Des bouquinistes, de coutume « éparpillés » un peu partout, se retrouvent désormais regroupés dans un espace au cœur de la place Maurice Audin (Alger-Centre), dans le cadre d'un programme d'exposition-vente, qui s'étalera jusqu'à la fin du mois d'août. Initié par la commune d'Alger-Centre, ce programme qui a débuté depuis le mois de juillet pour permettre, notamment, aux artisans d'exposer leurs objets et produits au grand public, a également réservé quelques mètres carrés aux bouquinistes, afin d'exercer leur profession dans un climat « tranquille » et « légal » et en toute quiétude. Une variété de publications, comprenant des essais, biographies, livres de science, d'histoire, de droit, de géographie, romans, manuels scolaires et revues sont présentés aux passants qui n'hésitent pas à s'arrêter pour chercher un titre introuvable dans les librairies ou dont le prix est assez onéreux. Certains étudiants présents ont fortement approuvé la présence des bouquinistes, car ils mettent à la disposition des petites bourses des publications « rares » et « intéressantes » à des prix « abordables ». Ces mêmes étudiants, qui poursuivent des études supérieures en lettres et en langues étrangères, ont affirmé à l'APS qu'ils peuvent se permettre d'acheter chez les bouquinistes des livres en bon état à 50 ou 100 DA, alors que leurs prix initiaux varient entre 500 à 600 DA, raison pour laquelle ils ont salué cette profession qui leur rend un « grand » service. D'autres personnes rencontrées, dont des retraitées et des fonctionnaires, toutes passionnées de lecture et littérature, regardaient les étals comme s'ils étaient face à des caisses d'un trésor, mais un trésor accessible, ironisent-elles. Quelques bouquinistes interrogés sur ce métier ont avoué à l'unanimité qu'il « se porte et marche bien », si ce n'était le manque d'espaces « légaux et tranquilles ». M'hamed, un bouquiniste d'un certain âge, assez fier de son métier, a indiqué que tous les domaines de lecture sont sollicités par les gens selon leurs goûts, précisant que les livres les plus demandés sont ceux qui concernent l'histoire de l'Algérie, la philosophie allemande et la littérature française. Il a ajouté que le rôle du bouquiniste ne se résume pas seulement à l'achat et la revente des livres mais il aide, conseille et oriente aussi les clients, notamment les étudiants qui préparent leurs mémoires de fin d'études, en leur proposant des titres ou des noms d'auteurs. Un lot de romans contre quelques litres d'huile d'olive. Pour sa part, Samir a tenu à confier que les bouquinistes acquièrent parfois les livres en procédant au troc, citant l'exemple d'échange d'un petit lot de romans contre quelques litres d'huile d'olive de chez un étudiant natif de Kabylie. Ce bouquiniste a, toutefois, précisé que le troc se fait d'une manière rare, uniquement pour des cas particuliers selon la nécessité et les conditions financières de l'acheteur. Il est vrai que le paysage créé par les différents étals débordant de vieux livres, tous genres et domaines confondus, et présentant, aussi, aux nostalgiques, d'anciennes cartes postales, des collections de timbres et même des disques 33 tours de grands noms de la chanson algérienne, donne l'impression que le métier de bouquiniste se fait souvent sans grands problèmes, alors qu'en réalité, ils souffrent d'endroits stables, ce qui fait d'eux des « vendeurs en noir ». Saluant l'initiative de la commune d'Alger-Centre ayant permis de créer des espaces culturels au sein de la ville, l'ensemble des bouquinistes ont toutefois déploré sa tenue uniquement durant la saison estivale, préférant la voir durer tout au long de l'année. Ces bouquinistes ont, en outre, exprimé une inquiétude sur leur devenir après la fin août. Ils regrettent leur expulsion en 2004 du Plateau des Glières, au-dessus de la Grande-Poste d'Alger, ce qui les a contraints de squatter des trottoirs ici et là. « Nous sommes obligés de prendre part à ce programme de vente spéciale saison estivale, car nous avons des livres à vendre, mais notre situation doit être régularisée par les autorités concernées afin de travailler normalement durant le reste de l'année », indique le bouquiniste Samir. Il a rappelé que lui et ses pairs ont été autorisés par les autorités municipales à s'installer au square Port-Saïd, mais ils ont dû le quitter au bout de quelques jours parce que l'espace ne sied pas à ce type d'activité. Aziz, revendeur de livres depuis huit ans, espère, pour sa part, pouvoir travailler dans un espace « tranquille, reconnu légalement, sécurisé, adéquat et stable » et se dit même prêt à payer des frais de location, à condition qu'ils soient « raisonnables et symboliques ». Affirmant que sa profession intéresse un nombre important de la population, de différents âges et domaines, notamment la catégorie des étudiants, Aziz a plaidé pour un statut particulier du bouquiniste dans le but de lui permettre d'exercer dans un cadre légal ce métier qui « met le savoir et la culture à la disposition du grand public ». De son côté, M'hamed a estimé que la promotion de la lecture « doit se faire tout au long de l'année », formulant le vœu de voir ce genre d'initiatives dans l'ensemble des communes du pays. « Les autorités communales devraient prendre conscience que la culture et notamment la lecture représentent un facteur déterminant et primordial pour la nation », a-t-il indiqué, ajoutant : « Nous sommes éparpillés. Nous souhaitons travailler dans un espace culturel définitif et bien situé. »