Les révoltes arabes et leurs conséquences ont été analysées par des intellectuels mardi à Alger, lors de la deuxième journée du colloque "Esprit Frantz Fanon", sous le prisme de l'œuvre de ce penseur militant des indépendances, disparu en 1961. Des universitaires et écrivains ont tenté une lecture des évènements qui ont secoué le monde arabe en 2011 en convoquant, comme pour la précédente journée, les mises en garde de Fanon quant au "dévoiement des élites" et les risques de "régressions passéistes" des cultures nationales au lendemain des indépendances. Le modérateur de la séance, l'universitaire algérien Daho Djerbal, a lu la communication du penseur libanais Georges Corm (absent d'Alger en raison de contraintes personnelles), titrée "Relire Fanon pour comprendre le monde arabe". Une intervention centrée sur le "double danger" mis en évidence par Fanon dans "Peau noire, masques blancs", concernant les élites des pays colonisés et leur "assimilation" à la culture colonisateur coupés, ainsi, de leurs peuples, et des conséquences de cette attitude qui a mené à une "involution" et une "folklorisation" de la culture nationale, dont l'expression actuelle se traduit par la "victoire des mouvements islamistes" dans le monde arabe après les révoltes de 2011, selon Georges Corm. Georges Corm attire l'attention sur le caractère "aliénant" des tentations de "retour vers le passé" des mouvements islamistes qui seraient, selon le penseur, l'expression d'une "altérité artificielle", alors que Fanon proposait une "altérité plus radicale" dans sa conception de la libération des peuples colonisés, passant par "construction" d'une "conscience nationale". Ce jugement porté sur l'islamisme politique, et plus particulièrement sur le salafisme, qui trouve sa justification en partie, affirme Georges Corm, dans son "caractère transnational" , "favorable" aux théories du "choc des civilisations", un des fer de lance du néo-colonialisme, ainsi que l'apprécie le penseur libanais. Georges Corm conclut son analyse par une mise garde contre l'apparition des "particularismes ethniques" dans certains pays, conséquents tout comme l'islamisme politique, de l'inféodation des élites à l'impérialisme financier". L'universitaire égyptien Helmy Shaaraoui est revenu, pour sa part, sur les évènements de la Place Tahrir (Caire), dont il est un des témoins directs, ainsi que les divers mouvements de protestations à travers monde, en s'appuyant sur les concepts fanoniens de "violence" et de "spontanéité", développés dans les "Damnés de la terre". Dans une communication titrée " Les révoltes populaires actuelles à la lumière de Frantz Fanon", Helmy Shaaraoui a souligné la transformation de la "violence coloniale" soulevée par Fanon en une violence plus "soft", reprenant le concept de "soft power", utilisé par les analystes pour qualifier les méthodes néo-coloniales d'oppression et d'exploitation, dont l'aide humanitaire et l'hégémonie médiatique en sont l'expression, selon lui. En réaction à l'oppression impérialiste, aujourd'hui multiforme, divers mouvements de protestation sociale apparaissent dans le monde, y compris en Europe et aux Etats-Unis, souligne le professeur de sciences politiques en évoquant le mouvement des indignés et sa résonance dans toutes les régions. Dans le monde arabe, particulièrement en Egypte, les réactions populaires apparaissent comme "spontanées", estime Helmy Shaaraoui, notant que cette "absence d'organisation politique" a favorisé, selon lui, les récentes victoires des mouvements islamistes quasi absents des révoltes, mais largement bénéficiaires de ce manque et vide politiques observés dans les rangs de protestation sociale. Le Camerounais Bernard Founou-Tchuigoua, présent pour cette deuxième journée du colloque, a rappelé le "devoir de vigilance" face aux tentatives néo-coloniales dans une communication intitulée "Auto décolonisation : Fanon avait-il raison ?" Organisés par les éditions APIC, les rencontres "Esprit Frantz Fanon" se poursuivent jusqu'au 10 juillet avec la dernière journée du colloque le 4 juillet ainsi que des ateliers et des conférence-débats.