CONSTANTINE - Le spectacle, au second jour de l'Aïd El Adha, est quelque peu insolite, cocasse à certains égards. A Constantine et dans sa périphérie, des dizaines de bouchers ambulants, éparpillés au bas des immeubles des cités populaires, aiguisent leurs coutelas et leurs haches devant leurs billots, tandis que se forment à côté d'eux de longues files de personnes, une carcasse de mouton sur l'épaule. Cette activité d'un jour est aussi rémunératrice qu'utile, dès lors que de nombreux pères de familles non véhiculés semblent tout heureux de pouvoir faire dépecer le mouton sacrifié la veille sans avoir à se déplacer chez un boucher du centre-ville pour patienter au bout d'une longue chaîne d'attente. Le "boucher ambulant" est en effet très apprécié par les citoyens au vu du nombre de clients entourant les billots, ces immenses rondins de bois supportés par 4 pieds, si lourds et si épais qu'on se demande comment ils ont pu être déplacés jusque-là. Une carcasse de mouton sur l'épaule, Rabah, un constantinois d'une soixantaine d'années résidant dans une de ces "UV" (unités de voisinage) de la nouvelle ville Ali Mendjeli, scrute, ce lundi, tôt dans la matinée, l'horizon à la recherche d'un de ces bouchers itinérants. L'échine pliée sous le poids de l'animal écorché qu'il porte sur son épaule, il ne tarde pas à entendre, tout près de lui, le bruit distinctif d'une hache s'abattant sur un billot. Il se laisse guider par le bruit pour déboucher sur un petit parking derrière son bâtiment où toute une file de voisins attend son tour devant un "pro" de la découpe. Aidé de deux "assistants", le boucher ambulant œuvre avec une rapidité prodigieuse. Il commence par fendre l'agneau en deux, en suivant la colonne vertébrale de la bête comme on suivrait des pointillés puis, en un laps de temps étonnamment court, apparaissent les gigots, les épaules et les côtelettes. La dextérité et la rapidité du boucher sont telles que le sexagénaire se retrouve au bout d'un quart d'heure devant Lazhar, un solide gaillard d'à peine 20 ans, qui le débarrasse promptement de son fardeau avant de l'interroger du regard quant à la façon qu'il aimerait voir son mouton découpé. Désireux d'offrir à une famille démunie une partie de l'animal immolé, Rabah donne les instructions demandées avant de se rendre compte, ébahi, que derrière lui, la file d'attente n'arrêtait pas de s'allonger. Approché par l'APS, il affirme que pour lui, "c'est un véritable cadeau du ciel car les tarifs appliqués sont très abordables et, en plus, cela m'évite de me déplacer chez le boucher, au centre-ville". En fait, le service de la découpe "à domicile" est rémunéré entre 500 et 800 dinars, un tarif qui varie selon le poids de la carcasse et les "extras" demandés par le client, comme le désossage d'une épaule ou le débitage du collier, par exemple. Lazhar, lui, explique que s'il pratique cette activité d'un jour, c'est parce que son patron, propriétaire de la boucherie où il travaille, consent à lui prêter le billot et tous les autres accessoires de la boutique. Garçon boucher depuis l'adolescence, le vigoureux jeune homme soutient que tous les bouchers ambulants, ou presque, ne sont que de simples employés "autorisés" à emprunter le matériel pour ramasser un peu d'argent. "Bon an, mal an, je réussis à amasser jusqu'à 15.000 dinars en comptant les familles chez lesquelles je me rends d'habitude, le soir du premier et du deuxième jour de l'Aïd, pour faire le travail chez elles", avoue Lazhar avant de se remettre à un nouvel affûtage de son couteau. La journée ne fait que commencer.