La présidente de l'audience l'interroge : "que feriez-vous si Moumen Khalifa vous demande de lui préparer 50 milliards. Vous exécutez à la lettre ?". La réplique tombe net. "Affirmatif. Je suis un exécutant", répond Akli naïvement. Au rythme où vont les audiences, tout laisse croire que des révélations tonitruantes seront distillées plus tard. Les langues commencent, semble-t-il, à se délier. En effet, les témoignages de Lakhdar Khalifa et de Aïouaz Nadia, respectivement frère du golden boy algérien en fuite, Khalifa Moumen, et secrétaire particulière de ce dernier ont permis de lever un coin d'ombre sur les conditions entachées de nombreuses "irrégularités et de trafic" lors de la création de la banque El Khalifa et de sa gestion presque fondée sur l'escroquerie. Jeudi dernier, Lakhdar Khalifa a rappelé comment il a été associé à la création de la banque Khalifa sans être pourtant tenu informé des changements opérées par son frère Moumen sur les statuts constitutifs de la banque. Un véritable mépris bien qu'il soit au départ un actionnaire à part entière. Il dit n'avoir assisté à aucune assemblée générale si ce n'est celle de 2002 lors de laquelle Khalifa Moumen a réuni ses co-actionnaires pour se présenter lors de la lecture des bilans financiers en présence du commissaire aux comptes. Pour sa part, Nadjia Aiouaz, secrétaire de Khalifa Moumen citée à la barre en tant que témoin, a révélé après avoir été acculée par les questions pernicieuses notamment des avocats de la défense, que des personnalités politiques et artistiques se bousculaient au portillon de "l'empire Khalifa" afin de bénéficier de ses privilèges et autres cadeaux. Elle citera le nom de l'actuel ministre de la solidarité nationale, Djamel Ould Abbas qui selon, ses dires, venait toucher des cartes de gratuité sur des vols de la compagnie Khalifa Airways. La chanteuse Amel Wahbi, également se présentait au siège de la banque Khalifa pour bénéficier de largesses. "Elle venait s'enquérir du transfert en devises, à son compte en devises mais je ne peux en dire davantage sur le montant ni sur le moyen par lequel cet argent a été transféré", dira-t-elle. Autres révélations et pas des moindres, la citation par Mme Aiouaz de l'ancien ministre de l'habitat, Abdelmadjid Tebboune, puisque celle-ci a rappelé avoir servi du café lors d'une rencontre entre ce dernier et Rafik Khalifa au siège de la banque. Par ailleurs, lors du cinquième jour du procès qui se tient au tribunal criminel de Blida, la présidente , Mme Fatiha Brahimi a cité à la barre Sid-Ali Hammoum, secrétaire de la caisse de Tipaza, lequel s'est avéré incapable de justifier s'il a reçu ou pas des documents prouvant que l'argent que Khalifa devait restituer se trouvait dans les caisses du trésor public "On devrait trouver des traces, des écrits. La question demeure sans réponse.", lance Me Brahimi à l'adresse de Hammoum. Cela étant, la présidente du tribunal a décidé de faire amener l'actuel responsable de la caisse de Tipaza pour éclairer cette question. Invité à la barre, maître Omar Rahal, accusé d'être avec Guellimi Djamel, homme de confiance et d'enfance de Rafik Khalifa, derrière la falsification des actes constitutifs de la création de la banque Khalifa, a estimé que la BDL a signé le récépissé de paiement du chèque. Mme Brahimi lui demande "comment expliquer les trois cheques ?", avant d'affirmer qu'il n'y avait pas eu de dépôt. De son côté, Omar Guellimi, père de Djamel et actionnaire dans la banque Khalifa, cité en tant que témoin, dit, après un long silence, ne pas se souvenir du lieu de la signature des statuts de la création de la banque. Il révèle toutefois qu'il a déjà auparavant remarqué un chèque de l'ordre de 125 millions de dinars libellé au profit de Moumen Khalifa. A la question de savoir qu'un changement de statuts impose d'avoir l'aval de la commission bancaire et de l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, Abdelwahab Keramane, toujours en fuite, le père Guellimi a rappelé que le vice-gouverneur de l'époque les a reçus. Le représentant du ministère public intervient pour l'interroger sur la date et le lieu du changement opéré sur les statuts constitutifs, celui-ci fait appel à sa mémoire et déclare que cela est probablement intervenu avant juillet 1998. Plus loin, Omar Guellimi estime, en homme de loi, que la réglementation n'est pas respectée vu l'anarchie qui régnait au siège de la banque Khalifa. "Connaissait-t-il la famille khalifa ?", lui demande la magistrate. Le témoin répond par l'affirmative. Toutefois, ce dernier affirme qu'il n'a pas vu la sœur de Moumen khalifa signer le contrat de la création de la banque. La présidente l'informe que celle-ci était au Maroc. Appelé également à la barre, Issir Nadir Mourad s'est inscrit en faux avec les propos de Omar Guellimi en avouant n'avoir jamais signé de sa vie un chèque de l'ordre de 125 millions de dinars. Moment de confrontation. Le père Guellimi insiste sur le fait que le dossier portant création de la banque Khalifa était fin prêt en octobre 1998. La présidente du tribunal annonce que les débats vont désormais porter sur la caisse principale de la banque khalifa. Akli Youcef, accusé contre lequel pèsent de nombreuse charges, est appelé à la barre. Ancien agent administratif à la BDL de Staouéli entre 1988 et septembre 1998, Akli soutient qu'il a quitté cette agence de son propre gré pour aller occuper le poste de caissier principal de l'agence de Chéraga : "J'ai voulu changer. Il n'y a pas d'intermédiaire", explique-t-il et d'ajouter : "J'étais reçu par M. Nanouche, directeur général de Khalifa banque". Selon lui, la caisse principale de ladite banque se trouvait au sein même du siège de l'agence de Chéraga. Alors, la présidente lui demande comment fonctionne cette même caisse. "C'est une caisse pour recevoir les fonds de toutes les agences d'Alger. L'argent est collecté enfin de journée et mis dans cette caisse avant d'être distribué le lendemain", révèle-t-il. L'inculpé dit que la caisse était sous la coupe de Baichi, directeur central de la direction de la trésorerie. Mme Brahimi intervient pour savoir comment l'argent des agences est acheminé et quels sont les documents délivrés pour cette opération . "Un caissier de chaque agence accompagne les fonds avec un accusé de réception", rétorque Akli Youcef, soulignant que le golden boy algérien avait pour habitude de le contacter par téléphone pour lui intimer "l'ordre" de lui préparer des sommes d'argent souvent faramineuses pour les prendre ensuite de la caisse. Etonnée par cette déclaration, la présidente de l'audience l'interroge : "que feriez-vous si Moumen Khalifa vous demande de lui préparer 50 milliards. Vous exécutez à la lettre ?". La réplique tombe net. "Affirmatif. Je suis un exécutant", répond Akli naïvement. Déconcertée par cette réponse, Mme Brahimi, jusque-là sereine et calme, hausse le ton : "C'est l'argent des agences. En qualité de quoi le P-DG jouissait de cet argent ?". Et c'est avec crédulité que Akli rétorque : "C'est lui le patron." L'inculpé a également cité les noms des hommes de main de Moumen Khalifa, à l'image de Chachoua Abdelhafid, Krim Smail et Bouabdellah Salim. Ceux-ci bénéficiaient aussi de l'argent de la caisse principale. "Y a-t-il des écrits ?", interroge la juge. Négatif est la réponse de Akli. S'agissant des sommes d'argent en dinars et en devises que Moumen Khalifa prenait de la banque sans documents, Akli Youcef insiste sur le fait qu'il a eu à demander à son patron de lui fournir des justifications. celui-ci lui dira, selon les dires de Akli, qu'il va les régulariser le plus rapidement possible. Or rien de tel ne s'est jamais produit. Un artifice de plus de Khalifa. L'ancien agent de la BDL de Staouali avoue que seulement 10 à 15 minutes suffisent à Khalifa pour mettre la main sur une somme de 10 millions de dinars. Rocambolesque ! dirions-nous. La magistrate, de plus en plus intriguée par les propos de Akli Youssef, lui demande si Khalifa lui laisse des écrits au moins pour justifier ces sorties. Ce dernier répond : "lorsque je lui remet l'argent , je prend note." Ne voulant pas croire ses oreilles, Mme Brahimi martèle "comment allez vous expliquer le trou dans la caisse ?". Akli reste sans réponse. Répondant à une autre question, l'accusé révèle dans le procès-verbal avoir donné 8 millions d'euros et 2 millions de dinars pour Khalifa et d'autres sommes en devises. La présidente demande ce qui empêchait d'établir des comptes de manière officielle et organisée. "Comment allez vous convaincre la cour que des millions sont sortis sans même un bout de papier", s'interroge la juge. Affaire à suivre... Hocine Lamriben La Dépeche de la Kabylie