Coup de théâtre dans l'affaire du meurtre de Mehdi Ben Barka, l'opposant marocain assassiné en 1965 à Paris par les services marocains. Ce revirement rapide, imprévu, marque un changement soudain dans l'action de l'affaire Ben Barka. Ce changement brutal de la chancellerie française modifie le cours de l'histoire. La justice française joue-t-elle sur les nerfs du fils de Ben Barka? En moins de vingt-quatre heures, le parquet de Paris vient de demander de «suspendre» les quatre mandats délivrés récemment par le juge parisien Patrick Ramaël dans l'affaire Ben Barka. Ces mandats, signés en 2007 lors de la visite de Nicolas Sarkozy au Maroc, n'étaient pas diffusés au niveau international. «Le parquet a demandé la suspension de l'émission de ces mandats dans l'attente de précisions demandées au juge d'instruction», a indiqué le procureur. Ils ont été diffusés il y a quelques jours par Interpol, après le feu vert du ministère français de la Justice qui a, depuis, demandé leur suspension. Ils visent le général Hosni Benslimane, chef de la Gendarmerie royale marocaine, le général Abdelhak Kadiri, ancien patron des Renseignements militaires, Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, un membre présumé du commando marocain auteur de l'enlèvement, et Abdelhak Achaachi, agent du Cab, une unité secrète des services marocains. La suspension de la diffusion des mandats est une «manifestation cynique de la raison d'Etat», a estimé hier son fils, Béchir Ben Barka. «C'est une mascarade. Un même ministère qui se déjuge en 24 heures, c'est une manifestation flagrante et cynique de la raison d'Etat», a-t-il déclaré. «On ne sait pas ce que cache ce revirement. La ministre de la Justice a-t-elle été déjugée par l'Elysée? Y a-t- il une volonté de ne pas chercher la vérité? Si c'est le cas, cela doit être dit», a-t-il ajouté. «Ces événements sont indignes d'une démocratie», a encore dit Ben Barka. Son avocat, Me Maurice Buttin, qui défend la famille Ben Barka depuis 1965, a dit à Reuters qu'il soupçonnait une intervention politique pour «empêcher un différend diplomatique entre la France et son ancien protectorat». Au moment de leur signature, le 22 octobre 2007, au premier jour d'une visite d'Etat de Nicolas Sarkozy au Maroc, ils avaient été diffusés en France «mais avaient été bloqués au niveau européen et mondial», selon l'avocat de la famille de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka, disparu en 1965 à Paris. Leur diffusion récente à Interpol, via le Bureau central (français) d'Interpol, fait suite à un récent feu vert du ministère français de la Justice, selon la source proche du dossier. Elle intervient alors que le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, est revenu mardi dernier d'une visite de trois jours au Maroc, notamment pour des entretiens avec son homologue marocain Chakib Benmoussa. Concrètement, à la suite du feu vert du ministère de la Justice, Interpol a relayé ces mandats d'arrêt au niveau international sous la forme d'«avis de recherche internationaux à des fins d'extradition». Leur conséquence immédiate est que les personnes visées courent le risque d'être arrêtées dès qu'elles quittent le territoire marocain. Mehdi Ben Barka, figure intellectuelle et politique du mouvement anticolonialiste et opposant au roi Hassan II du Maroc, condamné à mort par contumace par la justice de son pays, disparaît le 29 octobre 1965 à Paris. Nul ne reverra vivant le principal dirigeant de l'Istiqlal, fondateur de l'Union des Forces Populaires du Maroc (USFP). Son corps ne sera jamais retrouvé et l'affaire Ben Barka n'est toujours pas véritablement élucidée, malgré plusieurs instructions judiciaires en France et au Maroc. L'enquête judiciaire de l'époque fait rapidement apparaître quelques protagonistes: politiciens, agents des services secrets et truands. Coïncidence: le général Mohamed Oufkir, ministre marocain de l'Intérieur et chef des Services secrets, Ahmed Dlimi, directeur de la Sûreté nationale marocaine, et un certain Larbi Chtouki, chef des Brigades spéciales marocaines, se trouvaient à Paris au moment de la disparition de l'opposant. La première instruction judiciaire menée par le juge Louis Zollinger aboutit à l'inculpation de treize personnes dont le général Mohamed Oufkir, Ahmed Dlimi, Marcel Leroy-Finville, un des responsables du SDECE, Antoine Lopez et Georges Figon. Le procès de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka s'ouvre à Paris le 5 septembre 1966. Six accusés sur treize sont dans le box. Les sept autres, dont Oufkir et Boucheseiche, font défaut. Dlimi s'est constitué prisonnier mais le roi Hassan II du Maroc a refusé que son ministre de l'Intérieur, Oufkir, comparaisse devant la justice française. Un second procès s'ouvre le 17 avril 1967 en l'absence de la famille Ben Barka, retirée des débats après le décès subit de ses principaux avocats. Après avoir fait défiler 167 témoins, le tribunal rend le 5 juin 1967 un verdict qui acquitte Ahmed Dlimi et les protagonistes français, à l'exception de Louis Souchon et Antoine Lopez, condamnés respectivement à huit et six ans de prison. Mohamed Oufkir, désigné par les magistrats comme le grand responsable de la disparition de Mehdi Ben Barka, est condamné par contumace à la réclusion à perpétuité. En 1975, le fils de Ben Barka, Béchir Ben Barka, dépose une nouvelle plainte pour «assassinat, tentative et complicité d'assassinat» et, sept ans plus tard, le premier ministre socialiste, Pierre Mauroy, autorise la réouverture d'une partie des dossiers, «sous réserve que cela ne porte pas atteinte à la sécurité nationale». 200 pièces émanant de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE, nouvelle appellation du SDECE), restent toutefois classifiées. En janvier 2000, de nouvelles pièces du dossier sont dévoilées, mais celles-ci se révèlent encore insuffisantes pour mener à terme l'instruction définitive. En juin 2001, la polémique est relancée par les révélations d'un ancien membre des services de renseignements marocains, Ahmed Boukhari. Dans un livre publié l'année suivante, ‘Le Secret', il accuse Mohammed Oufkir d'avoir poignardé Mehdi Ben Barka et fait rapatrier son corps au Maroc pour le dissoudre dans une cuve d'acide. En octobre 2004, le Secret Défense est levé sur l'ensemble du dossier par la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie. Les 73 derniers documents manquants sont enfin mis à la disposition de la justice et des historiens. En février 2008, la Commission Consultative du Secret de la Défense Nationale (CCSDN) déclassifie 165 autres documents des services secrets français datant de l'époque de la disparition de l'opposant marocain. Une chose est sûre, cette histoire à la Vaudeville révèle le vrai visage de l'ancien pays colonisateur qui assume sa paternité et sa responsabilité dans l'horrible assassinat du démocrate Ben Barka. En assumant son acte, la France protège ses «protégés» au Maroc et ailleurs.