CONSTANTINE- La décision de lancer, le 20 août 1955, une offensive dans le nord constantinois a été prise par le chahid Zighoud Youcef "seul'', ses adjoints n'ayant été informés concrètement de l'opération que trois jours avant le jour J, selon l'écrivain Azzedine Bounemeur. L'auteur de "l'Atlas en feu"' a ajouté, dans un entretien à l'APS, que Zighoud Youcef était hautement préoccupé par l'importance de l'offensive car, selon lui, l'organisation mise en place depuis le 1er novembre 1954 dans la zone (wilaya) était en péril, et les maquis de la Révolution dans les Aurès pouvaient être écrasés si le siège n'était pas brisé par la dispersion des forces ennemies concentrées sur la zone 1". Pour Azzedine Bounemeur, c'est ce facteur "essentiel" qui explique certaines "insuffisances" dues au peu de préparation de l'offensive qui a été limitée à des attaques précises dans certaines régions, alors qu'à Skikda, Ain Abid, Khroub et Smendou (Zighoud Youcef), l'attaque a été fulgurante avec un impact considérable. Très tôt orphelin de père, Azzedine Bounemeur né en 1945, est un proche parent du moudjahid Lakhdar Bentobbal qui fut son tuteur et son responsable, puisqu'il l'avait gardé auprès de lui jusqu'à l'indépendance et ce, depuis le 25 décembre 1954, lorsque le commandement de la zone avait installé un "merkez" (centre d'approvisionnement, de repos et d'information - ndlr-) dans la ferme familiale du futur écrivain, dans le bourg montagnard de Badsi, sur les hauteurs de Béni Haroun, dans la commune de Grarem. Le plus jeune soldat de l'ALN Ce destin exceptionnel fit de Azzedine Bounemeur, le plus jeune soldat de l'ALN. Il est aujourd'hui un témoin privilégié qui a relaté son expérience de "petit maquisard" et de mémorialiste dans un cycle de romans consacré à la Révolution armée. Cinq titres ont été publiés depuis la parution des "Bandits de l'Atlas", paru en 1983, prix du 20ème anniversaire de l'indépendance. L'écrivain a assisté lui-même à nombre de scènes qu'il décrit. Quant aux événements importants qu'il relate, il assure les avoir recueillis "à chaud" auprès des hauts responsables de la Révolution, d'abord dans le maquis, ensuite à Tunis, après qu'il eut traversé la frontière tunisienne avec une patrouille de moudjahidine, au mois de janvier 1958, soit moins d'une année après le départ de Lakhdar Bentobbal. Revenant aux événements du 20 août 1955, Azzedine Bounemeur se souvient que ce samedi, le groupe de Bentobbal devait dresser une embuscade sur les gorges de Hammam Béni Haroun, entre Grarem et El Milia. "Les moudjahidine ne sont arrivés que vers 9 h 30. Ils ont eu juste le temps de chasser des lieux les curistes et les boutiquiers pour mettre en place le dispositif de l'embuscade. Du fait que les activités de l'armée étaient réduites en week-end, aucun convoi ne passa jusqu'au milieu de l'après-midi, mais au moment où ils allaient décamper, les moudjahidine entendirent, au loin, le vrombissement d'un camion militaire qui quittait El Milia vers Constantine. L'histoire du chahid Si Abdallah Azzedine Bounemeur raconte que le camion GMC était chargé de légionnaires qui se dirigeaient vers Constantine, sans doute pour s'approvisionner d'urgence en médicaments. Lorsque l'attaque a été lancée contre le véhicule, il y eut des morts restés sur le plateau, avec leurs armes, les autres se sont dissimulés sous les cadavres, pendant que le chauffeur tentait de rouler en marche arrière en toute vitesse, jusqu'au tunnel, pour faire demi tour. Si Abdallah avait l'expérience de la guerre en Indochine, dans les rangs de l'armée française, selon l'écrivain. C'est lui qui sortit de son poste pour tenter de stopper le camion, il réussit à crever un pneu mais un soldat l'avait abattu d'un tir. Ce fut ensuite au tour des avions T4 de bombarder les lieux, l'un des avions est atteint par le fusil Thompson de Lakhdar Bentobbal. Il ira s'écraser loin vers le sud. Le chahid Si Abdallah était originaire de Chlef, appelée à l'époque El Asnam. Une fois démobilisé par l'armée française, il arrive seul par train à Constantine pour se mettre en contact avec Zighoud Youcef dont il avait entendu parler par la presse. Il a été incorporé dans le groupe de Bentobbal, après avoir été mis en quarantaine, pour vérifier ses dires, raconte Bounemeur. Le corps du chahid Si Abdallah a été exposé pendant deux jours sur la place du village de Grarem. Les autorités militaires consentirent ensuite à lui accorder des obsèques qui furent organisées par les notables du village qui plaidèrent ce cas auprès des officiers français, arguant qu'en tant que musulmans, ils avaient le devoir de rendre au chahid la dignité due aux morts et, ainsi, toute la population du village suivit le cercueil jusqu'au cimetière. Ce fut un enterrement ressemblant à une manifestation pour la Révolution qui devenait majeure, car elle allait se généraliser à l'ensemble du territoire national, ajoute l'écrivain. En effet, à Philippeville (Skikda), Collo, Aïn Abid et El Khroub, la population était convaincue que le soulèvement était général. Rejoignant l'insurrection avec des armes blanches fournies par les bouchers et les quincailliers, ou avec des gourdins, cette population allait s'exposer à des représailles qui firent 12.000 morts. A Skikda, les victimes européennes d'El Ali rendirent encore plus féroce la répression. Il y eut tellement de cadavres qu'il fallut un bulldozer pour les enterrer, c'est ainsi que commença la guerre totale, selon Bounemeur. A El Milia, le petit Azzedine Bounemeur, sera torturé malgré son jeune âge, après avoir été embarqué avec les civils revenus sur le site du Hammam Béni Haroun, pour tenter de récupérer ce que les incendies avaient épargné dans les boutiques. Le jeune garçon n'avait rien dit de ce qu'il savait sur l'identité des auteurs de l'embuscade. Désormais, il a la confiance des chefs de l'ALN.