La pêche à la ligne, activité de loisirs "pépère" s'il en est, fait de plus en plus d'adeptes à Guelma au point où elle est en passe de devenir une véritable addiction pour certains passionnés qui vont jusqu'à mettre en péril la stabilité de leurs emplois, voire de leurs ménages. Ce qui n'était qu'un hobby parmi tant d'autres est devenu une véritable passion pour toutes les tranches d'âge et toutes les catégories sociales même lorsqu'il fait, comme ces derniers jours, un ''froid de canard''. L'appel des sirènes (ou plutôt l'appel des carpes, en pareille occurrence) est trop fort et il n'est pas rare de rencontrer, côte à côte sur les bords du même plan d'eau, un étudiant et un professeur d'université, un médecin, un ouvrier ou un chômeur. Un pêcheur, au moins, par famille Pour M Hanafi, Moudjahid et pêcheur invétéré depuis un demi- siècle, il n'est pas une famille, dans la wilaya de Guelma, qui ne compte en son sein un pêcheur. "Un fait dont peuvent témoigner, ajoute ce septuagénaire en souriant, les oueds, les barrages, les lacs de Guelma, mais aussi les plages et les criques des wilayas de Annaba, d'El Tarf et de Skikda". Au début de l'indépendance, vers 1963 et 1964, les pêcheurs guelmis se réunissaient en groupe de dix personnes environ pour louer des camions à 5 dinars par personne et se diriger vers l'oued El Kébir dans la wilaya d'El Tarf, se rappelle le vieux Hanafi qui se souvient aussi que ces départs étaient ''souvent programmés à minuit devant le café Siafa, sur l'avenue Khelil-Mokhtar.'' A Guelma, les meilleurs sites de pêche étaient, jadis, les oueds Seybouse, Bouati et Charef dont les eaux pullulaient de poissons, affirme encore Hanafi qui note avec regret que la pollution et le non respect des périodes de pêche autorisée ont fait considérablement reculer les ressources halieutiques dans les eaux douces. La passion dévorante pour la pêche de loisir est toutefois restée intacte dans cette wilaya en dépit des changements écologiques et sociaux. Pour tous ceux qui aiment par-dessus tout ''taquiner le goujon'', le secret réside, pour ce septuagénaire, dans ''le fait que dès qu'un pêcheur débutant fait sa première prise, il est lui même pris dans les filets du désir de recommencer''. Durant les années 1980 et 1990, l'oued Seybouse a été transformé en déversoir pour les eaux usées de la ville de Guelma et des unités industrielles. Toutefois l'entrée en activité de la station de traitement et d'épuration des eaux usées, vers la fin des années 1990, et l'acquisition par les unités industrielles d'installations d'épuration des eaux rejetées, ont permis de nettoyer les eaux de ce cours, désormais utilisées pour l'irrigation agricole. Des ressources halieutiques reconstituées Les actions d'ensemencement menées au barrage de Bouhamdane (220 millions de m3) par la direction de la pêche de la wilaya ont également permis de reconstituer les ressources halieutiques locales, affirme de son côté M. Zaim Medjaldi, chef du bureau de régulation des normes d'exploitation au sein de la direction du secteur, qui souligne que durant les 10 dernières années, deux millions d'alevins de diverses espèces de carpes ont été lâchés dans ce grand réservoir. Il note aussi que le nombre de pêcheurs à la ligne a conduit la direction à organiser, dès 2009, un concours de pêche en eau douce qui suscite un engouement exceptionnel auprès des amateurs qui doivent, a-t-il indiqué, penser à s'organiser en associations et en clubs. De Sersara, dans la commune de Bouhmdane, au barrage éponyme, de l'oued Seybouse à Errasfa, dans la commune de Boumahra, et jusqu'à Nadhour, à Bouchegouf, les groupes de pêcheurs à la ligne essaiment la région. Leurs prises sont surtout constituées de carpes mais la plus précieuse reste la sandre que l'on exhibe comme un trophée. Pour les adeptes de cette pêche, ce hobby, plutôt coûteux à satisfaire, a quelque chose de contagieux. On l'attrape au contact. Le fils peut l'hériter de son père ou de son oncle. Le voisin peut le transmettre à son voisin et l'ami à son intime. Les bénéfices que l'on peut tirer d'une virée de pêche ne sont pas des moindres, notent-ils. C'est une activité hautement ''oxygénante'' incluant assez souvent la marche et parfois même la natation. Elle fait aussi découvrir la vertu de la patience et le sens du défi, outre le fait d'offrir des moments de quiétude et de détente face aux vastes plans d'eau et loin du vacarme anxiogène des villes. "Toutes ces analyses au caractère ratiocinant deviennent toutefois +futiles+ une fois que l'on est "habité" par ce violon d'Ingres qui envahit le quotidien du pêcheur dont les pensées, comme les discussions, ne tournent plus qu'autour des espèces de poissons, des sites poissonneux, des équipements de pêche et les modèles d'hameçons dont il faut s'armer'', soulignent ces férus de la pêche. La ligne se met à vibrer et c'est l'extase Fonctionnaire à la wilaya de Guelma, Karim affirme son ''incapacité'' à décrire "l'extase" qu'il ressent lorsque le bout de sa ligne se met à vibrer après un long moment de silence olympien, vécu en solo sur la berge d'un cours, en sirotant lentement et pendant des heures une tasse de café. Karim certifie que beaucoup d'autres férus de pêche à la ligne ont failli carrément perdre leur emploi en raison de leurs absences fréquentes, ce qui conduit nombre d'entre eux à présenter des congés de maladie pour prendre part à une partie de pêche. L'autre petit plaisir de la pêche réside dans ces rencontres conviviales entre pratiquants. Là, ce ne sont plus les meilleurs pêcheurs qui l'emportent mais ceux qui ont l'éloquence et le verbe facile. Et c'est là aussi que l'adage "un chasseur plus un pêcheur égale deux menteurs" prend la plénitude de son sens, estime avec humour Karim. Mais à Guelma, si le poisson pêché n'arrête pas de "grandir" et de grandir encore dans la bouche du pêcheur hâbleur, la flamme que fait naître cette activité de loisirs n'est pas prête de s'éteindre.