« Le suspense est à son comble ! Les Tunisiens attendent avec impatience les résultats de cette grande compétition démocratique. Le peuple est divisé entre ceux qui pronostiquent un score inférieur à 95% et ceux qui sont convaincus du contraire. Les paris sont lancés ! » Pour M. Z., journaliste, caricaturiste, animateur acidulé du blog Débat Tunisie (blog censuré en Tunisie), l'enjeu est de taille : avec quel (autre) score (à la soviétique) le président Ben Ali sera-t-il réélu aujourd'hui ? C'est la « seule inconnue » du scrutin, écrit Toufik Ben Brik sur le site de la Radio Kalima. En 1989, Ben Ali avait obtenu 99,27% des suffrages ; 99,91% en 1994 ; 99,44% en 1999 et 94,49% en 2004. D'où la première question et seule difficulté qui se pose à l'automne 2009, à la mesure de cette dérisoire parodie de démocratie qui se joue à ciel ouvert : quels maigres scores, compatibles avec sa susceptibilité, Ben Ali concédera-t-il à ses opposants ? », ironise le journaliste trublion. A 73 ans, le général président Zine El Abidine Ben Ali s'apprête à se reconduire, et son clan avec, à la tête de la République tunisienne. Au grand dam de l'embastillée société civile tunisienne. « Tous les cinq ans, rapporte Florence Beaugé dans le Monde (édition du vendredi dernier), les Tunisiens se persuadent que ‘c'est la dernière fois'. La dernière fois qu'ils laissent ‘l'artisan du changement' se maintenir au pouvoir (...). Mais voilà vingt-deux ans que cela dure. Autant les Tunisiens nourrissaient des illusions au soir du 7 novembre 1987, après que M. Ben Ali eut déposé Habib Bourguiba, devenu sénile, autant ils n'en ont plus aujourd'hui. Et, dimanche soir, ils le savent : quel que soit leur vote, Zine El Abidine Ben Ali sera reconduit à la tête du pays pour un cinquième mandat, avec un score frôlant les 95%. » « Le général Ben Ali, qui venait de prendre le pouvoir en 1987 par un ‘coup d'état médical', lui fit subir une régression historique. En l'espace de deux ans, la société est réduite au silence sous une terreur policière écrasante », écrivit en 2004 la militante des droits de l'homme Sihem Bensedrine. (lettre à l'Association mondiale des journaux, 3 mai 2004). Les opposants « authentiques » ne nourrissent, eux non plus, aucune illusion sur l'issue de cette élection. « Si les résultats des élections sont connus d'avance, si c'est Ben Ali qui choisit lui-même ses concurrents – d'ailleurs l'un d'eux n'a pas cessé, lors même de la présentation de sa candidature, de faire l'éloge de Ben Ali – s'il n'y a aucune garantie de transparence de ces élections, toute participation devient superflue, elle ne peut servir politiquement que de décor pluraliste à la dictature. Nous avons appelé au boycott de cette mascarade et à la poursuite de la lutte pour un véritable changement démocratique », déclarait Hamma Hammami, chef du Parti communiste ouvrier tunisien, non reconnu. Opposition laminée, presse muselée, société civile caporalisée, droits de l'homme bafoués, le régime de Ben Ali réinvente depuis plusieurs décennies le « système des bouches cousues ». Qu'importe ; pour les démocraties occidentales, la Tunisie est « fréquentable », un modèle de « développement », de « stabilité ». L'ancien président français, Jacques Chirac, vantait en son temps « le miracle tunisien ». L'envers du miracle ? Théoriquement pluraliste, on y compte plusieurs partis d'opposition ou indépendants. « La Tunisie vit de fait sous un régime de parti unique et un système où le pouvoir exécutif n'est tempéré par aucun contre-pouvoir. En effet, les pouvoirs législatif et judiciaire sont sous la coupe de l'omnipotente présidence. La presse est totalement contrôlée, exception faite de trois journaux d'opposition, tolérés, mais qui font régulièrement l'objet de mesures arbitraires restreignant leur diffusion. Quant à la société civile, elle ne jouit pratiquement d'aucun espace pour se faire entendre, les rares associations réellement indépendantes étant empêchées d'élargir leur audience auprès de l'opinion », indique dans son rapport sur l'environnement de la campagne électorale le Conseil national pour les libertés en Tunisie, une section de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).