Destin peu ordinaire d'un homme qui aurait pu demeurer dans son West side à Chicago, n'était son ambition d'en sortir et de briser tous les carcans qui marquent encore l'Amérique, autrement dit, tous les conservatismes. Et Barack Obama a tenu à les franchir l'un après l'autre pour se retrouver aujourd'hui sur une ligne de départ qu'il n'a certainement pas imaginée, lui l'enfant d'émigré, ou pour être plus précis, le Noir parti à l'assaut d'une citadelle que l'on disait territoire des wasp, ces fameux « white anglo-saxon protestant » qui ont donné à l'Amérique tous ses présidents. Barack s'apprête à briser cette règle non écrite pour peu, bien entendu, qu'il soit élu le 4 novembre prochain. Cela est une autre question, et rien ne dit que celui qui a suscité un énorme enthousiasme n'ait pas aussi réveillé les vieux démons du conservatisme. Les talents d'orateur de Barack Obama et son aptitude à électriser les foules font crépiter la scène politique américaine depuis le premier grand discours du candidat démocrate, il y a quatre ans, qui l'avait propulsé au rang de star. La scène se passe en 2004, lors de la convention démocrate. Celui qu'il s'apprête à faire aujourd'hui à Denver, dans un stade de football de 75 000 places, lors d'une convention démocrate qui cette fois doit l'investir, sera « différent », dit-il. « Les gens sont plus intéressés par ce que je vais faire pour les aider dans leur vie. Je crois que ça va être le discours d'un homme au travail », assure-t-il. Aussi brillant orateur soit-il, le candidat démocrate sait bien que sa maîtrise de la rhétorique ne sera pas suffisante. Le discours qu'il prononcera aujourd'hui sera le plus important de sa carrière et il aspire à faire passer un message humble, décrivant à la fois qui il est et où il veut emmener les Etats-Unis. « Je ne cherche pas à faire de la rhétorique. Je veux surtout faire savoir ce que j'ai l'intention de faire pour aider les classes moyennes à vivre leur vie », explique M. Obama. « Je veux que les gens se disent : ‘'que je vote pour ou contre ce type, je sais ce qu'il fait, je sais d'où il vient, je sais ce qu'il pense'' », développe-t-il. C'est également l'objectif du camp démocrate : utiliser la convention pour le montrer sous un jour plus simple, en insistant sur le charme et les valeurs qu'il incarne avec sa femme Michelle et ses deux filles. Et créer un effet de contraste avec John McCain. « Certains ne peuvent même pas vous dire combien de maisons ils possèdent », a dit mardi le directeur de la communication de M. Obama, Robert Gibbs, une pique lancée au candidat républicain qui avait séché sur une question sur ce thème la semaine dernière. « C'est très instructif pour expliquer aux gens quelles sont vos valeurs. Nous parlons beaucoup de politique, mais les Américains vont aussi choisir un président en fonction de leurs valeurs », a-t-il poursuivi, ajoutant qu'une « partie du discours » que le candidat démocrate prononcera aujourd'hui « va expliquer ce qu'il a fait pendant quatre ans, pour dire que son histoire n'est possible qu'en Amérique ». Le discours était toujours à l'écriture mardi et l'équipe de M. Obama a prévu un programme allégé ces deux prochains jours, pour pouvoir travailler dessus. Humilité, pragmatisme, réalisme.... quelle que soit l'ambition affichée par le candidat et son équipe, nul doute qu'il ponctuera son discours d'élans lyriques qui ont illuminé son ascension météorique depuis un mois de juillet 2004, d'autant que son intervention coïncidera avec le 45e anniversaire du célèbre discours de Martin Luther King « J'ai fait un rêve ». Dans le même temps, les appels à l'unité, qui ont dominé tous les discours de la convention démocrate, devaient être mis à l'épreuve, hier, à l'occasion de la désignation formelle du candidat du parti à la Maison-Blanche. L'issue du scrutin ne fait aucun doute et Barack Obama sera le candidat qui affrontera le républicain John McCain lors du scrutin présidentiel le 4 novembre prochain. Mais si de nombreuses voix des partisans de Hillary Clinton venaient à lui manquer, cela serait immédiatement exploité par le camp républicain. Traditionnellement, les candidats sont désignés par acclamation. Cette fois, le scénario est un peu différent. Mme Clinton, forte des 18 millions de voix recueillies lors des primaires, a obtenu que ses partisans soient entendus lors de la convention. Selon un décompte du site spécialisé indépendant Realclearpolitics, Mme Clinton peut compter théoriquement sur environ 2000 délégués. C'est insuffisant pour décrocher l'investiture, mais plus que suffisant pour faire capoter une convention. Mardi soir, la sénatrice de New York a laissé entendre clairement que le schisme ne se produirait pas : « Barack Obama est mon candidat et il doit être notre président », a dit Mme Clinton, accueillie triomphalement par une foule debout au Pepsi Center de Denver, où se déroule la convention démocrate. Selon un scénario probable, Mme Clinton devrait demander à ses délégués de choisir M. Obama au début de la procédure de vote. Les délégués devraient alors acclamer le nom de M. Obama qui deviendra ainsi officiellement le candidat démocrate à la Maison-Blanche. Le sénateur de l'Illinois, qui suit attentivement la convention de Denver au fur et à mesure de ses étapes de campagne, est attendu aujourd'hui dans la capitale du Colorado. M. Obama acceptera officiellement cette candidature à l'occasion d'un discours qu'il doit prononcer dans un stade de 75 000 places à deux pas de l'immense halle qui abrite la convention. Obama aura franchi une étape, majeure mais pas suffisante, parce qu'il lui restera d'aller au-devant de l'Amérique, laquelle a déjà fait savoir ce qu'elle pense du candidat à travers ses discours. Et là déjà, il y a à dire.