Le gouvernement Ouyahia a adopté dernièrement de nouvelles orientations économiques qui ont surpris plus d'un. Alors que les politiques de ses prédécesseurs misaient davantage sur les investissements étrangers et les privatisations tous azimuts que devaient accompagner de vastes investissements publics pour relancer l'économie, l'actuel Exécutif s'est distingué par des mesures qui vont à contresens de ces choix qualifiés de stratégiques il y a peu de temps encore. Le changement a été amorcé au lendemain du discours du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui reconnaissait lors de sa rencontre avec les maires « s'être trompé » en matière de stratégie économique. Il estimait entre autres que les investissements étrangers n'ont pas toujours été dans l'intérêt de l'Etat algérien. En d'autres termes, les entreprises étrangères ont réalisé de très bonnes performances sans pour autant apporter une quelconque valeur ajoutée à l'Algérie. Les pouvoirs publics ont vraisemblablement décidé de revoir leur copie en profondeur. Un revirement a été constaté sur plusieurs dossiers sensibles. Les premiers signes de ce changement de cap sont apparus avec l'instauration de l'incessibilité du foncier industriel appartenant à l'Etat. La décision la plus surprenante reste cependant celle relative aux projets d'investissement impliquant des capitaux étrangers dans lesquels l'Algérie entend, à l'avenir, détenir la majorité du capital. De nombreux observateurs ont lié cette mesure à la vente d'Orascom Cement, propriété du milliardaire Nassef Sawiris, frère de Naguib Sawiris, au groupe français Lafarge pour un montant de 8,8 milliards d'euros sans que l'Etat algérien n'ait été informé au préalable. Le gouvernement Ouyahia a sévi quelques jours après en passant au peigne fin les bilans fiscaux de certaines entreprises étrangères. Il ne s'est pas arrêté là puisqu'une disposition proposée par la loi de finances pour l'exercice 2009 prévoit d'assimiler « les bénéfices transférables des succursales et autres installations aux sociétés mères établies à l'étranger à des dividendes » qui devront subir de ce fait une imposition au titre des dividendes au taux de 15%. Mais si les investisseurs étrangers ne semblent plus faire partie des « grands projets » du gouvernement, les opérateurs économiques nationaux reviennent par contre en grâce après avoir subi des brimades durant des années. En témoigne la dernière rencontre entre le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, et le président de la puissante et très influente organisation patronale, le Forum des chefs d'entreprise (FCE), Réda Hamiani. Renforcement du privé national Ahmed Ouyahia a lancé à cette occasion un signal fort à l'intention des entrepreneurs nationaux en soulignant toute l'« importance que le gouvernement leur accorde et les espoirs que l'Algérie fonde en eux pour la construction d'une économie solide et diversifiée ». Il a également effacé d'un revers de main la méfiance presque viscérale que les autorités ont toujours exprimée envers le secteur privé algérien, en insistant sur le rôle de celui-ci dans « la construction d'une économie solide et diversifiée dans le cadre de la libéralisation de l'initiative et de l'ouverture sur l'économie mondiale » que le pays a choisie. Ce réveil brutal du gouvernement, dont le discours est marqué par de forts relents de patriotisme économique, a été salué par de nombreux acteurs de l'économie nationale. « Distinguer les bons IDE » Pour Abdelhak Lamiri, économiste et docteur en économie de gestion, ces mesures éloignent le risque que « l'économie nationale ne tombe dans une dizaine d'années sous le contrôle total des entreprises étrangères à 80% » surtout, enchaîne-t-il, que « les réformes n'avancent pas au rythme qu'il faut ». Pour lui, l'Algérie devrait se montrer plus sélective en matière d'investissements directs étrangers (IDE). « Il faut distinguer entre les bons IDE et les mauvais. Les bons IDE sont ceux qui développent les capacités nationales de production, permettent de faire des exportations ou du moins de réduire les importations en couvrant les besoins nationaux. Il faut instaurer le budget devise », fait-il valoir. « Dans une dizaine d'années, le montant des dividendes transférés par les entreprises étrangères représentera l'équivalent du tiers de nos exportations », avertit-il. S'agissant du processus de privatisation, M. Lamiri plaide pour une politique qui privilégie les nationaux « quitte à leur accorder des crédits » pour financer ces acquisitions. Il confie dans ce sillage que l'Etat a mal évalué la valeur des entreprises publiques proposées à la privatisation. La configuration actuelle de l'économie nationale a abouti, selon lui, au paradoxe qui fait que l'Etat algérien possède des réserves de change qu'il a placées de sorte qu'elles ne lui rapportent que 2%, alors que les investissements directs étrangers rapportent peu au Trésor public, mais permettent un transfert important de dividendes. « On n'a pas besoins des IDE spéculatifs », tranche-t-il. Aussi, il estime que le gouvernement doit avoir « une stratégie de développement où on achète le savoir-faire et la technologie ». Dans cette optique, l'Algérie, selon lui, ne doit pas exclure totalement la création d'un fonds souverain pour financer des investissements internes, notamment pour le développement du secteur des petites et moyennes entreprises (PME). « Nous devons arriver à créer entre 70 000 et 80 000 PME par an au lieu de 20 000 actuellement », note-t-il. Ce sont les PME qui deviendront de grandes entreprises et seront le fer de lance de l'économie nationale, a-t-il conclu.