Intégral de l'entretien accordé à l'APS par Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques Energétiques et d'Energy Industries Stratégies Information et directeur de la publication et de la rédaction de Pétrole et Gaz Arabes (PGA) -QUESTION: Nombre d'analystes n'hésitent pas à pronostiquer une durabilité de la baisse des prix du pétrole, alors que d'autres prédisent la fin de cette dépréciation pour 2017. Peut-on s'attendre à un répit du marché en 2016 et pensez-vous que les pays producteurs, dont les économies dépendent majoritairement de leurs exportations d'hydrocarbures, resteront sur la défensive? -REPONSE: Il est peu probable que 2016 soit une bonne année pour les pays producteurs et exportateurs de pétrole. L'offre pétrolière mondiale reste supérieure à la demande, l'OPEP ne réduit pas sa production, bien au contraire, les stocks pétroliers mondiaux sont très élevés, l'Irak devrait continuer à accroître sa production, l'Iran veut produire et exporter plus de pétrole en 2016 - et ce pays en a les moyens - et le dollar américain est fort. Tous ces facteurs ne sont pas favorables à un redressement des prix du brut. Les choses pourraient évidemment se présenter de façon très différente si l'OPEP décidait de réduire sa production et si cette décision était sérieusement appliquée ou si l'OPEP et certains pays non-OPEP s'entendaient pour réduire l'offre pétrolière. Mais la dernière réunion de l'OPEP, le 4 décembre 2015, n'a débouché sur aucun résultat. Par contre, du fait de la chute des prix, la production non-OPEP devrait baisser en 2016 alors qu'elle a fortement augmenté depuis plusieurs années. De plus, la demande pétrolière mondiale augmentera en 2016, ce qui devrait contribuer à réduire l'excédent de l'offre sur la demande. Un rééquilibrage du marché pétrolier est donc possible en 2017, ce qui pourrait permettre aux prix du brut de commencer à remonter. QUESTION: La baisse des prix du pétrole, conséquence de la décision de l'OPEP de ne pas agir pour le faire remonter, a des répercussions négatives sur les pays producteurs qui recourent à leurs fonds souverains pour pallier au déficit budgétaire. Ne courent-ils pas un grand risque si le marché poursuit sa dégringolade? REPONSE: C'est effectivement un risque important, en particulier si la baisse des prix devait être plus durable que prévu. Certes, quelques pays, notamment les Etats arabes de la région du Golfe, ont des fonds souverains très bien dotés et peuvent tenir pendant encore quelques années mais ils ne veulent pas voir leurs réserves financières fondre trop rapidement. L'exemple du budget de l'Arabie Saoudite pour 2016 est tout à fait intéressant puisque ce pays, qui a encore beaucoup de réserves, annonce une réduction de ses dépenses de près de 15%, augmente le prix des carburants de 50% ou plus et prévoit une réduction des subventions sur les carburants, l'électricité et l'eau sur les cinq prochaines années. Pour les carburants, des mesures du même type ont été adoptées ou seront prises aux Emirats Arabes Unis, à Bahreïn et, à Oman notamment. Cela montre bien que ces Etats pensent, comme le leur a recommandé le Fonds Monétaire International, qu'il ne suffit plus seulement de prélever sur leurs réserves. QUESTION: Peut-on s'attendre en 2016 à un sursaut des pays membres de l'OPEP, notamment ceux qui annoncé une initiative en vue de stopper la baisse et maintenir le prix à un niveau "raisonnable" tel que souhaité par certains, ou ira-t-on vers la fin de l'OPEP avec la persistance de l'Arabie Saoudite de vouloir jouer en solo? REPONSE: C'est l'une des grandes inconnues pour le marché pétrolier en 2016. L'OPEP a déjà refusé de réduire sa production par trois fois, en novembre 2014, en juin 2015 et en décembre 2015. Plusieurs pays membres de cette organisation voudraient une baisse de la production mais il faut l'unanimité pour que l'OPEP puisse prendre une décision et l'organisation est très divisée sur ce point. Je suis sceptique sur la possibilité d'un accord au sein de l'OPEP en 2016, à moins que des pays non-OPEP soient prêts à faire eux aussi un effort en ce sens, car l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweït et le Qatar restent très fermes sur leurs positions. Cela dit, on n'en est pas encore à la mort de l'OPEP mais cette organisation est pour l'instant impuissante face à la chute des prix du brut. QUESTION: Certains pays membres de l'OPEP, dont l'Algérie, militent pour ce niveau de prix "raisonnable" affirmant que le prix à 100 dollars est trop élevé et à moins de 50 dollars, il est mauvais pour leurs économies. Partagez-vous cette approche? REPONSE: Il est clair que les prix actuels du pétrole ne sont pas "raisonnables" en ce sens qu'ils ne sont pas soutenables dans la durée. A l'inverse, on ne reverra sans doute pas rapidement des prix de l'ordre de 100 dollars par baril. Comme expliqué, les bas prix du pétrole contribueront à rééquilibrer le marché mais cette évolution serait plus rapide et plus nette si les pays exportateurs réduisaient l'offre. Cependant, les deux conditions clés pour que cela se produise sont un accord au sein de l'OPEP et des efforts de la part de certains pays non-OPEP. Et à ce jour, ni l'une ni l'autre ne sont au rendez-vous. QUESTION: La stagnation du marché à marée basse aura, hormis pour les pays producteurs dont l'économie est en souffrance, des conséquences néfastes sur les investissements et donc sur des entreprises les plus fragiles qui n'ont pas les moyens d'élargir leurs activités. Sommes-nous dans une phase de reconfiguration des secteurs pétrolier et parapétrolier ? REPONSE: La chute des prix du pétrole a un impact négatif sur tous ceux qui vendent du pétrole, les pays producteurs, leurs compagnies nationales et les sociétés privées. Pour ces dernières, les bas prix du brut se traduisent par une forte réduction de leurs profits et de leurs investissements. Une partie de l'industrie pétrolière est donc fragilisée, ce qui peut ouvrir la voie à des restructurations via des cessions d'actifs, des acquisitions et des fusions. Une opération majeure a déjà été annoncée, la fusion entre Shell et BG, et elle devrait être achevée au début 2016. Dans le secteur des services pétroliers, Halliburton et Baker Hughes veulent fusionner mais elles doivent passer, pour cela, l'obstacle du département américain de la Justice. Au-delà de certaines grandes transactions, il y a et il y aura des accords moins spectaculaires concernant des sociétés de taille moyenne ou petite dans les secteurs pétrolier et parapétrolier. L'ampleur de ces restructurations dépendra de la durée de la période actuelle de bas prix du pétrole.