Charles-Robert Ageron vient de nous quitter le 3 septembre au terme d'une longue maladie, invalidante et douloureuse, qui fut particulièrement cruelle aussi pour ses proches. Ce primordial historien de l'Algérie coloniale était né à Lyon le 6 novembre 1923. Issu d'une famille de petits patrons d'atelier aux confins du VIe arrondissement et de Villeurbanne, il fit toutes ses études dans les brumes confluentes, où il fut marqué par des enseignants lumineux comme André Mandouze et Henri-Irénée Marrou. Il évolua dans un milieu intellectuel de sensibilité catholique se reconnaissant dans Esprit et Témoignage chrétien. Une fois l'agrégation en poche, sa nomination, en 1947, à Alger, où il s'installa avec son épouse Suzanne et où il demeura dix ans, orienta décisivement ses thèmes de recherche. Il fut ensuite professeur au lycée Lakanal de Sceaux, puis détaché au CNRS et nommé assistant à la Sorbonne en 1962. Le « travail de bénédictin » (Ageron) qu'il entreprit, sous la direction de Charles-André Julien, aboutit à l'une des plus consistantes parmi les thèses de doctorat sur un tel sujet (« Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919 »). Professeur à l'université de Tours dans la décennie 70, il fut élu en 1981 professeur à l'université de Paris XII-Créteil où il finit sa carrière d'enseignant. Sans compter les nombreux volumes auxquels il a prêté la main ou qu'il a dirigés, C.-R. Ageron n'a pas signé moins d'une douzaine de livres, tous fouillés et solidement fondés sur une documentation écrite irréfutable et 123 articles, dont plusieurs tiennent pratiquement lieu de petits livres de synthèse. On pourra contester son austérité historienne classiquement positiviste mais inscrite dans une approche critique de la colonisation , on pourra critiquer les problématiques qu'il mit en œuvre, on pourra parfois discuter telles schématisations de son champ de recherche centré sur la colonisation telle qu'elle advint et les réactions qu'elle induisit chez les colonisés. Il reste que, sans oublier ni ses prédécesseurs (Charles-André Julien, Marcel Emerit…), ni d'autres chercheurs de sa génération – Annie Rey-Goldzeiguer, André Nouschi… ni les plus jeunes dont il a dirigé les recherches – Guy Pervillé, Daniel Rivet, Benjamin Stora… , on ne pourra pas contester les apports décisifs de sa recherche et de son autorité scientifique sur le chantier de l'histoire maghrébine, et plus largement, de l'histoire de la colonisation. Certes, depuis que la maladie l'avait cloué à l'incapacité, cette histoire a continué de s'écrire sans lui, et elle s'écrira désormais sans lui ; mais elle ne cessera pas d'être, aussi, écrite grâce à lui. L'auteur est Professeur émérite à l'Université de Nancy 2