Femmes et hommes attendent patiemment leur tour pour le parloir. C'est au moment où la famille se réunit autour de la table du Ramadhan que le poids de l'absence des êtres qui nous sont chers pèse le plus. Tous les hommes se valent, quels que soient leur rang et leur condition. Dimanche 8 octobre, on est à la mi-Ramadhan, il est tout juste dix heures du matin, la ville de Souk Ahras commence à peine à se réveiller de sa longue nuit, comme il est de coutume, en cette période de l'année. A la rue Latrech Youcef, la circulation automobile est assez fluide, fait exceptionnel dans cette artère de la ville où le trafic est habituellement dense. Quelques vendeurs à la sauvette commencent à s'installer à quelques encablures de la maison d'arrêt. En face, une foule compacte s'agglutine déjà devant l'entrée de la prison de Souk Ahras; incontestablement, c'est une journée particulière pour les détenus et leurs familles. C'est dimanche, c'est le jour du panier. Ce n'est pas une journée de visite mais un acte humanitaire, exceptionnellement durant le mois de Ramadhan. Les détenus peuvent, en effet, recevoir plusieurs sortes d'aliments, histoire d'enrichir leur ordinaire une fois le jeûne rompu. Pour les habitués, cette organisation spécifique ne pose aucun problème, ce sont plutôt les «novices», qui ont parfois des difficultés à se retrouver. On ignore par exemple si tel ou tel autre aliment n'est pas admis. Malgré tout, les gardiens de la prison veillent au grain et sont toujours disponibles pour orienter, informer et conseiller les familles de détenus. Il faut le dire, une organisation exemplaire de la part des employés de la prison qui, sans désemparer pendant cette journée, réceptionnent les paniers de provisions qui seront remis dans l'après-midi à leurs destinataires alors que des gardiens de prison, en uniforme, se chargent notamment d'organiser tout ce beau monde. Des boîtes contenant l'indispensable chorba du Ramadhan mais aussi d'autres plats faits maison sont soigneusement déposés dans les couffins après avoir été étiquetés, car dans chaque panier, on doit impérativement coller un bout de papier, où l'on inscrit le nom et le numéro d'écrou du détenu, une sorte d'adresse sans laquelle il est difficile que ces effets arrivent à destination. Si l'on a omis quoi que ce soit, grâce à ces vendeurs, on peut toujours rattraper le coup et en bonus, il vous fournissent même le stylo, un bout de papier et vous disent «débrouillez-vous pour étiqueter votre couffin.» Deux hommes venus de loin avec un panier destiné à un parent, détenu à la maison d'arrêt de Souk Ahras, sont même tombés des nues au regard de la gentillesse et la disponibilité dont a fait preuve le vendeur. Si vous arrivez à entretenir la discussion avec eux, ils peuvent également vous donner de bonnes astuces car ils sont bien au courant de tout ce qui a trait aux procédures en vigueur en prison. Ils savent, par exemple, qu'on peut envoyer à n'importe quel moment des vêtements par colis postal. Ainsi, ce que vous envoyez arrive plus rapidement. Indubitablement la journée où il y a beaucoup de files d'attente interminables devant l'entrée de la prison, ce n'est pas le dimanche, nous sommes le mercredi 11 octobre, le dix-huitième jour du Ramadhan. Cette journée est également faite pour les visites, femmes et hommes attendent patiemment leur tour pour le parloir. En observant les parents des détenus qui, parfois, ont parcouru de longs trajets «cent kilomètres, deux cents kilomètres», pour apporter un peu de chaleur familiale à un fils, un frère ou un père et pourquoi pas à un ami, que le destin a condamné à l'éloignement, on s'aperçoit en fin de compte du drame qu'ils vivent. En ce moment précis, l'on oublie presque que le détenu, dont il est question aujourd'hui, est là parce qu'il le mérite. Une lapalissade! On regrette presque qu'il soit en prison, les vendeurs à la sauvette qui sont installés dans les alentours ou encore les visiteurs, tout le monde semble être contaminé par cette ferveur. Le gardien chargé d'organiser la remise des paniers, répète tout au long de la journée, les mêmes instructions aux visiteurs. Il est toujours disponible pour répondre à toutes les questions, il ne perd, à aucun moment, son sang-froid et prête une attention particulière aux femmes âgées. Les vendeurs à l'étalage font bien plus que de proposer des produits à la vente. Ce sont des interlocuteurs très communicatifs qui peuvent vous renseigner et vous orienter, juste pour le plaisir d'aider. Leur présence est bien tolérée par tout le monde car le rôle qu'ils jouent reste indispensable en cette période de Ramadhan et finalement tout le monde trouve son compte.