Le 11 août, Vladimir Poutine a annoncé que la Russie était le premier pays à détenir un vaccin contre le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 à l'origine de la pandémie de Covid-19. Selon le président russe, ce vaccin, baptisé Spoutnik V, procure une «immunité durable». Développé par l'Institut de recherche Nikolaï Gamaleïa à Moscou, il a été enregistré auprès du ministère de la Santé russe, l'organisme de réglementation qui détermine quels médicaments peuvent être utilisés en Russie. Le centre de recherche a indiqué que Spoutnik V a bénéficié d'une autorisation d'utilisation d'urgence. Ce type d'approbation signifie généralement que le vaccin concerné pourrait être proposé aux personnes à très haut risque d'infection, comme les employé (es) du secteur de la santé, mais pas au reste de la population. On peut cependant craindre que Spoutnik V ne soit prochainement administré à l'ensemble du peuple russe, ce qui outrepasserait largement les limites de l'utilisation d'urgence. L'annonce du président russe a généré de vives discussions au sujet de la course au vaccin contre le Covid-19. Car, bien que la rapidité soit importante, il est avant tout crucial de s'assurer que le vaccin mis au point sera efficace et sûr. La distribution d'un vaccin potentiellement dangereux et inefficace pourrait en effet avoir des conséquences à large échelle. Les données relatives aux essais n'ont pas été publiées Le vaccin Spoutnik V avait précédemment été enregistré par l'Institut Gamaleïa dans le cadre d'un essai de phase I/II, destiné à évaluer sa sécurité et les réponses immunitaires qu'il induit chez l'être humain. Initialement, cet essai n'incluait que trente-huit participant (es). Des responsables russes ont déclaré que Spoutnik V avait induit une forte réponse immunitaire et que l'essai en question n'avait pas mis en évidence de «complication grave». Rien de surprenant, car les données publiées jusqu'à présent dans le cadre d'autres essais cliniques sur l'être humain concernant la mise au point de vaccins similaires ont révélé elles aussi l'existence de fortes réponses immunitaires et l'absence de complications sérieuses. Cependant, les données de l'essai n'ont pas encore été publiées et rien n'indique que le vaccin protège réellement, car les études de phase III, qui nécessitent des milliers de volontaires pour démontrer l'efficacité d'un vaccin et en détecter les effets secondaires rares, n'ont pas encore été réalisées. L'Institut Gamaleïa a annoncé qu'un essai de phase III concernant Spoutnik V a débuté débuter le 12 août, en Russie et dans plusieurs autres pays. Toutefois, de nombreux scientifiques (y compris des chercheurs et chercheuses russes) ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le vaccin pourrait bientôt être utilisé dans le cadre de grandes campagnes de vaccination civile. Quels sont les risques? Si nous voulons continuer à filer la métaphore de la course, il faut bien comprendre que nous devons cesser de considérer la mise au point d'un vaccin comme un 100 mètres. Elle tient en effet davantage du pentathlon. Dans cette discipline, chaque épreuve passée par l'athlète contribue à son score global. Pour gagner, aucune ne peut être ignorée, ou totalement ratée. Si nous essayons de participer à la course contre le Covid-19 sans tenir compte de toutes les épreuves imposées, nous risquons de nous retrouver avec un vaccin qui n'aura pas été correctement testé, ce qui pourrait s'avérer non seulement dangereux, mais aussi contraire à l'éthique. Dans ce cas, la défaite serait totale. Décider de passer à une vaccination de masse sans avoir effectué les tests appropriés fait en effet courir d'importants risques. En particulier, si des effets secondaires non documentés apparaissent après que le vaccin ait été largement administré, le risque est de dégrader à la fois la santé de la population et sa confiance dans la communauté scientifique. Par ailleurs, si le vaccin ne protège pas les individus contre l'infection, ou si la protection est insuffisante, ceux qui ont été vaccinés pourraient croire qu'ils sont protégés alors que ce n'est pas le cas. Nous devons cesser de considérer la mise au point d'un vaccin comme un 100 mètres. Notre système d'essais cliniques, méthodique, est le fruit d'enseignements qui ont souvent été acquis à la dure. Il a été conçu pour éviter les oublis, et pour collecter des données essentielles sur la sécurité, l'immunité et la protection des vaccins en développement. Comme l'a déclaré le secrétaire américain à la Santé et aux Services sociaux, Alex Azar: «Il ne s'agit pas d'être le premier à sortir un vaccin. Il s'agit de disposer d'un vaccin qui soit sûr et efficace pour le peuple américain et pour les habitants du monde entier.» La mise au point d'un vaccin prend du temps. Les délais que nous nous fixons, tout comme nos attentes, doivent être réalistes. Tester un vaccin demande de la rigueur Lorsqu'un gouvernement envisage d'introduire un vaccin sur le marché, il examine les informations suivantes: Quel est le degré de sécurité dudit vaccin? À quel point est-il efficace? Quelle est la gravité de la maladie qu'il permettrait de prévenir? Combien de personnes contracteraient la maladie sans vaccin? Les réponses à ces questions sont recueillies au cours de chacune des phases des essais cliniques (phase I, phase II et phase III), en mettant l'accent, à chaque étape, sur la sécurité du vaccin. L'élaboration de cet ensemble d'informations peut prendre des années. Toutefois, il est déjà arrivé que, dans certaines situations, les délais soient raccourcis. Ce fut par exemple le cas des essais menés pour trouver un vaccin contre les maladies à virus Ebola, qui ont été condensés sur cinq ans. Les épidémies faisaient rage, et il y avait alors un besoin critique de ce vaccin. Cependant, indépendamment de cette urgence, chacune des phases d'un essai clinique classique a été menée à bien. Etant donné que les vaccins sont administrés à de nombreux individus, il est primordial d'identifier les effets secondaires rares. Les essais cliniques de phase III sont particulièrement importants lorsqu'il s'agit de vérifier que le vaccin est sûr pour le plus grand nombre de personnes possible: lors des phases d'essai antérieures, de moindres envergures, certains effets secondaires rares peuvent ne pas avoir été identifiés. Ainsi, si le vaccin ne provoque un effet secondaire donné que chez une personne sur 10.000, pour être à même de le détecter un essai devra enrôler environ 60.000 volontaires. Les vaccins sont administrés à des personnes en bonne santé: la sécurité est donc la priorité essentielle. C'est pourquoi ils sont, d'une façon générale, testés de manière plus approfondie que n'importe quel autre médicament. Qu'y a-t-il dans ce vaccin? Il est un vaccin à vecteur viral. Le principe est de leurrer notre système immunitaire grâce à un appât; il s'agit de prendre un virus inoffensif, de le modifier pour qu'il ne puisse pas se répliquer puis d'y ajouter un élément issu de la surface du virus SARS-CoV-2. Pour le système immunitaire, le résultat ressemble à un virus dangereux. Sa réponse au vaccin est donc relativement forte, et ciblée contre le SARS-CoV-2. Cependant, le virus utilisé ne peut pas provoquer de maladie. Spoutnik V est particulier, car il utilise deux vecteurs viraux différents. Le premier, appelé Ad26 (pour adenovirus serotype 26), est similaire à celui utilisé dans le cadre du développement d'un autre vaccin contre le COVID-19, mené par l'entreprise pharmaceutique américaine Johnson & Johnson. Le second, Ad5, ressemble à celui utilisé par la société chinoise CanSino Biologics pour la mise au point de son vaccin contre le Covid-19.Les vecteurs viraux constituent une technologie relativement nouvelle. Plusieurs essais cliniques de grande taille ont été réalisés avec des vecteurs viraux dans le contexte de la recherche d'un vaccin contre le VIH, le paludisme, la tuberculose et les maladies à virus Ebola. Cependant, pour l'instant, un seul vaccin de ce type, destiné à lutter contre Ebola a reçu une approbation pour administration en population générale.