M'SILA - A M'sila, capitale par excellence de la "Chekhchoukha" et du "Zviti", consommer ces deux mets traditionnels dans des assiettes en verre ou en porcelaine relève du sacrilège. La tradition veut que ces mets soient servis dans des ustensiles en bois et, bien entendu, que leur dégustation se fasse à la fourchette du père Adam. Même les restaurateurs s'y mettent d'ailleurs au gré de la demande. C'est pourquoi, la fabrication de la vaisselle en bois, pratiquée un peu partout à travers le pays, est un artisanat qui possède ses "lettres de noblesse" à M'sila, où les artisans disposent d'un savoir-faire ancestral que l'on ne retrouve nulle part ailleurs, dit-on. Bien que connaissant un net recul en raison de la "concurrence déloyale" du produit industriel, l'ustensile en bois fabriqué de manière artisanale continue d'avoir une place de choix dans la cuisine m'silie où tous les foyers ont leur "Mahrès" (pilon en bois), leur "gassaâ" (terrine) et leurs cuillères ou encore leurs planches à découper (billot) qui continuent de résister stoïquement à l'invasion du produit industriel. Certains de ces ustensiles ont des décennies d'âges, et leurs propriétaires, si ce n'est la majorité, y tiennent comme à un objet d'art et ne manquent pas de dire qu'ils l'ont acheté chez untel de Maâdhid ou un tel autre de Souamaâ ou d'Ouled Derradj. La "traçabilité" de l'ustensile est ici importante car elle renseigne sur la qualité du bois utilisé et sur le doigté de l'artisan qui mène inévitablement à la région où a été fabriqué le produit, mais aussi éclaire, à travers l'objet acquis, sur le procédé de travail. La région de Maâdhid (30 km à l'est de la ville de M'sila) est réputée pour la fabrication du pilon en bois, jadis utilisé dans le concassage du café et de toutes sortes d'épices et même de la viande. Aujourd'hui cet ustensile, faut-il le reconnaître, qui commence à être détrôné par le "robot" électrique, se confinant dans le concassage de la salade traditionnelle connue sous le nom de Sviti. Ce n'est pas un hasard si la région de Maâdhid s'est spécialisée dans la fabrication du pilon en bois. Cet ustensile ne peut être fabriqué qu'avec du bois de chêne et plus précisément le chêne vert, abondamment disponible dans la forêt de cette région. Selon Ahmed M., un sexagénaire qui a toujours accompagné les artisans dans leur recherche du bois de qualité pour la fabrication de cet ustensile, "il y en a qui consacrent une journée entière de recherche dans la forêt avant de trouver le chêne qui réponde aux critères exigés pour la fabrication du pilon". La circonférence du tronc de l'arbre requis pour la fabrication d'un pilon "répondant aux normes ne doit pas dépasser les 20 cm et la hauteur du rondin ne doit pas être de plus de 50 cm", avertit Ahmed. Une fois la matière de base disponible, l'on commence à tailler le pilon avec des outils spéciaux de manière à ce que la bouche soit plus large que la base, "un travail qui peut prendre toute une semaine à l'artisan qui veut faire un produit tout en finesse et soigné". Le bras du pilon, ou mortier, est, lui, constitué d'une "sorte de matraque à tête arrondie de quelque 70 cm de long", a-t-il expliqué. Les artisans de cet ustensile défient tous les imitateurs et même les plus habiles d'entre eux de pouvoir trouver un autre matériau et une autre manière de fabriquer le pilon ou de pouvoir le reproduire avec la même qualité, de manière industrielle. La rareté du pilon en bois a fait que ses prix ont plus que doublé ces dernières années passant de 2.000 dinars l'unité à plus de 4.000 dinars actuellement. C'est à peu près la même chose pour la "gassaâ" en bois en ce sens où, selon un artisan de la spécialité, "le virus de la contrefaçon" atteint la fabrication de cet ustensile ancestral. Beaucoup de faux artisans n'hésitent pas, selon lui, à fabriquer cet objet en utilisant du bois de pin, ce qui l'expose aux fissures rapides, alors que la durée de vie d'une gassaâ de bonne qualité peut aller jusqu'à un siècle et plus. La gassâa fabriquée en bois de chêne commence à être un produit très rare en raison de la "disette" en matière d'arbres ayant une circonférence suffisamment large, et à cause de la difficulté de transformation de ce bois. L'introduction d'outillages modernes comme le tour et autres équipements électriques de taille et de polissage permettent toutefois de réduire le temps de fabrication d'une gassaâ qui était d'une semaine en moyenne, sans pour autant altérer la qualité de cet ustensile qui n'est plus utilisé que pour préparer le couscous ou la "qesra" (galette), mais également pour y servir des mets traditionnels, à l'instar de la sacro-sainte chekhchoukha locale. La fabrication des cuillères en bois a été, quant à elle, pratiquement abandonnée en raison de l'entrée sur le marché de cuillères d'importation mieux finies et ayant un design plus élégant que celles fabriquées artisanalement, même si la matière de base est un bois noble comme le chêne, le pin et même le frêne. Les planches à découper en bois étaient fabriquées en grande quantité à M'sila mais, malgré leur bonne qualité, elles connaissent un net recul en raison de la concurrence des planches en plastique. Il reste, malgré tout, que l'amour porté par les gens du Hodna à leurs ustensiles traditionnels et la fidélité des adeptes de la vraie chekhchoukha servie dans des plats traditionnels faits en bois, laissent penser que tous ces objets "n'ont pas dit leur dernier mot" et que l'on n'a pas fini de les retrouver, çà et là, en parcourant les vastes étendues de cette région.