Beaucoup de "promesses" ont été faites mais "peu de décisions concrètes" ont été prises par la France en réponse aux demandes insistantes de l'Algérie de voir les archives de la périodecoloniale restituées, a déploré mardi le politologue et enseignant universitaire français, Olivier Le Cour Grandmaison, tout en regrettant le refus de la France de reconnaître ses crimes coloniaux. "Beaucoup de promesses et quelques décisions bien mises en scène par des professionnels de la communication, mais en pratique peu de décisions concrètes. C'est ce que constatent tous ceux qui souhaitent pouvoir consulter librement lesdites archives", a déclaré l'un des spécialistes reconnus des questions liées à l'histoire coloniale française en Algérie, dans un entretien accordé au quotidien El-Watan. Argumentant son propos, il cite en particulier les archives relatives aux massacres du 8 mai 1945 et du 17 octobre 1961, notant "qu'une bonne partie de ces dernières demeurent toujours fermées". Cela, au moment où "l'accès aux archives les plus sensibles, reste soumis au principe des érogations, et donc, à l'arbitraire de certaines institutions, comme l'armée et la police, soucieuses de leur image et de la défense de la raison d'Etat au détriment de la vérité historique". Ce qui l'amène à déduire que "les changements sont cosmétiques et pas à la hauteur de ce qui est attendu, le système dérogatoire étant une entrave manifeste aux libertés académiques et à celles de la recherche". A la question de savoir si la France pourrait rejoindre le club restreint des pays ayant présenté des excuses pour leurs crimes coloniaux en Afrique, M. Le Cour Grandmaison déplore "un mépris confondant et scandaleux" des présidents et les gouvernements français successifs envers ceux que la France coloniale a "exploités, opprimés et massacrés sans vergogne, et envers leurs héritiers français ou étrangers". Il fera observer, à ce propos, que ces derniers, aux côtés des universitaires, des militants, des associations et de quelques organisations politiques, "ne cessent de réclamer la reconnaissance des crimes d'Etat commis sur les territoires coloniaux et même en métropole", rappelant, à nouveau, les massacres du 17 octobre 1961. Dans ce registre, il citera quelques exemples d'Etats ayant reconnu leurs crimes coloniaux, dont la déclaration du roi des Belges concernant le Congo (RDC, ndlr), la qualifiant de "pas significatif après des décennies d'occultation, de silence et de déni". De même que celui de l'Allemagne ayant reconnu le génocide des Nama et Herero, perpétré en 1904 dans sa colonie du Sud-Ouest africain (Namibie, ndlr). Ou encore, a-t-il ajouté, celui de la Grande-Bretagne vis-à-vis des "Kényans soumis à des actes de torture et à d'autres formes de maltraitance". Une reconnaissance qui a été gravée sur un mémorial financé par le gouvernement britannique et érigé à Nairobi pour rendre hommage aux milliers de personnes massacrées par les troupes de sa majesté lors du soulèvement des Mau-Mau dans les années 1950, a-t-il noté. Enfin, il évoquera les cas de la Nouvelle-Zélande, du Canada, de l'Australie et des Etats-Unis ayant "tous admis des traitements indignes infligés aux populations autochtones de leurs territoires respectifs", soulignant que "dans plusieurs cas, la reconnaissance officielle s'est accompagnée de réparations financières accordées aux victimes ou à leurs descendants". "Il s'agit d'une pusillanimité de l'Etat français et de tous les partis dits de gouvernement, de droite comme de gauche. La preuve, il n'y a eu aucun progrès significatif sous la présidence de François Hollande, en dépit de quelques déclarations antérieures, et celle d'Emmanuel Macron, qui persévère dans la voie de l'esquive", a commenté l'universitaire pour expliquer le refus de la France de suivre ces exemples. Une attitude qu'il imputera également aux "déclarations scandaleuses de certains dirigeants de droite et d'extrême-droite, ou encore de personnages médiatiques, comme Finkielkraut, Zemmour et autres faux historiens et vrais idéologues, estimant tous que la colonisation a eu des effets positifs et qu'elle aurait été motivée par la volonté de civiliser les peuples conquis !". "Il est assez stupéfiant d'assister à la réhabilitation d'un tel discours, caractéristique de la mythologie nationale-républicaine de la IIIe République, qui tend à faire croire que la France est un pays à nul autre pareil et qui serait toujours fidèle à ses idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité. C'est une vieille idéologie dont le retour en grâce est le signe d'une involution politique qui se conjoint avec la stigmatisation, de plus en plus importante, des héritiers de l'immigration coloniale et post-coloniale accusés de faire peser des menaces existentielles sur la France et d'être autant de preuves du +grand remplacement +", a développé le politologue français. La restitution de crânes de résistants algériens, un subterfuge pour ménager l'électorat Interpellé sur la restitution à l'Algérie des crânes de martyrs déportés en France durant la colonisation, le spécialiste de la citoyenneté rétorque en ces termes: "comme souvent, pour ne pas dire comme toujours, dès lors qu'il s'agit d'événements majeurs de la colonisation qui doivent être qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, il est question pour les autorités françaises de céder sur un point pour mieux préserver l'essentiel". Il s'agit également, a-t-il poursuivi, de " (...) Préserver l'essentiel en refusant de reconnaître, comme Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle l'avait pourtant déclaré, que la colonisation fut un crime contre l'humanité. Les ressorts de cette restitution sont diplomatiques et de politique intérieure : ménager l'électorat de la droite et de l'extrême-droite que le président de la République courtise régulièrement et de façon éhontée". "Rien à voir donc avec un souci véritable de l'histoire, de la vérité et de la reconnaissance effective de ce qui a été perpétré par la France en Algérie de 1830 à 1962, et dans d'autres colonies conquises entre 1885 et 1913", a conclu Le Cour Grandmaison.