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Toufik Yahia Chérif encore !
Publié dans Sétif Info le 14 - 09 - 2013

Si au début de mon écrit j'ai cédé à la nostalgie c'est probablement parce que j'ai laissé parler la mémoire de mon cœur qui a conservé intacte cette camaraderie innocente d'enfant de dix ans.
Aujourd'hui j'en ai plus de soixante et même si je reste naïf comme on me l'a signifié je n'ignore quand même pas l'histoire coloniale de mon pays, et même celle de beaucoup d'autres. Cependant en dehors de quelques faits et événements qui marquent tout individu, je regarde actuellement la colonisation comme un phénomène de l'histoire, un accident ou encore « un sabotage de l'histoire » comme l'a qualifié Bennabi. Cette ère révolue a laissé néanmoins des séquelles psychologiques comme « le coefficient réducteur », ce complexe d'infériorité qui ligote l'individu et lui met des œillères. Le complexe du « musulman parfait » est aussi pour quelque chose dans le sentiment de cette fierté démesurée et de cet orgueil injustifié qui consistent à regarder une partie du monde par une lucarne et ignorer le spectaculaire bouleversement de la pensée, du mode de vie ainsi que l'attitude à tenir devant les fabuleux apports de la science et de la technologie.
Il y a dans les réactions qu'a suscitées « mon apologie du colonialisme » beaucoup d'ignorance mais je reconnais également quelques esprits qui n'ont pas évolué, attachés à des formules et des slogans creux qui ont fait le malheur de l'Algérie. L'algérien, ou l'arabo-musulman en général demeure un « être émotif et irrationnel ».
Qu'est-ce qu'un colon ou un pied noir ? Qu'est-ce qu'un indigène ? Qu'est-ce qu'un aborigène ? qu'est-ce qu'un noir ? Qu'est-ce qu'un cerf, qu'est-ce qu'un seigneur ? Qu'est -ce qu'un esclave, qu'est-ce qu'un maitre ? Qu'est-ce qu'un arabe, un oriental, un occidental ? Un américain, un indien ?...Un bicot ou un raton !
Qu'est-ce que l'esclavagisme, le féodalisme, le capitalisme, le colonialisme, l'impérialisme, le communisme, l'islamisme ?...
Que sont maintenant les idéologies face à l'économisme et la conquête des richesses ? Que représentent les convictions religieuses ou identitaires ? Que signifient les frontières géographiques si une nation dite puissante peut inonder à souhait la planète avec ses modes, ses modèles et ses « distractions » ou encore tout simplement « punir » un insolent en largant des bombes sur son toit au vu et au su de tous les peuples et de toutes les institutions internationales. C'est la loi du plus fort, comme il en a toujours été !
Seulement le plus fort actuellement n'est pas celui qui rumine son passé et ses faiblesses et fait des séquelles de plusieurs siècles de décadence ses mots d'ordre et sa vanité.
Notre glorieuse révolution a fait de nous un peuple indépendant qui n'a pas su, hélas, contenir une gloriole récupérée par des individus forts de la « légitimité révolutionnaire » dont l'indécence et les élans démesurés ont parfois heurté le respect dû à d'autres peuples dont la souffrance et les sacrifices ne sont pas moins respectables.
Les algériens n'ont pas su mettre à profit le respect et la considération dus à leur glorieuse révolution. Les fanfaronnades de l'un, les « insuffisances des uns et la suffisance des autres » , l'hystérie « progressiste » ainsi que les slogans vides de sens ont généré des comportements meurtriers . Que signifie « par le peuple et pour le peuple » quand on n'a jamais associé le peuple à la vie politique ? Quel sens donner à « la terre à celui qui la travaille » quand la celle-ci est confiée à des salariés ! De quelle vie politique parle-t-on quand le parti unique devient le « rendez-vous des bras cassés et des laissés-pour-compte » ?
A mon avis les luttes, les souffrances et les sacrifices des peuples ne sont plus leurs critères d'évaluation dans la réalité socio-économique actuelle. Il appartient au poète d'en chanter les louanges et à l'historien d'en écrire les pages glorieuses. D'ailleurs au terme de la seconde guerre mondiale les nations belligérantes n'ont pas évalué leurs pertes par le nombre de morts et de disparus mais les ont bien comptabilisés en nombre d'heures de travail ! Le temps perdu ne se rattrape pas.
Aussi devrions-nous à l'heure actuelle calculer le nombre d'heures perdues et méditer sur notre absence de l'histoire depuis qu'Ibn Khaldoun a formulé sa magistrale théorie des décadences des civilisations. Il est vain d'accuser le colonialisme et de prétendre l'obliger à s'excuser et se repentir. C'est une attitude de faiblesse ; ne pas comprendre faiblesse envers l'autre mais plutôt une difficulté à faire face à la réalité et se projeter vers l'avenir. Car pour cela les mots et les condamnations ne suffisent pas. Il faut mettre à contribution ses bras et sa matière grise. Et lorsque ceux-ci prouvent leur efficacité sur la scène mondiale le mérite et la force sont reconnus de facto et le respect et les égards sont dus même par les nations dites colonialistes. Que peut signifier alors cette morbide rengaine du repentir ? Quand on prouve sa force, le complexe n'a plus raison d'être !
Je ne veux persuader personne d'oublier. Je souhaiterai seulement qu'on éloigne le ressentiment pour une écriture objective de l'histoire. Je ne comprends pas que des moudjahidines, ayant éprouvé les affres de la guerre, ont pu écrire leurs mémoires sans déverser autant de fiel qu'une génération qui n'a rien su de l'époque coloniale ni de la guerre de libération. Taxer quelqu'un de pro-colonialiste à l'heure actuelle relève de la pure absurdité. Si en 2013 Toufik, indépendant depuis cinquante ans, reste l'ami complaisant de Jean Louis le pied noir alors qu'en-est-il de l'amitié d'Abdelkader et Napoléon III à l'époque du "plein baroud" ! Si toutefois je me permets de faire ce rapprochement. En « plein baroud » Abdelkader mettait des contremaitres européens à la tête des fabriques d'armes et avait un homme de confiance juif nommé Durand.
Cette mentalité qui taxe une personne à la tournure moderne de mécréant et hizb frança n'est pas nouvelle et relève d'un complexe nommé par Malek Bennabi « coefficient auto-réducteur », en ce sens que ce complexe réduit l'arabo-musulman à un être pittoresque, négligé, simple et sans ambition, un être émotif et irrationnel vivant au jour le jour de rêves et de superstitions. Si quand même il met un costar, cire ses bottes, met des lunettes, prend un journal ou une serviette, se tient bien droit et va d'un pas décidé, gare à lui ! Il devient comme « eux ». Pourtant le gaouri ou celui qui lui ressemble force le respect et devient le sauveur quand on a besoin de ses services. Allez comprendre quelque chose !
Du moment qu'on « traite »de la tournure d'un certain esprit, allez également comprendre quelque chose à cette substitution du langage, particulièrement chez nous les algériens quand il s'agit de formuler certaines pensées ou nommer certaines choses. Par exemple on dit TOILETTES et non "bit-el-ma", pourquoi ? Parce que c'est plus propre ? Qui est plus propre le mot toilettes ou le lieu lui-même ? Pourtant « bit-el-ma » n'a rien de repoussant, au contraire, traduit avec précision par « salle d'eau » il ne pose aucun problème à ce qu'on l'exprime. Si j'ai choisi ce mot (toilettes) précisément c'est parce-que cette substitution de langage est assez récente dans les usages et témoigne d'une certaine confusion (les psycho-sociologues en diront certainement plus). Mais si ceci ne s'explique pas aisément et reste sans gravité, citons un autre exemple autrement plus saugrenu dans la mesure où est substitué au mot juste un remplaçant peu amen et sans solliciter Molière cette foi-ci. « J'AI EMMENE LA MAISON CHEZ LE MEDECIN, ELLE EST TOMBEE DANS L'ESCALIER ». La femme est confondue avec la maison (dar). Ou encore plus méprisant et réducteur « la'bed hachakoum ». On dit difficilement ma femme ou ma sœur directement, alors les appeler par leur nom ! Il existe jusqu'à l'heure actuelle des couples (de ma génération !) qui ne s'appellent pas par leur prénom, ni par leur nom d'ailleurs. On s'interpelle : essem'i –nti ! Ya haah ! Dis à ton père ceci ou cela ! (la femme passe par les enfants pour parler à son mari). Que dire également des femmes qui ont pris l'habitude, à l'instar des orientales, de se faire appeler « oum-foulan », au lieu de « bent-foulan » ou « mart-foulan ».
Pourquoi n'arrive-t-on pas à appeler un chat un chat ? peut-être parce que prononcé dans le langage cru sétifien le doux « minet » ou le fin « قط » devient le méchant « gatte ! ». Comme beaucoup de termes, pourtant usuels et authentiquement arabes, qu'on a du mal à prononcer en famille et qu'on doit remplacer par des allusions ou des termes français. Même des paroles du saint Coran deviennent des termes grossiers dans notre bouche ! Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas encore parvenus à nous définir et que nous avons développé un langage confus et ordurier à un point inimaginable. Le langage demeure l'expression de la pensée.
Enfin, est-il utile de continuer à énumérer nos défauts et nos tares ? Je n'en éprouve aucun plaisir, au contraire. On en est arrivé là seulement pour dire que nous sommes encore incapables d'établir un dialogue clair et objectif avec tous les préjugés, les complexes et les tabous qui empoisonnent notre existence. Qu'on constate, oh malheur ! que les esprits sont figés dans les années soixante ; que la révolution technologique, les bouleversements géostratégiques et même les catastrophes naturelles n'ont pu les déranger ! Cependant des chouyoukh sont parvenus à nous faire douter de nos origines, de notre identité, de la pratique de notre religion. Même l'habit, le parler, les comportements, des détails de la vie courante sont remis en cause. Je me souviens dans les années fastes de la propagande islamiste, l'hystérie (semblable à celles des occidentaux envers les stars de la chanson) manifestée à l'arrivée de chouyoukh à la résidence universitaire de jeunes filles. Lors de débats avec les dits chouyoukh "bourika fihoum" on entendait ce genre de question et réponse : "Si je suis seule à la maison et que quelqu'un demande mon mari au téléphone : salamou alaikoum, est-ce-que Foulane est là ? que dois-je répondre ? Vous devez répondre : Oua alaikoumou essalam oua rahmatoullahi oua barakatouhou, Foulane est à la mosquée. dire un mot de plus est un engagement ! Qui somme-nous, d'où on vient, où allons-nous ? "Nous sommes des arabes ! Nous sommes des arabes ! Nous sommes des arabes !" s'était écrié Ben bella, à la surprise de tous, à son arrivée à Tunis en provenance du Caire en 1962. . Ce sont des dérives de langage et des exclamations absurdes comme celle-ci dans la bouche d'hommes d'Etat qui ont induit les peuples en erreur et encouragé un panarabisme stérile et déroutant. "Nous sommes des arabo-berbères, et dans notre sang coule plus de sang berbère que de sang arabe" affirme Ferhat Abbas. Voilà la vérité et le bon sens. Boumédiène en visite à l'hopital Mustapha déclare, devant le Professeur M.. à une femme de ménage abasourdie : "Ecoutez madame, entre vous et le professeur il n'y a aucune différence, tout les algériens sont égaux !" Cela est en partie vrai si le président de la république n'était de mauvaise foi. Son aversion pour les intellectuels et les possédants est notoire. Que n'avait-il désigné sa personne à la place du professeur ? Le message aurait été ô combien plus fort et plus sincère. Mais un algérien quel qu'il soit n'aurait été l'égal d'un homme qui a confié à une délégation venue le féliciter après le coup d'Etat : "Vous voyez ce fauteuil sur lequel je suis assis, il faut me tuer pour me l'enlever".
Il semble à première vue que nous nous sommes éloignés de notre sujet. Il fallait bien remuer quelques mauvais souvenirs pour mieux nous situer et comprendre l'objet de mon commentaire ; car mon but n'est pas de me justifier aux yeux de quiconque et encore moins de défendre qui que ce soit.
Aussi pour en revenir à mon pauvre ami Jean Louis, qu'on a un peu délaissé pour déballer notre linge, je vous invite à choisir entre lui, économiste renommé, humaniste authentique, nommé par son gouvernement pour mener une mission des plus difficiles ; je ne répèterai pas qu'il est de naissance algérienne (Sétif), animé de bonne foi et plein d'ardeur. Je vous invite donc à choisir entre lui et "Abou-Foulane", mystérieux homme d'affaires, plein aux as, recrutant des agents de propagande pour le compte du wahabisme, distribuant omra et hadj, pronant la soumission de la femme et la haine de l'occidental tout en faisant la promotion de produits commerciaux tels que la 'ibaya, le siwak, le musk et autres aphrodisiaques.


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