Il y a 22 ans, plus exactement le 5 octobre 1988, l'Algérie était à feu et à sang. Des jeunes en désarroi ont déclenché des émeutes dans de grand centres urbains du pays. La pénurie de certaines denrées alimentaires et autres produits de première nécessité n'ont été en réalité que la goutte qui a fait déborder le vase. Le 5 octobre 88, en vérité, n'était que le débouché d'une vague de contestations populaires et de grèves ouvrières observées dans beaucoup d'usines depuis le début de la décenie auquel s'ajoutent le mouvements de contestation estudiantins qu'ont connus certaines universités algériennes et qui traduisaient déjà le malaise qui couvait dans le pays. En effet, tous les ingrédients, étaient réunis et les signes avant-coureurs d'une explosion populaire étaient perceptibles des mois voire des années à l'avance. Le printemps berbère avait déjà brisé le mur de la peur Le printemps berbère d'avril 80 en Kabylie avait déjà brisé le mur de la peur et cassé le mythe d'un système politique inamovible. Une action, au début étudiante devenue très vite une action populaire de masse appelant à une refonte du système politique, une refonte basée sur le respect des droits humains et une ouverture démocratique à l'effet de faire participer le peuple à la gestion des affaires du pays. Depuis ces événements qui ont touché toute la Kabylie et Alger, la lutte pour les libertés démocratiques a poursuivi son chemin et abouti à la création, entre autre, de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH). C'est ainsi que le printemps berbère a sauté le verrou et instauré une culture de lutte et de mouvements revendicatifs autour des questions démocratiques. Ce qui a dans la suite des événements débouché vers des grèves à Bougie en 81, à Beni Mered, Rouiba (Alger) et à Oran en 82, à la Casbah en 85, à Constantine, Sétif, Annaba, Ain Beida en 86, à l'Est du pays. Ces événements ont été marqués, à chaque fois, par une répression brutale contre les grévistes et les manifestants. C'est dans cet élan de mobilisations que le 5 octobre a culminé une tradition de contestation dont l'explosion du 5 octobre a ét2 le couronnement de ces mouvements de protestation qui ont secoué l'Algérie durant la décennie 1980. En 1988, la révolte de la jeunesse d'Alger, était en substence l'expression d'une vague de grèves ouvrières commencée à SNVI (Société Nationale de Véhecules Industriels) de Rouiba le 3 juillet et reprise en septembre. D'un atelier combatif à l'ensemble du complexe industriel, de celui-ci à l'ensemble de la zone industrielle de Rouiba, les grèves s'étaient étendues, par contagion, d'abord à la zone industrielle de Oued Smar puis à la zone d'El Harrach puis enfin aux unités industrielles d'Hussein dey, Belcourt et Alger centre. Tout a commencé la veille, le 4 octobre, quanD des jeunes sont sortis dans la rue pour crier leur ras-le-bol et un avenir sans perspective, et ce, en s'en prenant à tout ce qui symbolisait l'Etat : édifices publics - surtout les fameux souk el-fellah (super-marchés) et les sièges du FLN, le Front de libération nationale, le Parti unique. Après ces affrontements du 4 octobre à Bachdjarah et Bab el Oued, toujours à Alger, des manifestations violentes surviennent mercredi 5 octobre dans la matinée à Alger centre et s'étendent en après midi aux quartiers périphériques. Jeudi matin, toute la Mitidja, à quelques kilometres d'Alger, est en mouvement notamment dans les sites de recasement des victimes de l'opération «débidonvilisation». Vendredi Soir, à la TV, Khediri, ministre de l'intérieur, reconnaît son impuissance devant une révolte devenue nationale. La répression s'est acharnée sur les adolescents, bastonnés, violés, castrés, assassinés... Cette repression a nourri la rage inextinguible des jeunes qui a chanté ses martyrs et construit ses comités de quartier à Ain Taya, Bab el Oued, Ain Bénian, Dély Brahim etc… Ni les brigades anti-émeutes, ni le déploiement de l'armée, ni les tireurs mystérieux n'ont empêché les manifestations quotidiennes qui n'ont cessé qu'après la promesse de réformes politiques concédée par Chadli le 10 octobre, au soir des tirs meurtriers devant la DGSN, à Alger centre. Le lendemain, le 5 octobre, toute la capitale était assiégée par une population en furie qui voulait en finir avec un système politique qui ne répondait pas à ses aspirations. Vu l'ampleur des dégâts et de la protestation, l'état de siège fut décrété le 6 octobre à Alger. Toutefois, le mouvement de protestation reprend avec la destruction de plusieurs commissariats et autres édifices publics et se propage à d'autres wilayas, à l'instar de Blida qui est à quelques encablures d'Alger et Bordj Bou-Arréridj dans l'Est du pays. Des groupes de jeunes affrontent les forces de l'ordre qui essayaient de maîtriser la situation, alors qu'à Ouargla et Djelfa, dans le Sud, c'était le début des émeutes. Les premiers morts sont enregistrés. Le 10 octobre, une marche improvisée et encadrée par le courant islamiste, à Bab El-Oued, a été réprimé par l'armée. De nombreux morts ont été enregistrés. Etant donné que l'ébullition populaire ne cessait de prendre des propensions alarmantes, le président Chadli lance un appel au calme dans un discours télévisé dans la soirée du même jour. Deux jours après, le 12 octobre, le président Chadli annonce un référendum constitutionnel qui a donné naissance à l'ouverture démocratique. l'évolution des rancœurs vers la rupture». En somme, le 5 Octobre 1988 était le résultat du cheminement de tout un processus de luttes populaires pour le changement, conjugué au marasme social. En d'autres termes, comme l'a si bien expliqué le sociologue M'hamed Boukhobza, «c'est l'évolution des rancœurs vers la rupture». L'organisation de la riposte démocratique du peuple est due essentiellement à la mobilisation des organisations de gauche comme GCR/PST (Parti Socialiste des Travailleurs), PAGS (Parti de l'Avant Garde Socialiste(proche du PCF), ORT Organisation Révolutionnaire des Travailleurs), OST/ PT (Parti des Travailleurs), MCA (Mouvement Communiste d'Algérie), et des syndicalistes.... Son principal levier était le puissant mouvement estudiantin qui venait de naître de la longue grève générale de 180 000 étudiants en 1987 majoritairement animé par le GCR d'alors, aujourd'hui PST, proche du NPA. L'inoubliable Redouane Osmane, aujourd'hui décédé, en était effectivement la figure de proue de ce mouvement, qui imposa le 1er meeting public de toute l'histoire de l'Algérie indépendante le 3 novembre 88 à Bouzarea (Alger) répercuté par la presse mondiale en présence d'Isabelle Adjani invitée par la ligue des droits de l'Homme, venue se rendre au pied du lit d'hopital dans lequel agonisait le Chanteur Lounes Matoub suite aux tirs de kalachinkow que lui a donné un gendarme durant ces événements. Passant par l'immense manifestation du 24 novembre 88, Place du premier mai, contrainte par le dispositif policier à se replier sur la fac centrale, et cet inédit rassemblement au stade Oukil Ramdane à Tizi-ouzou le 25 novembre aux actions universitaires de Constantine et d'Oran, cette jeunesse organisée en Comité contre la répression et la torture a animé les rues de ses diffusions et marqué de sa présence active et militante les autres initiatives démocratiques comme l'AG de la LADDH à l'Atlas ou les actions du comité contre la torture et la grande manif de Bab ezzouar (Alger). Sur le mot d'ordre "élargir la brèche dans le mur de la dictature", ils ont coordonné les comités de quartier à Alger, dés la mi-octobre, occupé les premieres tribunes publiques qui s'offraient (Cité de jeunes filles, sciences politiques, babezzouar, coordination universitaire) car la liberté n'existe que si l'on s'en sert. Mais la riposte démocratique s'est heurtée à l'absence de tradition aprés 26 ans de dictature et à la faiblesse des noyaux militants au sortir de la clandestinité face à la répression étatique qui s'est acharnée à contenir, à réduire, à étouffer ce mouvement pour rétablir le vide politique. Aucun responsable des événements n'a été jugé à ce jour. Dans ce silence, les prêches enflammés qui continuaient dans quelques mosquées ont permis peu à peu aux intégristes de prendre l'hégémonie sur la jeunesse révoltée puis sur une société meurtrie dont les aspirations sociales n'étaient pas satisfaites par les débuts d'entr'ouverture politique. La tentative de quelques figures islamistes de rejoindre le mouvement pour le chevaucher, par l'initiative de la marche du 10 octobre, n'a pas rallié les jeunes à l'islamisme. La répression politique a plutôt concerné les militants de gauche, en les interpellant, en les enlevant. Deux cent syndicalistes ou pagsistes (militants du PAGS) ont été sauvagement torturés à la veille du 5 octobre. Car la manœuvre politique du pouvoir visait à utiliser la révolte des humbles contre la politique antisociale de la dictature afin de délégitimer l'étatisme économique et permettre l'infitah, l'ouverture libérale, le pillage du patrimoine public. Le bilan de la répression est de 500 à 600 personnes tuées et des milliers de blessées dont beaucoup sont aujourd'hui infirmes. Des centaines de jeunes ont été également torturés dans les commissariats, les casernes et les postes de gendarmerie. En dépit de ces graves dérives, aucun responsable civil de l'époque ni aucun chef des services de sécurité directement impliqués dans la «gestion» des événements du 5 Octobre n'a été jugé à ce jour.