et déjà redouter que les pressions politiques, sur place, enterrent ses futures conclusions pour un temps. Mais peu importe les limites des ambitions annoncées, vu la dérive du pays vers la guerre civile. Avec ses imperfections, l'accord d'Alger fait figure de mesure de dernière chance. En mai, le Mali avait subi un électrochoc lorsque des combats ont éclaté après la maladroite visite de l'ex-premier ministre malien à Kidal. Des affrontements qui s'étaient soldés par la défaite cuisante des forces armées loyalistes dans ce bastion du MNLA et fief politique des différents groupes touaregs. Douloureux principe de réalité Il y aura l'intervention du président de la Mauritanie pour amener un premier cessez-le-feu et éviter la perspective d'un nouvel effondrement de l'armée malienne. Le pouvoir de Bamako avait alors été confronté à un douloureux principe de réalité. Dans la foulée, et grâce au rôle renforcé de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), des négociations avaient alors été organisées à Alger, en juillet. L'équipe de médiation était large, composée de représentants de la Minusma, de l'Union africaine, de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest, de l'Organisation de la coopération islamique, de l'Union européenne, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad. Et au premier chef de l'Algérie, directement concernée par la situation au nord du Mali, où évoluent les groupes d'AQMI, dont les dirigeants sont pour beaucoup algériens, et qu'il y a des intérêts pétroliers (avec des blocs non encore exploités par une filiale de sa compagnie d'extraction d'hydrocarbures). Le Burkina Faso, l'autre pays habituellement influent dans le dossier, est désormais accaparé par ses propres problèmes, en attendant peut-être la montée en puissance régionale du Maroc, le grand rival de l'Algérie. Avec Alger en team leader, cinq sessions de négociations ont eu lieu depuis. Il avait été établi que la cinquième serait la dernière, au risque de donner naissance à un quick fix plutôt qu'à un vrai plan de paix, un de ces arrangements superficiels dont raffolent les diplomaties pressées, mais qui demandent un solide suivi politique par la suite pour éviter l'échec. « La résolution du conflit passe par l'articulation complexe d'intérêts divergents qui touchent a la sécurité du Sahara, a la nature de l'Etat malien et aux équilibres locaux entre des communautés divisées.» Or, la recette de la paix repose sur une architecture délicate. «La résolution du conflit passe par l'articulation complexe d'intérêts divergents qui touchent a la sécurité du Sahara, a la nature de l'Etat malien et aux équilibres locaux entre des communautés divisées. Face aux affrontements armés, la tentation est grande d'aller vite et de signer un accord minimal garantissant la sécurité a court terme. La précipitation est mauvaise conseillère. Il faut se donner les moyens et le temps de construire les fondements d'une paix durable », avertissait l'International Crisis Group (ICG). La nature de l'accord d'Alger diffère-t-elle fondamentalement des échecs précédents ? Rébellion, longues négociations, accord sur des partages de postes, période de latence, reprise de la rébellion... Tout semble se répéter en cycles. Seulement, cette fois, une chance est donnée aux personnalités impliquées dans les négociations de jouer un rôle dans leur région à travers les Assemblées locales ou les services de sécurité. C'est peut-être la seule manière de faire revenir l'Etat au nord du Mali. Et de ce point de vue, il y a urgence. Une région plus divisée que jamais La région est plus divisée que jamais, et elle subit le choc conjugué des groupes djihadistes et de trafiquants. Entre communautés, déjà, les tensions sont importantes, comme entre les groupes qui affirment les représenter (on ne dispose d'aucun outil pour mesurer le degré exact de soutien aux groupes armés). Le dernier-né, le Groupe d'autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia), n'est apparu qu'en août. En théorie, c'est le septième mouvement armé recensé dans la région ; en pratique, c'est le bras armé de Bamako et d'une armée régulière qui, depuis les déroutes récentes, a renoncé à sortir des camps militaires dans les villes du Nord où elle est encore déployée, à côté d'autres forces (notamment onusiennes ou françaises). Cet émiettement se double d'une nouvelle montée en puissance des groupes djihadistes de la galaxie AQMI, entre infiltration de combattants des pays voisins et activation de cellules dormantes. Des assassinats récents ont montré qu'une politique de déstabilisation était à l'œuvre (comme cela avait été le cas en Libye voisine).