e tapis du Guergour, ça n'a rien de bissât E'rrih mais c'est devenu ce tapis volant qui vogue au grès des oubliettes. Comme pour de nombreux métiers artisanaux, celui de la laine ou plus exactement celui du tissage a presque totalement disparu de nos foyers. Naguère, cette activité était présente partout. Rares étaient les familles qui ne réalisaient par elles mêmes ou par le truchement de la communauté, ses propres besoins en tapisserie d'intérieur, en hambel, ces couvertures familiales aux dimensions démesurées, ou bien en burnous savamment tissé .Il en était de même pour le fameux tapis du Guergour aux formes et aux couleurs multiples, né dans cette même région. Le métier à tisser était une propriété commune .Le douar ou le village pouvait disposer d'un ou de plusieurs exemplaires mais aucune famille ne pouvait en revendiquer la priorité exclusive. C'était la règle ou plutôt c'était le trait d'union de cette solidarité soutenue et voulue. Les travaux de tissage se réalisaient en commun. Tel un tableau de peinture, chacune des femmes apportait une touche et une ‘signature' qui conféraient à l'ouvrage final une authenticité et une personnalité unique qui pouvait vivre et traverser les siècles. Les travaux préparatoires nécessitaient un long processus et un long cheminement allant de la taille (djezza) jusqu'à la préparation du fil à tisser en passant par le nettoyage, le cardage, la teinte etc. Cela donnait lieu à des retrouvailles, des rencontres et mêmes des réjouissances à l'achèvement de l'ouvrage. Mis à part les femmes en couches, nulles autres ne pouvaient déroger à la règle de la participation. D'ailleurs, celles qui en étaient sollicitées le faisaient de gaité. Cela permettait de rompre de la solitude et la monotonie quotidienne, d'échanger les nouvelles ; un peu comme dans le café maure pour les hommes. Je me revoie encore, jeune garçon, emporté dans mon sommeil par le frottement du Kardache (brosse à main à pointes métalliques pour fibre de laine), qui semblait dévorer des pans entiers. Délicatement, la cardeuse, générait une masse de petits plis de laine, égaux et superposés d'un blanc éclatant et semblait mesurer son œuvre par la finesse de ces mêmes plis en les tournant et retournant avant de les ranger définitivement. Les plaintes de la Yazilla sifflent encore dans mes oreilles ou par le va et vient du rouet. Ferrrr ,ferrrr, ferrr ; répétait ce vieux et infatigable rouet manié avec dextérité par la plus expérimentée. Il berçait notre sommeil quand ce n'est l'élévation d'une voix lointaine d'une épouse ,d'une maman ou d'une tante ,derrière son métier à tisser, étonnant par le chant ;l'expression de son malaise de l'absence prolongée de l'époux ou du fils ou du frère ,parti au loin ,très loin en quête de subsides ou de cette vieille grand-mère à la voie rogue et enrouée poussant d'autres chants langoureux , plus tristes encore pour rappeler ces êtres bien aimés ,vivants ou disparus comme pour expier de ces souffrances aux marques profondes. C'était le temps de la guerre, de l'occupation, des maladies, des privations, et de la faim surtout. Oui tout le monde ou presque avait faim. Comme pour les hommes dans les champs, les femmes s'associaient pour réaliser ces travaux de tissages dans cette œuvre commune appelée la Touiza. La Touiza est cet acte volontaire ou chacun contribue à la vie communautaire par une présence physique ou un apport quelconque pour souligner son appartenance à la communauté. Rares étaient ceux qui ne pouvaient ou refusaient de s'y s'associer au risque de l'exclusion et parfois même de l'excommunication. De nos jours, pour beaucoup d'entre nous, eu égard aux mutations profondes et transformation de notre société, ce ne sont plus que de souvenirs du passé. Ainsi pouvait naitre le frêche Boufellou ou de Djebel Boutaleb, réalisés en alfa ou du fameux tapis du Guergour dont il est question .Tel ces animaux en voie de disparition, ce dernier, en vieil ambassadeur ou marqueur de nos traditions et de notre culture ancestrale, est en passe de disparaitre complètement. Sa réhabilitation fut bien tentée dans les années 70 mais, l'implantation d'un grand complexe de production de fil à coudre à proximité et les salaires attrayants proposés avaient fini par assassiner l'unité rurale qui commençait à peine à réaliser un magnifique catalogue de produits aux exemplaires uniques, aux couleurs et aux dessins géométriques magnifiques. La reconversion de cette unité en ateliers de confections communes et l'apparition de articles importés ont contribué hélas, mille fois hélas, à faire disparaître complètement ce métier qui, tel un fossile, retrace l'histoire de toute une région qui avait commencé il y des siècles pour être amélioré par l'arrivée et l'installation d'un vieux janissaire turc originaire de la lointaine Anatolie. Aujourd'hui, plus qu'hier, dans la recherche de soi, pour la reconstitution de notre histoire et la refondation de notre personnalité, les autorités officielles, à commencer par la wilaya, doivent songer sérieusement à la sauvegarde de cet art avant qu'il ne soit enseveli sous les pans de l'oubli purement et simplement. La sauvegarde peut se réaliser par à travers l'encouragement des coopératives de jeunes qui seront crées dans le cadre du dispositifs du bénéfice des locaux commerciaux réalisés à travers les communes en imposant un cahier des charges rigoureux mais en garantissant également un plan de charges par des achats publics au bénéfices des ces mêmes organismes. Ainsi, on aura sauvé un métier ou des métiers artisanaux qui se définiront par eux mêmes plus tard en se développant et en s'améliorant constamment. Pour sauver des activités face à la concurrence étrangère, des états puissants (récentes interventions des gouvernements américain et français pour le secteur auto) pratiquent aux bénéfices de leurs unités industrielles des crédits et des financements sur compagnes ou réalisent carrément que l'on appel communément ‘le dumping'. Pourquoi ne le fera-t-on pas au profit de notre artisanat pour préserver nos âmes et notre histoire et de créer par là des milliers d'emplois sédentaires au bénéfice d'une tranche de la population fragile ou fragilisée ? Gouverner, c'est prévoir, organiser et coordonner, disait Henri Fayol pour ne pas se limiter à commander et à contrôler comme il en fit le constat lui même des ces seules préoccupations auprès des dirigeants. Et si Farid El Attrache pouvait renaitre pour nous chanter sa fameuse chanson :Bissat Errih .On lui offrirait alors celui du Guergour pour survoler son monde. Il subsiste sa voix comme doit subsister notre tapis. Ferrrr ,ferrrr, ferrr ,le rouet,pivotera toujours Il ne n'arrêtera pas de si tot.Nous l'espérons.