Paul Dubrule, le cofondateur du groupe international Accor, vient de réaliser un exploit en parcourant en vélo, à 74 ans, plus de 4000 km dans le désert algérien, de Oued Souf à Djanet en passant par Tamanrasset . En partenariat avec Djillali Mehri, le groupe compte construire 36 à 50 hôtels pour combler un déficit criant en infrastructures hôtelières . Le premier Ibis de la chaîne ouvrira en janvier 2009. El Oued. De notre envoyé spécial Oued Souf, lundi 24 novembre. Il est 16h35. Un coureur cycliste, tout à fait exceptionnel, vient de franchir triomphalement la « ligne d'arrivée » ; une ligne imaginaire qui n'est autre, en vérité, que le portail d'entrée de la somptueuse résidence Daouia, le célèbre domaine de l'homme d'affaires Djillali Mehri. Ce dernier, cigare au bec, tout à fait décontracté, s'affairait peu avant à donner quelques consignes à ses collaborateurs afin de recevoir comme il se doit le héros du jour. Il fit ainsi disposer un podium frappé du seul chiffre 1. Force est de convenir que le coureur tant attendu mérite tous les honneurs : à 74 ans, il vient de boucler un tour de plus de 4000 km en plein désert. Un record qui « mérite d'être inscrit dans le Guinness book », souligne Djillali Mehri. Pourtant, l'homme n'a rien d'un Lance Armstrong. Son nom : Paul Dubrule. Profession : hôtelier. Signe particulier : il est cofondateur du groupe Accor, leader européen de l'hôtellerie et leader mondial des services. Voilà une bien singulière façon de voir débarquer un magnat de l'industrie touristique. Ghaïta, bendir et baroud d'honneur accueillent le vainqueur avec panache. Le champion soulève un nuage de poussière dans son sillage, provoqué par ailleurs par le 4x4 qui le colle de près, frappé du sigle Akar-Akar, la fameuse agence de voyages ayant pignon sur rue à Tamanrasset, suivi d'un énorme camion Mercedes transportant une cabane métallique qui lui sert de gîte. Et ce sera tout pour la caravane. A peine ayant immobilisé son vélo que l'ancien PDG du groupe Accor se voit chaleureusement congratulé par Djillali Mehri qui l'invite aussitôt à monter sur le podium pour savourer sa victoire. Une victoire sur l'âge, sur les rhumatismes et sur l'âpreté du désert. Le tycoon français a droit à une ovation, un bouquet de fleurs et un burnous en poils de chameau, contrastant violemment avec son maillot blanc et bleu frappé du label « Accor », seule enseigne publicitaire et seul sponsor autorisés à figurer sur la tenue du cycliste. Paul Dubrule est ensuite invité à fouler le tapis rouge, déroulé pour lui, donnant sur un magnifique salon d'honneur. Champagne, petit-lait, jus et un plateau de dattes sont proposés par le maître d'hôtel et son personnel, sans oublier le rituel du thé. Débarrassé de son casque, Paul Dubrule a de faux airs de Pierre Cardin. L'homme ne semble guère épuisé outre mesure. Il consent même à improviser une conférence de presse, son verre de champagne à la main, sous les coups de baroud et le rythme endiablé du qarqabou. « Je suis dopé au thé saharien. » « D'abord, c'est une découverte du Sud algérien parce que je ne connaissais pas l'Algérie. J'ai découvert non seulement l'Algérie mais aussi le désert algérien », déclare d'emblée Paul Dubrule. Expliquant son itinéraire, il dira : « Je suis parti de Tozeur, en Tunisie, au début du mois d'octobre et je suis arrivé ici, à El Oued. Ensuite, on est partis en direction de Touggourt, puis, vers Ghardaïa, El Goléa, In Salah et enfin Tamanrasset. A Tamanrasset, on a été reçus très aimablement par l'agence Akar-Akar, et de là, on s'est préparés pour traverser le désert par la piste ». Et de poursuivre : « De Tamanrasset, nous sommes montés à l'Assekrem. Puis, j'ai traversé le désert en direction de Djanet. » Ce tronçon de quelque 700 km de sahara pur sera le plus dur de cette étonnante traversée, faite entièrement en bicyclette. « Il y a eu d'abord la montée et la descente de l'Assekrem mais ensuite le désert. » « Dans le Tour de France, on dit qu'ils se dopent un peu. Moi, j'étais dopé au thé touareg. Et ce n'est pas prohibé. Enfin, il n'y avait personne pour faire le test », blague-t-il de bon cœur L'Algérie, pays cyclable Paul Dubrule explique qu'il s'ingéniait à suivre les traces des dromadaires lesquels, selon lui, « sont très malins ». « Ils vont sur le terrain dur. Moi, j'ai besoin de terrain dur donc je suis les dromadaires. » A noter que l'ensemble de l'itinéraire a été concocté avec le précieux concours de l'agence Akar-Akar. « Nous faisons du tourisme saharien haut de gamme depuis 35 ans », dit Mokhtar Zounga, fondateur de l'agence. « Nous l'avons récupéré aux frontières (algéro-tunisiennes). Nous lui avons assuré la connaissance du terrain, des gens, le choix de l'itinéraire. Nous lui avons préparé à l'avance le parcours », ajoute Mokhtar Zounga. Pour Paul Dubrule, au-delà du « message écologique » de cette épreuve et de son côté Guinness book, il y a le côté compétitif à envisager, avec son pendant touristique bien sûr. « Il y a un côté écologique mais il y a aussi un côté sportif intéressant dans cette expédition. Moi, je verrais bien une course Tamanrasset-Djanet », recommande-t-il. Pour Mokhtar Zounga, une course à vélo est mieux qu'un rallye motorisé : « Le rallye détruit le désert alors que le vélo présente une dimension écologique. » Et de faire remarquer : « Je pense qu'à travers une personnalité internationale d'envergure comme M.Dubrule, le regard de beaucoup de gens va changer sur notre pays. C'est la preuve qu'on peut visiter l'Algérie en toute tranquillité ». Le regard de l'hôtelier Même à la retraite – il a quitté la présidence du groupe il y a trois ans –, il faut dire que son instinct « entrepreneurial » ne le quitte jamais. Faisant part des choses qui ont attiré l'attention de l'hôtelier chevronné qu'il est, Paul Dubrule dira : « Vous savez, quand on voyage à vélo, on a le temps de voir le paysage, les équipements. » « J'ai fait une découverte très intéressante. C'est que l'infrastructure en Algérie est en plein travail. J'ai vu construire des canalisations d'eau sur 700 km avant Tamanrasset, et c'est gigantesque comme travail. C'est très impressionnant. J'ai remarqué aussi l'infrastructure routière qui s'améliore de plus en plus. La seule chose qui pose problème pour le tourisme qui, à mon avis, a un grand avenir, c'est le manque d'hôtels. » Paul Dubrule ne fait pas mystère, en effet, de la mauvaise impression que lui a laissé l'état de nos infrastructures hôtelières : « Franchement, les hôtels, ce n'est pas terrible. Il y a un travail d'équipement et un travail de formation à faire », diagnostique-t-il. Une défaillance largement rattrapée, d'après lui, par le facteur humain. « Le côté positif, c'est que tous les Algériens, les Touareg, que j'ai rencontrés, que ce soit dans les marchés, en ville, sur la route, les camionneurs, sont extrêmement accueillants et très aimables. Pour l'avenir du tourisme, c'est quelque chose qui compte beaucoup. » Le tour du Tibet à 68 ans Si l'itinéraire saharien de ce cycliste hors pair est surprenant à plus d'un titre, il faut savoir que Paul Dubrule n'en est pas à son premier exploit du genre. En 2002, alors qu'il était maire de Fontainebleau, il avait pédalé de sa ville jusqu'à Angkor, dans le Cambodge, un périple de 15 000 km qui aura duré huit mois et qui l'emmènera à faire une traversée du Tibet. Un défi qui en dit long sur le caractère bien trempé de l'homme et son goût de l'aventure. « Paul Dubrule est un homme d'hôtellerie, au sens noble du terme. Il sait tout d'un hôtel : sa situation, son environnement, sa qualité architecturale, son aspect, ses structures d'accueil, ses systèmes électriques et d'aération, ses matériaux, ses meubles… pas un détail ne lui échappe. » C'est le portrait que dresse de lui l'écrivain Paul-Robert Thomas, auteur de Gérard Pélisson et Paul Dubrule. L'harmonie du groupe Accor (Transversales Editions, 2008). C'est Paul Dubrule lui-même qui nous en fit cadeau comme on offre sa carte de visite. Le livre détaille, en effet, le parcours de l'homme et le cheminement de son empire qui s'étale aujourd'hui sur quelque 4000 hôtels allant du 2 au 5 étoiles, moyennant le système des franchises. Né le 6 juillet 1934 dans le nord de la France, il descend d'une riche famille bourgeoise de Lille. Un « ch'ti » pur jus. « Hors les villes ! » Après un diplôme obtenu à l'Institut des hautes études commerciales de l'université de Genève, il part aux Etats-Unis d'où il revient avec un concept-clé : celui de la chaîne américaine Holiday Inn. Soumettant son idée à divers associés potentiels, il fait la rencontre de Gérard Pélisson, un brillant ingénieur sorti du prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui devient haut responsable au sein d'IBM-Europe. Ensemble, ils créent la marque Novotel en 1963 et, en 1967, ils inaugurent leur premier hôtel dans la banlieue de Lille, à Lesquin. La même année, ils fondent la Novotel SEIH (Société d'investissements et d'exploitation hôteliers). En 1974, ils lancent la chaîne Ibis dont le premier hôtel s'ouvre à Bordeaux. En 1975, ils rachètent Mercure, avant de faire main basse sur la marque Sofitel en 1980. Et en 1983, le groupe Accor voit le jour après le rachat de Jacques Borel International. Dans le feu de l'action, Paul Dubrule entre « fatalement » en politique. C'est ainsi qu'il est élu maire de Fontainebleau en 1992 et le restera jusqu'en 2001. Il sera également sénateur de Seine-et-Marne de 1999 à 2004. Lui qui se décrivait un jour comme « le VRP (voyageur, représentant, placier) du tourisme français à l'étranger », il devient président de Maison de la France, grosse institution du tourisme français, de 2005 à 2007. Paul Dubrule et son alter ego seront de véritables pionniers en partant à la conquête de territoires vierges pour implanter leur chaîne. Ils choisissent ainsi de s'excentrer et de « s'installer en périphérie des villes et près des centres de communication des voyageurs : gares, aéroports, golfs, sites touristiques prisés… » (p. 31). C'est le concept même de la chaîne Ibis. « Hors des villes ! », s'exclame Paul Dubrule, « comme aux USA ». « S'installer dans les villes ne représentait aucun intérêt. C'était évident : le terrain était rare et cher, les permis de construire interminables à obtenir, les espaces confinés. Il n'y avait aucun modernisme à espérer », explique Gérard Pélisson. Une « success story » à méditer…