Dans sa longue marche olympique, la Chine est-elle en passe d'imposer son modèle de développement « harmonieux » en reléguant la démocratie à l'occidentale au rang d'option accessoire ? La bannière de ces deux mondes idéologiquement opposés flottera pendant deux semaines sur Pékin au terme desquelles (même si en surface la compétition est toute vouée au sport), l'un tentera de remporter sur l'autre une bataille politique d'importance. Aujourd'hui, faut-il le souligner, l'empire du Milieu a atteint une hauteur jamais égalée dans son histoire. Deuxième hyperpuissance planétaire qui aspire à devenir, à brève échéance, la première, la Chine jouit d'arguments démographiques et économiques de poids. Le mastodonte asiatique se fonde aussi sur une puissance militaire et sécuritaire qui assure la pérennité idéologique du régime, de Mao à nos jours. C'est cette stabilité politique sous surveillance constante pour chasser les divisions, c'est cette « harmonie harmonieuse » comme aime à le prétendre le pouvoir chinois, donnant une impression de bonheur envié, que les Occidentaux tentent désespérément de battre en brèche. Retenir en exemple, au terme de ces jeux, un « modèle chinois » basé à la fois sur l'héritage communiste et la réussite économique inscrirait dans les consciences que la démocratie, son corollaire le multipartisme et le respect des droits de l'homme ne sont pas un préalable au progrès et à la prospérité. Ni les événements du Tibet, ni le tremblement de terre du Sichuan, ni le parcours chaotique de la flamme olympique, encore moins les velléités de boycottage vite ravalées de certains chefs d'Etat occidentaux n'ont sérieusement ébranlé le pouvoir chinois. Il arrive ainsi, à des cycles irréguliers, que les influences géopolitiques viennent interférer avec la sphère olympique dont la première vertu déclarée est le pacifisme. En 1980 (JO de Moscou) et en 1984 (JO de Los Angeles), l'on se rappelle comment la lutte sévère entre les deux grandes puissances avait suscité de part et d'autre des deux blocs un boycottage massif et une décrépitude de la neutralité du sport face aux grands enjeux politiques de l'époque. De nos jours, la bataille est moins frontale. Après une période de crispation, née en même temps des émeutes de Pékin (1989) et de l'impressionnante désagrégation de l'Union soviétique, le pouvoir chinois (impressionné par ces événements inattendus) a reconnu la nécessité d'une politique internationale sereine et d'une stabilité intérieure sans faille où le mécontentement bruyant n'est pas toléré. C'est en cela que sont endiguées au maximum les divisions au sein de l'élite du pouvoir afin qu'en contrebas, l'agitation ne gagne pas la rue comme ce fut le cas il y a deux décennies sur la place Tian ‘anmen. Et il n'échappe à aucun observateur que les Jeux olympiques sont un effet motivant sur le peuple chinois et un ciment exceptionnel pour le patriotisme local. Deux longues semaines que les héritiers de Mao vivront dans une extrême tension par peur de « l'incident » fatal. A partir de demain, à la faveur de la somptueuse cérémonie d'ouverture qui s'annonce au Nid d'oiseau, l'empire du Milieu sera véritablement au centre du monde. Dans sa quête d'embellir son destin, la Chine s'inspirera moins de Confucius que de cette philosophie mémorable de l'olympisme moderne : plus vite, plus haut, plus fort.