PARIS - "Turcos , le jasmin et la boue" est le titre du premier tome de la Bande dessinée (BD) qui vient d'être publiée à Paris par Kamel Mouellef aux Editions Tartamudo où il fait découvrir aux lecteurs l'histoire de son arrière-grand-père, tirailleur algérien mort au front en 1918. Une histoire écrite "pour me réconcilier avec mes origines algériennes et revendiquer la France où je suis née", dit l'auteur qui plonge le lecteur dans l'une des pages les moins connues de l'histoire de l'Algérie. "Turcos" est le surnom que les Russes donnèrent, à l'époque, aux tirailleurs algériens connus pour leur bravoure et qu'ils confondaient avec les turcs à cause de leurs tenues orientales. "Je voulais relater cette histoire commune entre la France et l'Algérie et souhaite la distribuer aux députés pour qu'ils apprennent l'histoire de France et arrêtent de stigmatiser ces français d'origines diverses qui servent de fonds de commerce dès que les élections approchent", écrit l'auteur de cette BD, réalisée en collaboration avec le dessinateur Batist Payen, le scénariste Tarek et préfacée par le romancier Yasmina Khadra. Le débat sur l'identité nationale, lancé il y a un an en France par la majorité au pouvoir avait convaincu les trois hommes de la pertinence de leur projet. "Morts au front dans l'anonymat le plus total" La BD relate ainsi l'histoire et le parcours militaire de l'arrière-grand-père de Kamel Mouellef, M. Alouache Ahmed Saïd Ben Hadj, "mort pour la France le 20 juillet 1918 après quatre ans au front" et à travers ce récit l'auteur revient sur l'histoire de tous les tirailleurs algériens qui ont été de tous les combats "pour défendre la France" et sont morts au front dans l'anonymat le plus total, après avoir remporté de nombreuses victoires sur les Allemands. Kamel Mouellef, a reconstitué cette histoire, après des années de recherches, de visites sur les lieux, de travaux sur des documents et de lettres écrites au front par son aïeul né à Saint-Arnaud (El Eulma), et incorporé dans l'armée française dans le fameux régiment des tirailleurs algériens. "Partout en France, de nombreuses traces attestent de l'engagement des soldats nord-africains dans l'armée française lors des deux guerres mondiales. Pourtant, tout cela reste caché" a déploré l'auteur de cette œuvre originale, assurant qu'" il y avait plus de 50 000 Nord- africains et Africains au front" des deux guerres mondiales. "N'oublions pas de dire que le service militaire obligatoire est étendu en 1912 aux jeunes algériens musulmans bien que n'ayant pas le statut de citoyen à partir entière", lit-on dans l'annexe de cette BD de 63 pages publiée en quadrichromie, et illustrées de photographies de régiments de tirailleurs algériens, de campements de goumiers et de stèles mortuaires de ceux qui se sont engagés dans l'armée française lors des deux guerres mondiales en y laissant leur vie. "Nous n'avons pas fini de faire le deuil de ces millions de personnes massacrées lors de la seconde Guerre mondiale, de nous remettre de l'extrême barbarie qui a transformé de paisibles citoyens en cheptel pestiféré juste bon à se décomposer dans d'invraisemblables camps de la mort, de croire pleinement que des êtres humains, ayant aimé Mozart et l'ensemble des arts, capables d'enfermer leurs semblables dans des fours crématoires et des chambres à gaz, en rigolant, que d'autres tueries massives, d'autres barbaries, d'autres épurations ethniques s'opèrent en toute impunité, à travers la planète, au vu et au su de toutes les bonnes consciences sans que cela les offusque", a écrit le romancier Yasmina Khadra dans une longue préface de cette BD. "Que dire des traumatismes d'hier, sinon les traumatismes d'aujourd'hui ? Que dire des lâchetés d'aujourd'hui sinon qu'elles ont de qui tenir ? s'est également interrogé le romancier qui s'est demandé "A quoi sert la mémoire si elle n'aide pas les mentalités à se réajuster, les esprits à se bonifier avec le temps et l'humanité à avancer vers le salut".