II - L'Algérie face au projet de l'UPM La question qui se pose immédiatement est la suivante : pourquoi une telle initiative et quels sont ses desseins inavoués ? La réponse à une telle question permet de comprendre la position de l'Algérie vis-à-vis de l'UPM. Ses réticences initiales, ses hésitations et ses interrogations légitimes expliquent l'évolution de sa décision pour adhérer à un tel projet né dans des conditions difficiles, à cause des divergences européennes et dont le contenu et le destin demeurent incertains. En fait, l'UPM est un compromis entre le processus de Barcelone, miné par l'échec, et un avenir incertain. Ce constat permet de conclure que l'UE reste figée sur une position invariable concernant ses rapports avec le sud de la Méditerranée. D'ailleurs, elle ne lui manifeste un regain d'intérêt que lorsque la conjoncture l'exige comme l'atteste le cours des relations internationales : guerre froide, chute du mur de Berlin, mondialisation ... L'on comprend dès lors les réticences, voire les appréhensions, de l'Algérie vis-à-vis des initiatives de l'UE concernant le flanc sud de la Méditerranée. Des initiatives imposées, même si elles sont soumises à négociation, qui finissent par aboutir malgré des réserves formulées par les uns et les autres. Il en est ainsi de l'UPM qui a été adoptée par l'ensemble des pays méditerranéens à l'exception de la Libye. Au nom de la realpolitik et de l'avenir, l'Algérie a fini par soutenir l'UPM car, après tout, elle a bien adhéré au processus de Barcelone qui se poursuit sous d'autres formes. Cependant, elle est bien consciente de ses insuffisances comme le montre son détachement vis-à-vis, par exemple, des institutions de l'UPM qui verront le jour. Elle n'a pas exprimé clairement ses intentions d'abriter une quelconque institution de ce projet commun. Elle assiste médusée à l'âpre bataille engagée par certains pays, à l'instar, par exemple, du Maroc, de la Tunisie et de l'Egypte, pour s'arracher les sièges des instances de l'UPM ou des postes de responsabilité. Est-ce un signe qu'elle ne parie pas sur l'avenir de ce projet ? Tout l'indique, lorsqu'on analyse les points laissés en suspens par l'UPM. La question palestinienne n'a toujours pas débouché sur la création d'un Etat. Bien au contraire, Israël multiplie les entraves en installant, par exemple, de nouvelles colonies de peuplement. La normalisation avec la Syrie vise plusieurs objectifs essentiels à l'UE. On sollicite ce pays pour persuader l'Iran de renoncer à son programme nucléaire, mais surtout, il est attendu de la Syrie qu'elle contribue à la normalisation de la région, normalisation répondant aux objectifs d'assurer en dernier ressort la sécurité d'Israël. Pour atteindre cet objectif inavoué, on lui attribue une grande influence sur les groupes armés du Sud Liban pour les amener à renoncer à commettre des actes contre Israël. Mais surtout, et cet objectif intéresse au plus haut point la France, on invite la Syrie à établir officiellement des relations diplomatiques avec le Liban avec ouverture immédiate des ambassades dans les deux pays. Une première dans les relations bilatérales syro-libanaises. C'est chose faite. Ainsi, la Syrie se fait accepter par la communauté internationale, en général et l'UE, en particulier. Peu de temps avant, elle était mise au ban de ladite communauté et considérée comme un pays « peu fréquentable ». Très vite, elle est rayée de la liste des pays soutenant le terrorisme et très vite, elle redevient « fréquentable » tout en lui laissant miroiter l'espoir, si têtu et si lointain, de récupérer un jour, par la négociation et donc la reconnaissance diplomatique de l'Etat d'Israël, le plateau du Golan. Le Proche-Orient n'est pas le premier écueil. Il y en a un autre qui tient à la politique de la France vis-à-vis du Maghreb. Il faut reconnaître que sa politique est loin d'être équilibrée pour pouvoir contribuer à l'émergence de l'UMA. En effet, sa politique extérieure repose sur un principe invariable, à savoir l'entêtement à vouloir mettre sur un pied d'égalité les trois pays, surtout le Maroc et l'Algérie, mais avec l'arrière-pensée de pencher plus pour le royaume afin qu'il soit la puissance dominante de la région, avec bien entendu toutes les conséquences que cela implique, y compris pour la sécurité de l'Algérie. Elle feint d'ignorer que l'Algérie est objectivement la puissance dominante et que, sans elle, l'UMA sera tout simplement une coquille vide, voire même une chimère. C'est en fonction de cette politique qu'elle soutient l'annexion du type colonial du Sahara-Occidental au grand mépris de la légalité internationale et des résolutions des Nations unies. En réalité, la France soutient l'annexion, refuse l'autodétermination du peuple sahraoui et ce, tout simplement, pour permettre au Maroc d'être aussi puissant que l'Algérie dans la région. C'est cette attitude, complètement surréaliste, qui montre que la France n'a pas tourné la page du passé, qui conforte l'obstination du Maroc et fait reculer chaque fois l'organisation d'un référendum d'autodétermination. Or, le règlement du problème du Sahara-Occidental ouvrirait la voie à la concrétisation de l'UMA et donc à l'émergence d'un Maghreb où régneraient la paix et la sécurité qui sont essentielles au développement. Ce subterfuge lui permet de masquer beaucoup plus son hostilité à l'Algérie, comme puissance régionale dominante, et à l'organisation d'un référendum d'autodétermination qui finira bien, un jour ou l'autre, par avoir lieu car, on ne peut indéfiniment ramer à contre courant de l'histoire. Après avoir normalisé la situation à l'Est et réussi la réunification allemande, l'UE découvre qu'elle doit relever d'autres défis de la mondialisation entre autres l'irruption de la Chine comme superpuissance, bientôt suivie par l'Inde. Il est donc vital pour l'UE de veiller à préserver le flanc sud de la Méditerranée des appétits de ces deux pays émergents. Au cours d'un passage à Tunis pour vendre son projet de l'UPM, le président français s'est exclamé en déclarant que le nord et le sud de la Méditerranée, c'est gagnant-gagnant pour contrer la Chine. Rien que cela ! Ainsi, le flanc sud devient vital pour permettre à l'UE de consolider sa position dans la mondialisation. Cependant, l'UE veut atteindre un tel objectif à moindres frais, sans aucune contrepartie puisqu'elle ne met pas en avant un projet conséquent pour le développement économique de cette région. Or, les pays du sud de la Méditerranée sont en voie de développement et la meilleure façon de les arrimer à l'UE est de contribuer à leur mise à niveau. Ce n'est pas la dépollution de la Méditerranée, projet au demeurant louable mais insuffisant, ou les restrictions à la libre circulation des personnes qui favoriseront le développement économique et technologique de ces pays. Ceux-ci attendent de l'UE des gestes similaires dont a bénéficié l'Europe de l'Est. Si le flanc sud de la Méditerranée est considéré comme vital pour l'UE non seulement pour faire face aux défis que lui imposent les pays émergents mais aussi l'immigration en provenance du reste de l'Afrique, alors une autre stratégie s'impose. Une stratégie basée sur une vision dénuée de toute arrière-pensée pour favoriser l'éclosion d'un véritable partenariat qui ferait de la Méditerranée une zone de paix, de sécurité et de développement. A titre d'exemple, la défunte CEE a bien créé, en son temps, la BERD pour financer le développement et la mise à niveau des pays de l'Europe de l'Est. Le flanc sud atteint toujours la concrétisation d'un projet similaire, pourtant prévu par l'UPM. D'ailleurs, l'un des artisans du projet de l'UPM, en l'occurrence M. Guaino, a bien évoqué toutes les promesses pour le concrétiser : « Mais le but n'est qu'après le 13, tous ceux qui ont un projet de dimension régionale et d'intérêt général, Etats, collectivités, universités, associations, entrepreneurs, scientifiques, artistes, peuvent le réaliser avec le soutien de l'UPM. Je pense à une banque de la Méditerranée, à un centre méditerranéen de la recherche scientifique, à des universités communes, à un Erasmus méditerranéen, à un conservatoire du littoral, à des politiques communes du tourisme, au nucléaire civil, à la réunion des académies de la Méditerranée et à des centaines d'autres projets, grands et petits, qui permettront de tisser des solidarités. » (interview au journal Le Monde du 12 juillet 2008. Cette déclaration ressemble plutôt à un catalogue de vœux pieux qu'à un projet cohérent dont les objectifs et les moyens sont déterminés avec rigueur. Le seul chiffre avancé dans le cadre de ce projet est le coût de la dépollution de la Méditerranée. L'on est tenté de croire qu'à travers le projet de l'UPM, l'UE vise plutôt des objectifs politiques et non l'émergence d'un partenariat qui mettrait les pays du flanc sud sur la trajectoire du développement et de la mise à niveau économique et technologique dont la finalité est de réduire les écarts entre les deux rives. C'est ce que révèlent, entre autres, les objectifs de la normalisation de la Syrie, du traitement de la question palestinienne et du dossier du Sahara-Occidental. Cette toile de fond rend aisée la compréhension à la fois des réticences de l'Algérie et finalement de son adhésion à l'UPM. Il faut souligner qu'elle n'a fait aucune concession, elle sait parfaitement qu'elle n'a rien à attendre de plus que quiconque qui en fait partie. Cette position renforce son rôle de pays pivot dans la région et la prémunit d'ores et déjà des incertitudes de demain. En conclusion, il faut rappeler que l'UPM est le prolongement du processus de Barcelone, certes revu et corrigé, mais toujours sans ambition ni vision rénovée. Le projet s'inscrit donc dans la ligne droite de la politique traditionnelle de l'Europe vis-à-vis du flanc sud de la Méditerranée. Le regard du Nord sur le Sud n'est pas celui d'un partenaire mais d'un puissant qui fixe les lignes d'horizon. Justement, à force de pratiquer la fuite en avant ou de privilégier les faux-fuyants, l'UE risque de se décrédibiliser et de perdre ainsi sa puissance d'attraction, car, et c'est là l'aspect positif de la mondialisation, le flanc sud de la Méditerranée n'est plus dans la situation de demandeur, contrairement à l'UE qui a besoin d'un espace vital plus vaste pour consolider sa position de pôle mondial compétitif et puissant. La crise mondiale actuelle inflige à l'UE une récession économique au même titre que pour les autres régions du monde. Qu'en sera-t-il du devenir de l'UPM ? Une chose est certaine, après cette crise, le monde ne sera plus comme avant. Communication faite à l'université de Béjaïa(Faculté de droit) à l'occasion de la journée d'études, le 29 octobre 2008, sur le thème « L'Union pour la Méditerranée » Communication faite à l'université de Béjaïa(Faculté de droit) à l'occasion de la journée d'études, le 29 octobre 2008, sur le thème « L'Union pour la Méditerranée »