Dahri se raconte humblement dans son livre Galette d'orge et huile d'olive édité chez Dar El Gharb, se livre par paquets de souvenirs. Sa naissance, ses premiers pas cahotants dans la vie, sa première enfance, ses premières blessures et ses premiers handicaps. Il évoque l'école française et parle de l'élève indigène qu'il était dans le Sidi Bel Abbès des années 1950, la ville de « lalégeou » (la légion étrangère), du petit vichy et des rapports complexes pour ne pas dire conflictuels avec l'occupant. L'auteur se dénude en écharpe et sans fanfare pour exprimer ses premiers pas d'homme du peuple mais aussi son éveil à sa condition du fils du pauvre. La verve du livre a une résonance sociale confirmée. Le témoignage se veut un modeste repère dans la mise à nu des contraintes d'une population mise de côté, une population parquée dans les bidonvilles, les solidarités de survie et les méfiances communes liées au contexte de l'époque. Le style emprunté dans la narration des faits est à dominance sobre, irrigué ici et là par de solides indications historiques et spatiales. Une abondante énergie soutient le déroulement des événements - pour la plupart douloureux - rappelés par le chroniqueur. Le ton, accompagné d'une bonne dose d'humour, est à la description du quotidien des gens de l'abîme, pas du tout à la nostalgie ni aux mises au point fiévreuses. Il est hors des sentiers tracés du retour aux sources, nouvelle panacée chez certains mémorialistes en mal de réhabilitation réparatrice. Dahri n'a pas de source à revisiter, ni de passé à vernir, l'homme a un itinéraire à évoquer dans ses moments déterminants, son cloaque social et ses peines accessibles. Dès les premières pages, l'ouvrage dégage une forte impression de réalisme intimiste. Le conteur montre manifestement qu'il a le sens du récit, du détail qui touche et surtout de la… mesure. Le narrateur est proche des histoires qu'il raconte, fidèle dans la restitution des histoires qu'il a vécues dans sa chair et les misères d'enfant, des histoires qui, en grande partie, ont fait le vécu de ses semblables, fils de journaliers et enfants de l'errance coincés par les privations multiples et les rafles de soldats abrutis par les ordres. Certaines de ses évocations sont très personnelles, ça se ressent, ça se transmet, ça se partage car ça aide à comprendre mieux des périodes jamais visitées par l'histoire post-indépendance. Dahri se décrit sans complaisance mais sans faire cependant de reconstitution misérabiliste, pleureuse. Il intervient avec plus d'insistance sur tel ou tel détail marquant juste pour situer les territoires des manques multiples, indiquer les vexations répétitives et les déchéances sociales qu'il a, enfant, traversées, juste pour rappeler qu'il avait le statut de tous ceux qui étaient parqués de l'autre côté de la ville, c'est-à-dire un nulle part tourmenté géographiquement que tentent d'abriter des tôles récupérées, des toiles usées et des maladies synchronisées. Très souvent, il opte pour l'anecdote éclairante pour arpenter - ou réveiller ?- une mémoire ayant subi à fond cette période agitée. Tout cela sans engagement colérique, ni mots d'ordres vindicatifs. L'auteur, mûri par l'âge et probablement assagi par les désillusions de l'après-indépendance, n'invente pas une carte postale, ne s'invente pas un passé avantageux pour se prodiguer un présent sur mesure. Il ne cherche pas à se singulariser plus qu'il n'en faut lorsqu'il est dans la réconciliation d'avec son passé et ses douleurs individuelles ou collectives comprimées. Dahri revalorise ainsi les perspectives de lecture d'une époque, aide à y voir plus clair dans cette redécouverte- par le recul- de soi. A priori, l'auteur cherche une lecture apaisée, pas des controverses pour se montrer. Le livre échappe ainsi délibérément à tout classement d'école parce qu'il est tout simplement dans l'humain dans ses rêves inaboutis, ses passages à vide, ses souhaits contrariés, ses joies inhibées aussitôt exprimées et ses sombres secrets. Galette d'orge et huile d'olive