Djoudi Bedar garde toujours le souvenir indélébile de sa soeur Fatima qui l'accompagnait chaque matin à la maternelle de Stains, avant que la mort ne la fauche, à son quinzième printemps, un certain 17 octobre 1961. "J'avais à l'époque cinq ans et demi et je garde toujours le souvenir d'une grande soeur studieuse, aimable et exemplaire en tout", confie Djoudi dans un témoignage à l'APS. Il dit se rappeler ce jour où sa soeur s'est chamaillée avec sa maman qui lui refusait, craignant pour elle, sa demande de participer à la manifestation à laquelle avait appelé la Fédération de France du FLN pour dire non au couvre-feu imposé aux seuls Algériens par le préfet de police d'alors Maurice Papon. N'ayant pas pu convaincre sa mère, la jeune Fatima décida seule de rejoindre la marche. "Elle n'en a fait qu'à sa tête", pour reprendre les termes de son frère cadet. "Le soir venu, Fatima n'était toujours pas rentrée à la maison. Mes parents commençaient à s'inquiéter et mon père se rendit le lendemain au commissariat pour déclarer sa disparition", rapporte Djoudi qui se rappelle être parti avec sa maman, à la recherche de sa soeur pendant deux jours, mais en vain. Ce n'est que le 31 octobre que le corps sans vie de la collégienne a été repêché de la Seine à Saint-Denis. Le père, Hocine, a été convoqué ce jour là par la police pour l'identification de sa fille qu'il n'a reconnu qu'à ses nattes très longues et à sa montre. Djoudi rapporte, se basant sur le récit de son père, que ce dernier avait reconnu Fatima parmi une quinzaine d'autres corps entreposés à l'Institut médico-légal de Paris. La police conclut au "suicide", suscitant l'ire de la famille Bedar. "Elle a été bel et bien jetée par les policiers dans la Seine", soutient Djoudi qui dit se référer aux propos de Fatima Ammi, une autre collégienne qui était dans la même classe que Bedar. Son témoignage a été évoqué par l'historien Jean-Luc Einaudi dans son dernier ouvrage "Scènes de la guerre d'Algérie en France". Ammi y décrit une Fatima Bedar "très réservée, très timide" au point où elle ne pouvait nouer un lien d'amitié avec elle. Commentant la thèse du suicide colportée par la police qui prétendait s'appuyer sur un soi-disant témoignage d'une élève du collège, prénommée Roseline, à qui elle aurait dit, juste avant, qu'elle voulait se jeter dans le canal, Fatima Ammi affirme que cela ne lui semblait pas "plausible". "Fatima, qui était si réservée, qui était toute nouvelle dans l'établissement, ne s'est pas fait vraiment de copines pendant le peu de temps où nous l'avons connue", a-t-elle témoigné, affirmant n'avoir "pas rencontré dans ce collège de prénommée Roseline". Pour Djoudi Bedar, les massacres d'octobre 1961 "doivent être reconnus par l'Etat français". "Ce n'est qu'à ce prix que je pourrais rendre effectivement hommage à ma défunte soeur et à tous ceux et celles qui sont tombés pour l'Algérie", clame-t-il, 49 ans après les faits.