L'histoire de ce lycée n'est en fait qu'une somme de mémoires. Il est là, stable et majestueux et continue à s'offrir altièrement aux yeux de passants parfois indifférents, parfois soupirants et nostalgiques quand il s'agit de ses anciens locataires. Il semble garder, par le silence émotionnel qu'il suscite, de nombreux faits historiques et scientifiques dignes et à la mesure de la localité. Il existe depuis 1873. On l'appelait le collège communal. À cette époque, l'on raconte que cette enceinte scolaire souffrait de l'absence d'un maître de chant et d'un enseignant aguerri dans la discipline sportive devant assurer des cours de gymnastique. Il fallait les suppléer par un maître de dessin et un militaire détaché de la garnison de la ville pour en faire office. Dire que plus d'un siècle après, Sétif tiendrait avec l'entente et la chanson sétifiennes un palmarès des plus brillants. Paradoxalement, les soucis relatifs à l'insuffisance des crédits de fonctionnement perdurent depuis cette date à nos jours, supposerais-je. Si maintenant, chaque levée de regard à l'égard de ce monument rappelle un temps accompli, chaque passage sur les flancs de ses bâtiments suggère le rappel d'un fait coquin, d'un geste puéril ou d'une intention buissonnière ; la méditation est irrésistible quand l'esprit s'évade avec douceur de la morosité de ce jour pour se laisser voguer libre au rythme du temps d'alors et flâner élève de l'époque dans l'espace des quatre cours ou sur l'asphalte de la cour sud. Là, l'émotion vous étouffe. Le soupir vous étrangle au moment même où le souvenir caressant vous ligote sans liens ni menottes, pour vous mettre volontaire et sans défense face à des visages de personnes connues. Ces personnes parmi tant d'autres, d'entre compagnons et encadreurs, internes et externes, enseignants et surveillants, maîtres et pions s'élèvent tous en choeur pour vous faire toucher du doigt que le temps a changé. Qu'elles-mêmes ne sont plus les mêmes. Les unes ne sont plus de ce monde, les autres sont ailleurs. Beaucoup de ces visages s'extirpent à l'instant de la remémoration et se greffent au vôtre. Il y en a des martyrs, il en reste des survivants. La mort post-indépendance a fauché dans la fatalité ceux qui ont survécu. Du 08 Mai 1945 au 05 Juillet 1962, en passant par le salutaire et final assaut du 1 Novembre 1954 ; le lycée a semé les embryons déclencheurs de la conscience nationale pour produire les éléments actifs et libérateurs du pays. L'élève d'antan, enfant insoucieux aux conditions précaires mais le plus souvent studieux et hardi a été le chef moudjahid dans la guerre, le ministre, le directeur général, le cadre supérieur, le professeur, le magistrat, l'écrivain et le poète, le... dans la République algérienne libre et indépendante. Qu'en est-il aujourd'hui ? Une association c'est très bien. Une protection de la mémoire avec un soutien à la souvenance continue et pérenne c'est mieux. Une réhabilitation d'excellence est meilleure. Je joins ci-après une réaction d'un ancien élève, un ami qui se reconnaîtra, « Mais faudrait-il que nous revivons toujours que de ces souvenirs ? La question serait de savoir si Kerouani doit rester seulement ce « vestige » à l'image d'un musée, ou d'en faire pour que les autorités s'y engagent fermement pour l'ériger en établissement d'excellence pour nos jeunes futures élites. En plus de l'usure et l'oeuvre du temps, Kerouani de nos bons souvenirs sombre dans la décrépitude et l'abandon que l'orgueil seul ne suffira pas pour le réveiller de sa longue léthargie ».