(Suite) ‘'La République française n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple'' énonce en son préambule la Constitution de la IVe. République. Sa constitution, rédigée au lendemain de la libération de la France, est surnommée fille de Montesquieu et de la Résistance. Sans doute, à cause du principe de la séparation des pouvoirs. Or, face aux légitimes revendications de libération des Algériens, elle va puiser dans son répertoire institutionnel et judiciaire, en vigueur sous l'Etat français. La République française va abolir de fait ce principe hérité de la Révolution de 1789 et instituer la confusion, voire la collaboration des pouvoirs, selon la formule de M. Debré : l'exécutif vassalisant le législatif afin d'institutionnaliser la mutation du pouvoir judiciaire en interface de la dictature militaire. On ne peut, non plus, omettre le refus opiniâtre du respect des Conventions de Genève de 1949, pourtant ratifiées par la France, alors que le GPRA s'engageait à appliquer la réciprocité. Leur application aurait assuré la protection prévue en faveur de la population civile, en lui évitant la répression systématique, et des djounoud blessés en les mettant à l'abri des exécutions sommaires. Elle aurait également conféré le statut de prisonniers de guerre à ceux pris au combat. Si E. Faure, qui avait occupé un siège de procureur adjoint au Tribunal de Nuremberg, en 1945/46 s'était abstenu de requérir la peine de mort contre les dignitaires du IIIe. Reich, par respect des règles déontologiques de sa profession d'avocat, s'agissant d'Algériens, pourtant combattant pour leur liberté, il fût radicalement sans scrupules : c'est en vertu des lois d'état d'urgence et de la décision interministérielle édictées sous sa Présidence du Conseil que 156 Algériens furent guillotinés. Les titulaires des Chaires universitaires du Panthéon, s'asseyant sur le contenu de leurs cours magistraux, abdiquant leurs attributions de censeurs objectifs du pouvoir exécutif ont acquiescé, sans réserve aucune, aux violations délibérées, notoires, successives, en cascade, des canons de l'édifice institutionnel français. De multiples commentaires doctrinaux de revues juridiques en offrent la preuve : les commentateurs qualifièrent le texte d'état d'urgence aggravé, portant atteinte aux libertés plus que l'état de siège et prescrivant des mesures de responsabilité collective. Ils reconnurent unanimement qu'il s'agissait, d'appliquer aux Algériens un droit de seconde qualité, par nécessité. Pas une seule voix ne s'est élevée pour le condamner. D'ailleurs, vu la publication instantanée de l'analyse sur la Revue Droit Public (10), à l'évidence, ils furent consultés et contribuèrent à l'élaboration et rédaction de la loi, en déployant force érudition : ‘'violer la loi contre un, pour la garder à tous'' (Montesquieu). Autrement dit, corriger Montesquieu… par Montesquieu. En pratique, le pouvoir judiciaire, par un renversement de la hiérarchie des normes, va être à la fois à la botte militaire et ravalé au rang d'auxiliaire de la police. Quelques publicistes useront, pudiquement, du délicat euphémisme de flexibilité du principe de légalité. Enfin, l'organe institutionnel compétent pour connaître des recours en grâce en dernier ressort des Algériens condamnés à mort, création de la IVe. République, avait justement pour vocation de garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire, après sa honteuse prestation de serment au Maréchal Pétain. R. Coty présidait par attribution ce Conseil supérieur de la magistrature et disposait du pouvoir discrétionnaire d'autoriser ou de refuser la consultation des dossiers, y compris des arrêts de condamnations à mort, sans quoi un mémoire en grâce ne peut-être rédigé. Or, dans les courriers échangés entre les différents organes, il était précisé que son avis ne pouvait qu'être conforme à celui du Cabinet militaire du gouverneur général. Celui qui vota, en tant que sénateur, les pleins pouvoirs à Pétain, trouve là une compensation à sa veulerie devant les Allemands. Dans l'intérêt de la vérité historique, il convient de rappeler qu'il présida à l'exécution des Algériens, en refusant les grâces, sous trois gouverneurs généraux ; y compris à la chute de la IVe, avec M. Debré, lui aussi ancien serviteur de Pétain, comme ministre de la justice et de Gaulle, président du Conseil. Curieusement, sa biographie officielle n'en fait nullement mention. Naturellement, la Ve. République va reconduire ce droit régalien. Si sous la IVe la guillotine servait de moyen de dissuasion, de Gaulle en usera comme moyen de pression par l'effusion de sang, lors des négociations avec le GPRA (6 bis). Le Conseil supérieur de la magistrature, également sous la vice-présidence du résistant, humanitaire et pieux ministre de la justice, E. Michelet, a avalisé les assassinats légaux d'Algériens, une décennie seulement après les Sections spéciales près les Cours d'appels chargées de condamner à mort et d'exécuter les résistants à l'occupation allemande. Le régime républicain, issu des œuvres de militaires, se caractérise par la pérennité d'une oligarchie imbue de prérogatives d'agression en mal de succès stratégiques (11). La IIIe. République a fourni les cadres de Vichy, après sa débâcle de 1940. Ils se retrouveront à la tête de la IVe. qui, non encore relevée de ses ruines, répand ses troupes sur plusieurs continents. A peine la Conférence de Genève qui liquide la présence française en Indochine terminée, elle envoie des contingents dans tout le Maghreb, voire en Egypte. Parmi ces thuriféraires de la pacification, résistants et collaborateurs de Vichy réunis, le gouverneur général R. Léonard (12) et son directeur de la sûreté J. Vaujour (13) affirment avoir suivi la préparation du 1er.- NOVEMBRE, sans avoir toutefois réussi à lui faire échec. Au début de la Ve., Vaujour était volontaire, pour mettre ses talents au service du gaulliste P. Delouvrier, à la tête de son cabinet civil et militaire. Avec le même succès. Fin NOTES ET RENVOIS : • (1)Garde des sceaux du gouvernement provisoire, commis par de Gaulle, au pupitre de l'accusation, il y avait dénoncé le mythe du primat racial de l'idéologie nazie en le qualifiant de crime contre l'esprit. • (2) L'activité de la Wilaya II, dans l'immense forêt de chênes-lièges, n'est pas l'objet de cette étude. Elle avait la particularité de lancer des opérations contre les PC de l'armée française selon la stratégie éprouvée du Viet Minh. Les personnalités de son commandement, le Colonel Zighoud Youssef et ses jeunes adjoints Mustapha Ben Aouda, Commandant Mourad, et l'énigmatique Lakhdar Ben Tobbal, devenu ministre du GPRA, inspirèrent d'abondants articles à la presse française. • (3) Les circonstances des condamnations à mort relèvent d'une étude plus approfondie. • (4) Dans les cas des Chouhada F. Iveton guillotiné en janvier 1957 à Serkadji et A. Lakhlifi guillotiné en juillet 1960 au Fort Montluc, leurs actes ne firent pas de victimes. • (5) Les Médecins Nazis, Pr. Robert Jay Lifton. Paris, Robert Laffont, 1989. • (6/6 bis.) Les pouvoirs spéciaux et la Ve. République sont seulement évoqués pour mention et seront développés dans des contributions ultérieures. • (7) Décrets n° 56-268 et 269 du 17 mars 1956. • (8) D'après la cote de la DACG, il intervint personnellement pour l'exécution immédiate de F. Iveton : soit 2 mois après l'arrêt de sa condamnation. Le délai commun étant de 6 mois à 1 an. • (9) Une étude spécifique sera consacrée à la mission de défense, à l'actif de plusieurs barreaux. • (10) Se reporter en particulier à la Chronique Constitutionnelle Française, signée R. Drago, justifiant dans une quarantaine de pages ce droit de seconde qualité (RDP. 1955, 670-708), par référence à l'Esprit des Lois • (11) A titre d'exemple, Koenig, alsacien, comme Messmer et Naegelen, paracheva la pacification du Maroc en 1931-34, puis s'installa à Marrakech jusqu'à l'indépendance avant de reprendre du service contre l'Algérie. Ils étaient nombreux à avoir servi sous les 3 républiques : de Gaulle, Juin, Ely. • (12) Il assurait la direction de la justice militaire sous Vichy, jusqu'à juin 1944. • (13) Lui aussi, sous-chef de bureau au ministère de l'intérieur jusqu'en juin 1944. En 1960, se rendant enfin à l'évidence, dépité, il remit sa démission aussitôt. Ses confessions sont répertoriées au SHD, inventaire analytique sous-série 3K et 4K, Vincennes. A signaler qu'à cette date, J. L. Quermonne, professeur de Droit Public, fut chargé de rédiger une esquisse des garanties susceptibles d'assurer la cohabitation en Algérie dans le respect des minorités. SOURCES DOCUMENTAIRES ET ANNEXES : • Jorf. débats : Ass. nationale, 25/30/31 mars 1955 & Conseil de la Rép. 1er avril 1955. (Les J.o., en microfiches sont d'accès et de reproduction libre et immédiat/e au siège du Jo. et à l'Espace Documentation /Librairie Sénat). • 1. Loi du 3 avril 1955 sur l'Etat d'urgence. Contrairement aux affirmations de quelques historiens, elle ne fut pas abrogée, mais reconduite dans les pouvoirs spéciaux. Elle n'est pas, non plus, tombée en désuétude, puisque appliquée en décembre 2005 pour réprimer la population des banlieues. • 2. Décision interministérielle du 3 septembre 1955 organisant un protocole rapide de condamnations à mort et d'exécution des Algériens, par les TPFA. • 3. Lettre de la Fédération des Maires de l'Oranie, en date du 31 octobre 1955, demandant au Président R. Coty, l'exécution immédiate des Algériens condamnés à mort. • 4. Lettre remise au Président de la République, signée d'avocats des Barreaux de Constantine et de Paris, reçus en audience au Cabinet du Palais de l'Elysée, en octobre 1955. • 5. ‘'Vœu'' de la Direction des Affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice expliquant que les inculpés sont privés de l'exercice des voies de recours afin d'accélérer la procédure. • 6. Lettre ouverte d'avocats de la défense, publiée, relatant le déroulement du procès d'El ‘Alia tenu à Skikda le 17 février 1958. NB. Annexes 2 à 6 recopiées d'un extrait de cote (sûrement expurgée) répertoriée à la Direction des Affaires criminelles et des grâces 1955-58, accessible par dérogation avec interdiction de reproduction des pièces. Les noms des agents de la fonction et de l'action publique des Cabinets présidentiel, ministériel et militaire sont omis pour satisfaire à l'interdiction de les mentionner.