C'est à l'ex-Premier ministre, l'un des représentants algériens aux Accords d'Evian, Rédha Malek, que revient l'honneur et la primauté d'apporter un témoignage vivant sur Mostefa Lacheraf, lors du colloque qui lui est consacré depuis hier à la Bibliothèque nationale du Hamma. L'ayant côtoyé de très près depuis les années 1960, M. Malek est bien placé pour décrire l'homme qui fut, et qui demeure, un grand personnage de l'Algérie contemporaine. Et il se dira content que cette rencontre soit « une volonté sincère de connaître un intellectuel algérien, au sens le plus large du terme, un homme qui a su unir l'intelligence à l'engagement, la conscience critique au militantisme ». Ainsi, pour l'ex-Premier ministre, avant d'être historien, Lacheraf est un militant politique de la Révolution algérienne. « C'est un homme politique, toute sa vie, il l'a consacrée à la politique », dit-il avant d'ajouter que l'histoire est pour lui un moyen d'éveiller la conscience. En décrivant le personnage, M. Malek continue : « Son originalité réside dans sa passion pour l'Algérie, son attachement au terroir, sa connaissance intime de l'homme algérien, l'homme du bled, le paysan, sa mentalité, ses traditions... ». Pour l'orateur, c'est cette connaissance qui est à l'origine de sa « vocation de chercheur invétéré de tout ce qui a trait à l'Algérie ». « Il est lui-même porteur de ces valeurs d'endurance, de patience muette, qui n'excluent pas un fond chaleureux et fraternel », ajoute Rédha Malek. Ce dernier continue son témoignage en évoquant le parcours de Lacheraf, son emprisonnement avec les autres dirigeants, en octobre 1956, à l'île d'Aix, sa libération le 20 mai 1961, à l'ouverture des premières négociations d'Evian... son intégration à la rédaction d'El Moudjahid et ses articles particulièrement critiques notamment à l'encontre des insuffisances du FLN... « Lacheraf s'est engagé dans un combat anticolonial et a déterré les documents du début de la conquête. Il ne voulait pas faire le procès de l'occupant, mais donner à voir ses faits et gestes, et les faits parlent d'eux-mêmes : c'était la spoliation de tout un peuple menacé d'extinction », déclare Rédha Malek avant de préciser que pour Lacheraf, le mouvement populaire a eu pour effet de dépasser l'objectif du nationalisme libérateur, vers une perspective plus lointaine, celle de la Révolution : « Par sa continuité, son effort soutenu et les immenses sacrifices qu'il a entretenus, Lacheraf a contribué à donner à la conscience nationale une forme plus homogène, il a prolongé celle-ci aux consciences collectives. »