L'ONG Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat) avait déposé deux plaintes pour "complicité de torture" contre le Directeur général de la surveillance du territoire marocaine (DGST), Abdellatif Hammouchi. C'est la démarche de cette ONG française qui est venue gripper l'entente bilatérale entre la France et le Maroc. L'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat) avait saisi jeudi 20 février 2014 l'opportunité de la présence en France du patron du contre-espionnage marocain pour demander aux autorités d'entendre ce responsable qu'elle accuse de "complicité de torture". Acat avait demandé à la justice française d'auditionner Abdellatif Hammouchi dans le cadre de plaintes déposées à Paris relatives à des faits présumés de torture au sein du centre de détention marocain de Temara, qui dépendrait de la Direction générale marocaine de la surveillance du territoire (DGST). M. Hammouchi accompagnait ce jour-là le ministre marocain de l'Intérieur Mohamed Hassad pour une rencontre avec ses homologues français, espagnol et portugais. Dans la foulée de cette demande, et sans passer par les canaux diplomatiques, sept policiers se sont rendus à Neuilly-sur-Seine, dans la banlieue parisienne, à la résidence de l'ambassadeur du Maroc à Paris, pour notifier à M. Hammouchi une convocation émanant d'un juge d'instruction. Qualifiant l'affaire d'"incident rare et inédit" dans les relations avec la France, premier partenaire économique du Maroc, Rabat a convoqué vendredi soir l'ambassadeur de France, Charles Fries, "pour lui signifier la protestation vigoureuse du royaume". Rabat rejette "catégoriquement" les accusations portées contre le directeur général de la DGST, estimant qu'elles sont "sans fondement". Témara, le centre de torture du Maroc Le Maroc nie l'existence d'un centre de détention près de Rabat où la police secrète torture sans limite. Pourtant, témoignages et rapports d'enquête accablants se multiplient. A l'époque de Hassan II, Témara, à quelques kilomètres au sud de Rabat, était plutôt synonyme de farniente et de douceur de vivre. Cette petite agglomération doublée d'une agréable station balnéaire a depuis radicalement changé de réputation. Au bout d'une longue et sinueuse route qui la borde, se cache, niché au fond des bois qui ceinturent la capitale, un centre de détention secret qui pourrait ravir la palme de l'horreur au tristement célèbre bagne de Tazmamart, symbole des années de plomb. Sous Mohammed VI, les services secrets marocains y perpétuent la pratique de la torture, les sévices les plus sadiques, dans des conditions de détention effroyables. Des centaines d'hommes et de femmes –aucun chiffre précis n'est connu– y sont passés, dans des cellules exiguës qui ne seraient guère plus que des culs de basse-fosse. La CIA confirme l'existence de centres de torture La commission des services secrets au sénat américain a fait déclassifié, le jeudi 3 avril 2014, un rapport sur les méthodes d'interrogations des présumés terroristes après le 11 septembre. Selon les premiers éléments issus du document, révélé par Al Jazeera, le Maroc serait partie intégrante du système de torture employé par l'administration américaine durant cette période. Un résumé d'environ 400 pages du rapport ainsi que les éléments clés de celui-ci ont été déclassifiés suite à une requête du sénat américain, selon Al Jazeera. La publication complète de ces documents ne dépend plus que de la CIA et de la Maison Blanche. Le rapport pourrait être l'un des documents les plus révélateurs des actions du gouvernement américain durant les deux mandats de George W. Bush. A noter que ce dernier avait reconnu l'existence de prisons secrètes en 2006. Le document original, long de 6 600 pages, révèle, selon des sources au sein du sénat américain, que 10 éléments dits « importants » ont été secrètement détenus dans le Camp « Echo » de la base américaine de Guantanamo entre 2003 et 2004. Ces personnalités ont ensuite été transportées à Rabat avant d'être officiellement réacheminées au centre de détention de Guantanamo en 2006. A noter que le site d'information Mamfakinch, avait fait état de l'existence d'un centre de torture situé à la frontière des préfectures de Rabat et de Temara près de la forêt de Maamora. Un document d'Amnesty International datant de 2004 révèle, quant à lui, les méthodes de tortures et les détentions secrètes opérées dans « le centre de détention de Temara ». Hammouchi décoré par la France C'est une distinction qui suscite l'étonnement. A l'occasion d'une visite au Maroc, samedi 14 février 2015, l'ex ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait annoncé que Paris allait prochainement décorer le patron du contre-espionnage marocain, pourtant visé par une plainte pour "torture" en France. Cette décision est censée marquer la fin de la brouille née il y a un an entre Paris et Rabat, justement après le dépôt de cette plainte contre Abdellatif Hammouchi. A la suite de cette plainte, le Maroc avait en effet suspendu la coopération judiciaire avec la France, et limité au strict minimum la coopération sécuritaire. Une décision levée à la fin janvier 2015, après un accord entre les deux gouvernements. En visite au Maroc, Bernard Cazeneuve a longuement loué "l'expertise" et "l'efficacité" du Maroc "dans l'échange de renseignements", évoquant "un partenaire clé". Un parcours digne d'un Oufkir bis Né en 1966 à Ouarzazate, Abdellatif Hammouchi était un responsable direct de la torture. En effet, dans la plainte du Champion du Monde de Boxe Thaï, Zakaria Moumni, déposée pour "torture" par Maître Patrick Baudouin, avocat au Barreau de Paris et Président d'honneur de la FIDH et Maître Clémence Bectarte, le 21 février 2014, auprès du Procureur du pôle spécialisé crimes contre l'Humanité́ / crimes de guerre, du Tribunal de Grande Instance de Paris, M. Zakaria Moumni a déclaré avoir formellement reconnu Abdellatif Hammouchi, lors de l'une des séances de tortures subies au centre de Temara.