Aujourd'hui, pas moins de 37 quotidiens paraissent en arabe et en français. Présentée comme étant l'une des plus libres du monde arabe, souvent saluée, à raison, pour son courage face à un environnement hostile, la presse algérienne constitue également un alibi pour un système obsolète qui n'admet aucun changement véritable. Ici, un état des lieux de ce secteur dont on a beaucoup parlé mais qui demeure, à bien des égards, assez méconnu. C'est le gouvernement de Mouloud Hamrouche qui, en 1990, supprime le monopole de l'Etat sur les médias. Pour aider au démarrage de la presse privée, il offre aux journalistes du secteur public trois ans de salaire. Outre des avantages bancaires et des exonérations d'impôts, les professionnels de la presse bénéficient de locaux publics opérationnels. C'est ainsi que naissent les quotidiens El Watan, le Soir d'Algérie ou El Khabar. Première publication privée, le Jeune Indépendant, un hebdomadaire fondé par Chafik Abdi, paraît en mars 1990. A la même période, les journaux partisans font aussi leur apparition. El Mounqid, un hebdomadaire en langue arabe appartenant au FIS, atteint des tirages de 500 000 exemplaires. Le RCD lance l'Avenir et Assalu, un journal en langue berbère. Le FFS reprend Libre Algérie, un journal fondé à Paris par Ali Mecili. Alger Républicain reparaît avec une ligne éditoriale proche du PAGS. Le MDA fait sortir El Badil tandis qu'El Châab, quotidien étatique de langue arabe et El Moudjahid continuent de rouler pour le FLN. En peu de temps, les journaux dits "indépendants" fidélisent un large lectorat grâce à leur critique des hommes politiques et à leur dénonciation de certaines affaires louches. Mais les véritables décideurs du système algérien ne sont guère inquiétés par l'ensemble de ces journaux. Lorsque Mouloud Hamrouche est limogé, les marges de manœuvre de la presse diminuent. Le nouveau chef de gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, commence par suspendre l'édition arabophone de Parcours maghrébins, un hebdomadaire du secteur public. Raison invoquée : la publication d'un texte d'Ali Benhadj, le numéro deux de l'ex-FIS, emprisonné. La situation de la presse se complique davantage avec l'arrêt du processus électoral des législatives en janvier 1992. La majorité des titres applaudissent l'option des décideurs et oublient subitement que des élections venaient d'être organisées. A grand bruit, la presse salue la naissance du CNSA (Comité national de sauvegarde de l'Algérie), une structure née pour défendre la démarche des décideurs. Le 22 janvier 1992, des journalistes d'El Khabar sont interpellés par les gendarmes à cause d'un encart publicitaire du FIS paru dans le journal. Le texte en question est signé par Abdelkader Hachani et appelle l'armée à respecter le choix du peuple. Les décrets de l'état d'urgence (9 février 1992) et celui relatif au terrorisme et à la subversion (octobre 1992) réduisent encore plus la liberté de la presse. Mais les responsables des journaux ne se plaignent pas. Au contraire, ils cautionnent l'arrêté ministériel du 7 juin 1994 (un texte resté confidentiel) qui définit le cadre de l'information "sécuritaire" et qui n'autorise à la publication que les bilans officiels des attentats. Cette réaction n'est guère une surprise puisque la majorité des directeurs de journaux font partie, eux même, du système. En effet, très peu de responsables de publications en Algérie n'ont pas transité par les journaux du parti unique. C'est d'ailleurs eux qui, dans bien des cas, se chargent d'exercer la censure dans les rédactions. En peu de temps de pluralisme médiatique, on commence à parler de "patrons de presse" et certains actionnaires de journaux gagnent un argent fou. Le terrorisme aidant, la vente des journaux ne décline pas. Entre-temps, près de 70 journalistes ont été tués par les groupes armés. Des assassinats dont on n'a jamais retrouvé les auteurs. Au terme d'un coma d'une semaine, Tahar Djaout, directeur de rédaction de l'hebdomadaire Ruptures, succombe à ses blessures. Victime d'un attentat le 26 mai 1993, devant son domicile à Baïnem, petite bourgade côtière à l'ouest d'Alger, cet écrivain de renommée internationale est le premier journaliste assassiné. L'élimination de Tahar Djaout secoue les esprits. Le pouvoir s'empresse de trouver les auteurs du crime. Le 1er juin 1993, la télévision diffuse les images d'Abdellah Belabassi qu'on présente comme l'un des meurtriers du journaliste. Abdellah Belabassi soutient avoir conduit les assassins sur les lieux du crime. Selon lui, c'est Abdelhak Layada, chef d'un groupe armé, qui en est le commanditaire. Mais Abdelhak Layada est acquitté dans l'affaire de l'assassinat de Tahar Djaout lorsqu'il est jugé, en juillet 1994, par une cour spéciale pour son implication dans plusieurs attentats. Abdelhak Layada était au Maroc quand Tahar Djaout a été tué. Abdellah Belabassi, quant à lui, s'entraînait avec son équipe de handball au moment de l'attentat. Entre 1993 et 1997, près de 70 professionnels des médias dont 52 journalistes sont assassinés. Les auteurs de ces crimes n'ont jamais été arrêtés. Il suffisait aux autorités de dire que c'était l'œuvre du GIA pour fermer le dossier de toute liquidation physique touchant les journalistes. Cette façon de procéder était également de mise pour les autres assassinats. Mis à part le cas de Tahar Djaout, la presse elle-même n'a pas fait l'effort d'exiger la moindre enquête sur ces assassinats. Un "comité vérité" sur l'assassinat de Tahar Djaout avait été installé, mais il avait cessé d'activer après l'élimination de quelques uns de ses membres (tels que Saïd Mekbel, célèbre chroniqueur au journal le Matin, tué le 4 décembre 1994, ou le psychiatre de renommée internationale, Mahfoud Boucebsi, assassiné à l'arme blanche le 15 juin 1993). Le 12 avril 1997, vers minuit, quatre personnes en tenue civile, armés de revolvers, frappent au domicile d'Aziz Bouabdellah, à Chevalley, sur les hauteurs d'Alger, et crient : "Police, ouvrez !" Journaliste au quotidien arabophone El Alem Essiassi, Aziz Bouabdellah (âgé alors de 23 ans) est enlevé. Les recherches de ses parents au niveau de la police et de la gendarmerie ne donnent rien du tout. Les lettres adressées aux plus hautes autorités du pays ne font pas également avancer leurs investigations. Dans cette affaire aussi, peu de journalistes se sentent concernés par la disparition d'Aziz Bouabdellah. Journaliste à la radio, Djamil Fahassi disparaît non loin de son domicile, dans le quartier d'El Harrach, dans l'après-midi du 6 mai 1995. Père d'une petite fille, il avait laissé son enfant à la garde d'une personne de sa famille pour aller chercher de quoi manger. Condamné en 1991 à trois mois d'emprisonnement par le tribunal de Blida pour avoir rédigé un article paru dans El Forqane, un hebdomadaire de langue française du FIS dans lequel il critiquait l'armée, Djamil Fahassi est encore arrêté au début de l'année 1992 et il est parmi les 10 000 autres personnes envoyées dans les camps du Sud. Il passe 6 semaines dans un camp d'internement à Aïn Salah. Il est ensuite libéré sans avoir été inculpé ni jugé. Passionné de littérature universelle (grand admirateur de Yukio Mishima), Djamil Fahassi est toujours porté disparu. Un autre journaliste est également porté disparu et il a fallu attendre la mission de RSF en Algérie, au début de l'été 2000, pour que son cas soit rendu public. Il s'agit de Salah Kitouni, journaliste à Ennour, une publication qui paraissait à Canstantine et proche des thèses islamistes.