Abandonné depuis des décennies, avec son mur d'enceinte croulant, jonché de détritus et de tessons de bouteilles de spiritueux, squatté de nuit par des gens peu recommandables, incendié à plusieurs reprises par des bandes de jeunes désœuvrés, rogné petit à petit sur tous ses flancs pour répondre aux impératifs d'une urbanisation pas toujours heureuse, le jardin Landon de Biskra est fermé depuis le 1er octobre sur décision des autorités communales. Ce jardin mirifique où la végétation est luxuriante, riche de centaines de plantes rares, rustiques, exotiques et d'autres locales, situé en bordure de l'oued Sidi Zarzour, et dont peu de chefs-lieux de wilaya d'Algérie peuvent se targuer de posséder son équivalent, si ce n'est le jardin d'Essais d'El Hamma à Alger, occupait à l'origine 10 ha ; le comte Albert Landon de Langeville (1844 - 1930) l'a acquis en 1875. Trouvant à Biskra un climat convenant à son état d'asthmatique chronique, ce notable consacre des années de sa vie et une bonne partie de sa fortune à rassembler des plantes de toutes sortes et une centaine d'espèces d'oiseaux du monde entier afin de subtiliser au désert ce bout de terre et d'en faire un havre de repos et de détente pour les grands de ce monde. En 1890, un pavillon destiné à recevoir les artistes et les poètes y est bâti. B. Bartok, O. Wilde, Scott et Zelda Fitzgerald, A. Gide, N. Dinet, E. Fromentin, L. Rousseau, K. Marx, A. France, F. Jammes, Matisse et bien d'autres illustres noms des arts et de la littérature venaient à différentes époques, comme des milliers de visiteurs anonymes, s'y ressourcer et y stimuler une inspiration parfois chancelante. Les responsables de la bibliothèque municipale, du comité des fêtes de la ville et ceux des nombreuses associations culturelles et artistiques qui y sont domiciliées et y assuraient une certaine animation ont été destinataires d'une correspondance les informant de la suspension de toutes les activités en ce lieu jusqu'à nouvel ordre. À la grande satisfaction générale des Biskris qui voyaient dépérir ce patrimoine forestier depuis des années sans que personne ne bouge le petit doigt, « une commission de spécialistes italiens est attendue pour procéder à la reclassification de ce jardin ; des travaux vont y être entrepris et cela devrait lui insuffler une nouvelle vie », a indiqué Ahmed Kelatma, président de l'APC de Biskra qui s'y est rendu à la fin de la semaine dernière, pour constater l'état de dégradation de ce jardin, lequel demeure, malgré les multiples agressions, un petit éden de 5 ha situé en pleine ville qui mériterait une attention particulière au vu de sa valeur culturelle, environnementale, historique, architecturale, artistique et économique. Un petit éden de 5 ha Après une tournée d'inspection avec ses collaborateurs dans tous les coins et recoins du jardin et la visite des bâtiments, bâtisses centenaires aux épais murs de terre pisée témoignant d'une splendeur passée, dont une villa, des écuries, un hôtel et des dépendances, désormais emmitouflées dans un manteau de verdure formé par les ramures de bougainvilliers, d'acacias, de duranta, de jasmin, de lys, d'hibiscus, de bigaradiers, de palmiers nains, de phœnix dactyliféra et autres végétaux entremêlés, car jamais élagués ni soignés, mais toujours vivaces et vivants, l'édile a rencontré les membres des associations afin de leur expliquer la démarche des autorités locales et de les rassurer quant à leur devenir dans ce « Garden of Allah » comme l'avait un jour surnommé R. Hitchens, de passage à Biskra. Croyant avoir eu vent d'un projet de placer sous la tutelle du ministère de l'Environnement ce bien de la municipalité de Biskra et, par conséquent, d'en être définitivement délogés, les artistes et membres des associations ont exprimé leur inquiétude et leur désarroi suscités par cette fermeture. Parfaitement conscient des convoitises avouées ou pas que suscite inévitablement ce genre de lieux mythiques, ulcéré par la destruction d'un vitrail du XIXe siècle ornant un vasistas, Nourredine Tabrha, professeur de dessin et président de l'association des artistes peintres de Biskra, n'y va pas par quatre chemins pour fustiger les pouvoirs publics qu'il accuse non seulement de « négligence », mais aussi d'être « des ennemis de l'art et de la culture » à cause du funeste sort qui est réservé aux monuments de la ville, aux statues déboulonnées qui ornaient les rues et celles se trouvant dans les jardins publics. A ce propos, il dira : « Si le jardin Landon était transportable, il y a longtemps qu'il aurait été délocalisé. C'est un joyau dont on ne connaît pas la valeur réelle. Même si nous avons appelé de tous nos vœux pour qu'il soit sérieusement pris en charge depuis des années, nous ne voulons pas être les dindons de la farce de cette opération de réhabilitation. Sans la présence des artistes et des associations, il serait à la merci des vandales et des marginaux, et il serait bien plus dégradé qu'il ne l'est actuellement. Toutes les équipes municipales qui se sont succédé à la tête de la ville ont toujours respecté ce legs historique aux artistes de Biskra. » A. Kelatma a tempéré le mauvais pressentiment des acteurs du monde associatif qui craignent de perdre leur « jardin » en disant : « Ce jardin est un atout majeur pour la ville et les artistes de Biskra y auront toujours leur place. » Faire du jardin Landon un pôle de loisirs et de savoir ouvert au public, dédié à l'art et aux artistes, à la biodiversité et aux botanistes, aux amoureux de la nature et aux écologistes, est la meilleure façon de le sauver, pensent de nombreux habitants de Biskra, lesquels se demandent, par ailleurs, pourquoi la préparation d'un plan d'aménagement incluant un inventaire de toutes les espèces végétales y croissant, la cartographie détaillée de la végétation et l'adoption d'une stratégie d'intervention et des modalités de gestion à même de convenir à ce genre de sites, n'est pas réalisée par des architectes et ingénieurs agronomes nationaux.