Huit mois après avoir choisi de tourner le dos à l'Union européenne (UE), le Royaume-Uni amorcera le 29 mars les négociations entourant les termes d'une rupture pour laquelle il dit refuser les demi-mesures. Mais les incertitudes demeurent nombreuses. Le compte à rebours est engagé : Londres active l'article 50 du traité de Lisbonne, qui enclenche le processus de sortie de l'UE. Un geste qui ouvre des négociations d'une durée prévue de deux ans. Négocier et gérer l'imprévu La première ministre Theresa May plaide en faveur d'un accord de libre-échange avec l'UE, disant vouloir « le plus grand accès possible au marché unique ». « Le problème, c'est que le marché unique inclut la libre circulation des biens, mais aussi celle des services, des personnes et des capitaux », explique Frédéric Mérand, directeur du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM) et codirecteur du Centre d'excellence sur l'Union européenne. Or, le référendum de juin 2016 a justement porté sur le refus de l'immigration et le contrôle des frontières. « La question des personnes est importante », spécifie le professeur de science politique à l'Université de Montréal : « des millions d'Européens vivent en Grande-Bretagne, des millions de Britanniques vivent en Europe et plusieurs entreprises basées à Londres misent sur une mobilité importante de leur personnel». « On n'est pas à l'abri de surprises et d'imprévus parce que plusieurs éléments n'ont pas été anticipés », note Agnès Alexandre-Collier, professeure de civilisation britannique contemporaine à l'Université de Bourgogne-Franche-Comté et spécialiste des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Certains problèmes risquent donc de se poser au cours des négociations, comme le coût de la sortie, qui n'a pas été prévu », souligne-t-elle. La facture des engagements budgétaires du Royaume-Uni envers ses partenaires de l'UE oscille entre 25 et 75 milliards d'euros, soit entre 41 et 123 milliards de dollars canadiens, précise Frédéric Mérand. « Juste sur ce point, la négociation risque d'être incroyablement acrimonieuse », juge-t-il. « Ce n'est pas un accord de libre-échange comme l'ALENA, ça touche tout, de la forme des phares sur les voitures aux conditions de travail, en passant par le traitement de la volaille dans les usines ou l'assiette fiscale utilisée dans le calcul des impôts sur les sociétés », ajoute le politologue. De plus, les pays membres de l'UE ne peuvent pas signer des ententes commerciales individuelles avec un Etat qui n'en fait pas partie, comme ce sera le cas pour le Royaume-Uni. C'est entre autres pourquoi M. Mérand doute que les deux parties arrivent à une entente en 24 mois. « Si on pense que le CETA [accord de libre-échange entre le Canada et l'UE] a nécessité une négociation de sept ans, on peut imaginer le temps que ça prendra pour une relation en vertu de laquelle le Royaume-Uni exporte 55 % de ses produits vers le marché européen». En plus de mener ces négociations, le Royaume-Uni doit gérer en parallèle une série de procédures réglementaires liées au retrait des institutions européennes, comme le retrait des parlementaires du Parlement de Strasbourg, tout « en construisant de nouvelles relations avec d'autres pays », ajoute Mme Alexandre-Collier. « Ça fait beaucoup à gérer en même temps », fait-elle valoir. D'ici l'adoption d'une nouvelle entente, le Royaume-Uni restera membre de l'UE. « À mon avis, il n'aura cependant pas d'influence sur les décisions, estime la politologue. Mais ça fait partie des inconnues. » Quel pouvoir de négociation pour le Royaume-Uni? Pendant des mois, le Royaume-Uni a entretenu le flou autour du degré de proximité qu'il conserverait avec l'UE. En janvier dernier, la première ministre Theresa May a mis un terme à la confusion, préférant une séparation « claire et nette » à un Brexit doux. Cette « option plus radicale » place Theresa May « en position de force »,juge la professeure Alexandre-Collier. « En choisissant le "hard Brexit", elle n'est pas obligée de négocier avec l'Union européenne des conditions qui pourraient lui être défavorables. Elle gagne en indépendance », estime-t-elle. « Le pouvoir de négociation des Britanniques demeure nettement plus faible que celui des Européens parce qu'ils sont plus dépendants d'eux que l'inverse », argue de son côté Frédéric Mérand. Cela reste vrai tant que les Européens - Français et Allemands en tête - restent unis comme ils l'ont été jusqu'à présent, précise-t-il. Une division viendrait cependant rebrasser les cartes, une éventualité envisageable alors que ces deux pays et les Pays-Bas tiendront des élections sous peu. La question écossaise L'Ecosse, qui a massivement rejeté le Brexit, revendique son appartenance au marché unique européen. Londres doit donc aussi composer avec le spectre d'un nouveau référendum sur l'indépendance qu'agite la première ministre écossaise Nicola Sturgeon. Celle-ci a d'ailleurs annoncé sa volonté de tenir un référendum sur l'indépendance de l'Ecosse entre l'automne 2018 et le printemps 2019. « Son intérêt, c'est de rendre la menace d'un référendum le plus crédible possible, mais pas nécessairement de l'organiser parce qu'elle sait qu'elle a de bonnes chances de le perdre », juge toutefois Frédéric Mérand, invoquant la situation économique difficile. La tenue d'un second référendum nécessiterait le feu vert de Londres, une hypothèse peu plausible, ajoute Agnès Alexandre-Collier. « Les relations entre l'Ecosse et le gouvernement pourraient être extrêmement tendues, ce qui risque de poser un problème supplémentaire dans le cadre de la sortie du Royaume-Uni », affirme-t-elle.