C'est au moment où la famille se réunit autour de la table de Ramadhan que le poids de l'absence des êtres qui lui sont chers pèse le plus. Tous les hommes se valent quels que soient leur rang et leur condition, abstraction faite de tout jugement de valeur. Samedi dernier, on est quasiment à la fin du Ramadhan, il est tout juste neuf heures du matin. La ville commence à peine à se réveiller de sa longue nuit comme il est de coutume en cette période de l'année. Devant la maison d'arrêt de Boussouf qui compte pas moins de 1 200 détenus, une foule dense s'agglutine déjà devant l'entrée. C'est une journée particulière pour les détenus et leurs familles. Le jour du panier spécial Ramadhan. Devant l'entrée de la prison, les hommes d'un côté et les femmes de l'autre attendent patiemment leur tour devant le parloir. Le samedi est aussi une journée pour les visites, ce qui explique le nombre important des personnes qui attendent aux abords de la prison. En fait, ces parloirs sont programmés durant tous les jours de la semaine excepté le vendredi, mais pour des raisons d'ordre pratique et afin de mieux contrôler le flux des visiteurs, l'administration pénitentiaire accorde des permissions de visite selon un programme bien établi. Pour les détenus déjà condamnés, ils ont droit à la visite samedi et dimanche, alors que le lundi et le mardi sont réservés aux détenus en attente de jugement. Le mercredi et le jeudi sont consacrés aux condamnés à de lourdes peines. Exceptionnellement durant le Ramadhan, les détenus peuvent recevoir tous les jours ce qu'on appelle le « panier du jour ». Les résidents de la maison d'arrêt peuvent recevoir en effet toutes sortes d'aliments, mise à part la traditionnelle chorba (servie par l'administration pénitentiaire durant tous le mois sacré), histoire d'enrichir leur ordinaire une fois le jeune rompu. Pour les habitués, cette organisation spécifique n'engendre aucun problème. Ce sont plutôt « les novices » qui éprouvent parfois des difficultés à se retrouver. On ignore par exemple que les cigarettes ne sont autorisées que le jour du parloir. Derrière son guichet un employé de la prison réceptionne les paniers de provisions qui seront acheminés vers leurs destinataires, après une fouille minutieuse pour éviter l'entrée d'éventuelles substances prohibées. Des boites contenant toutes sortes de plats préparés à la maison sont soigneusement déposés dans les fonds des couffins après avoir été étiquetés. Car sur chaque produit on doit impérativement coller un bout de papier où l'on inscrit le nom et le numéro d'écran du détenu. Une sorte d'adresse sans laquelle il est difficile que les effets arrivent à bon port. Et l'on s'aperçoit, en observant ces hommes et ces femmes qui, parfois ont parcouru des centaines de kilomètres, pour apporter un peu de chaleur familiale à leurs proches que le destin a condamné à l'éloignement. En ce moment précis, l'on oublie presque que le détenu, dont il est question aujourd'hui, est là où il est par ce qu'il le mérite. On regrette presque qu'il soit en prison. Que ce soit les gardiens ou les visiteurs tout le monde semble contaminé par cette ferveur. L'on a vu, en effet, le gardien chargé d'organiser la remise des paniers répéter tout au long de la journée les mêmes instructions aux visiteurs, en répondant aux questions sans se départir à aucun moment de son sang-froid et prêter une attention particulière aux personnes âgées.