Entre George Washington et Zine El Abidine Ben Ali, le président Abdelaziz Bouteflika n'a pas eu grand mal à choisir. La « démocratie à la Ben Ali » l'emporte sans illusion aucune sur le modèle démocratique incarné par le premier président des Etats-Unis d'Amérique. Deux mandats, huit ans au pouvoir ont été suffisants à George Washington pour forger sa propre légende et celle de la démocratie libérale américaine. En quittant la présidence en 1797, il établissait la coutume d'un maximum de deux mandats qui devint une règle constitutionnelle par le 22e amendement voté en 1947. Mais autre… continent, autres mœurs. L'alternance au pouvoir, le président Bouteflika y croit certainement. Mais de là à la pratiquer, comme l'avaient brillamment fait avant lui Senghor ou Mandela, qui ont quitté le pouvoir avant que le pouvoir ne les quitte, c'est sans doute trop demander à l'homme. « L'alternance au pouvoir émane du libre choix du peuple lui-même lorsqu'il est consulté en toute démocratie et en toute transparence, à travers des élections libres et pluralistes. Tels sont donc le sens et la portée de cet amendement à l'article 74 de la Constitution dont le but est de redonner à la souveraineté populaire sa pleine et libre expression », lit-on dans l'exposé des motifs du conseil de gouvernement qui s'est réuni avant-hier à l'effet de « valider » les « amendements partiels » du chef de l'Etat. L'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ? Assurément oui. L'amendement proposé à l'article 74 maintient que la durée du mandat présidentiel est de cinq ans et « dispose que le président de la République est rééligible ». En amendant l'alinéa 2 de cet article qui stipule que le président de la République n'est « rééligible qu'une seule fois », Bouteflika fait voler en éclats un principe démocratique fondamental consacré par la Constitution de 1996, la seule à introduire, depuis l'indépendance, une clause limitative du nombre de mandats. Un verrou que le président de la République voudrait plus que tout voir se lever pour pouvoir briguer un autre (ou d'autres) mandat(s). « Tout système démocratique dans le monde consacre le peuple comme seul détenteur de la souveraineté qu'il exerce par le biais des institutions qu'il se donne. Tout système démocratique reconnaît également au peuple seul le droit de choisir ses dirigeants par la voie des élections pluralistes, libres et transparentes », souligne encore le communiqué du gouvernement. George Washington s'est-il trompé en ne briguant pas un troisième mandat ? Tout porte à le croire. Car l'alternance au pouvoir est aux yeux de nombreux Présidents arabes et africains la « négation » de la liberté du choix populaire. Un principe « antidémocratique », en somme. En phase avec beaucoup de ses homologues du monde arabe, de l'Afrique, qui seuls peuvent justifier la dictature par la démocratie, le président Bouteflika ne fait pourtant que réchauffer de vieilles recettes constitutionnelles. Ses points d'ancrage, le Président est allé les chercher davantage dans la Constitution de 1976 plus que dans celle de 1989, qui avait le défaut de son libéralisme. « La durée du mandat présidentiel est de six ans. Le président de la République est rééligible », stipulait l'article en question. Tout comme l'article 71 de la Constitution de 1989 qui ne limitait pas le nombre de mandats. Mais les points de ressemblance entre la Constitution telle que voulue et désirée par Bouteflika et celle de 1976 ne s'arrêtent pas là. L'architecture du pouvoir exécutif est reprise presque in extenso. Le poste de Premier ministre existait déjà à cette époque, celui de vice-président aussi. Faisant remarquer toutefois que sous le régime de Boumediène, de 1965 à 1976, l'Etat algérien a fonctionné sans Constitution. Preuve qu'une dictature sérieuse peut se passer d'une loi, aussi fondamentale soit-elle !